L.Landau, À Kitaïgorodski

la physique à la portée

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L. LANDAU et A. KITAÏGORODSKI

La physique à la portée de tous

LIVRE 2

Molécules

ÉDITIONS MIR + MOSCOU

Traduit du russe par Ch. Bir et À. Karvovski

Ha fppanuyscrom asure

Imprimé en Union Soviétique

© Vanarezscrso «HayKka». l'iasnañ peraknua PusuKko-MaTemMaTuuecKoï HATepaTyPpH, 1978, 1982

© Traduction française Editions Mir 1984

PRÉFACE

Ce livre, intitulé « Molécules », reprend sans modification maints chapitres de la deuxième moitié de la précédente édition du livre Physique pour tous de Lev Landau et Alexandre Kitaïgorod- ski.

Pour l'essentiel, il est consacré aux divers aspects de la science traitant de la structure de la matière. Toutefois, l’atome y demeure provi- soirement ce qu'il était encore pour Démocrite, soit une particule indivisible. Il n'empêche, bien entendu, qu’il y sera question aussi des problèmes soulevés par le mouvement des molé- cules. Ceux qui sont au fondement de l’interpré- tation moderne des phénomènes thermiques. Et surtout, on y accorde toute l’attention nécessaire aux questions qui ont trait aux transformations de phase.

Depuis la parution des précédentes éditions de la Physique pour tous, nos connaissances sur la structure des molécules et leurs interactions se sont fortement étoffées. De nombreux ponts ont été jetés entre les problèmes de la structure molé- culaire de la matière et ses propriétés. Ceci nous a incités à ajouter à ce livre des chapitres nou- veaux, assez considérables.

Je pense que le moment est venu depuis long- temps d'introduire dans les livres scolaires cou- rants des renseignements généraux sur des molé- cules plus complexes que celles de l’oxygène, de l'azote et du gaz carbonique. Jusqu'à présent, les auteurs de la plupart des cours de physique n’es- timent pas indispensable de parler de combinai- sons atomiques plus compliquées. Et pourtant, les macromolécules occupent d'ores et déjà une grande place dans notre vie quotidienne, sous

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l’aspect des matières synthétiques les plus variées. On a constitué une biologie moléculaire qui explique les phénomènes vitaux dans le langage des molécules des protéines et des acides nucléi- ques.

De même, on omet d'ordinaire et de la façon la plus injuste les questions touchant aux réac- tions chimiques. C’est pourtant le processus physique de la collision des molécules et qui s'accompagne de leur restructuration. On imagine comme il devient plus facile d'expliquer aux élèves ou aux lecteurs la nature des réactions nucléaires, dès lors qu’ils sont initiés au compor- tement des molécules, en tout point analogue.

Au cours du remaniement de ce livre, il s’est avéré nécessaire de transférer plusieurs chapitres de l’ancienne Physique pour tous dans les volumes suivants.

Pour le son en particulier, nous avons cru bon de nous en tenir ici à quelques mots dans le chapitre qui traite de la mécanique moléculaire.

De même, nous avons choisi de remettre l’exposé des particularités du mouvement ondula- toire jusqu’à l'examen des phénomènes électro- magnétiques.

Au total, les quatre livres de la nouvelle édition de la Physique pour tous (Corps physiques, Molécules, Electrons, Photons et noyaux) feront le tour plus ou moins complet des principes de la physique.

Avril 1978 Alexandre Kitaïgorodski

CHAPITRE PREMIER

LES « BRIQUES » DE L'UNIVERS

ÉLÉMENTS

De quoi est fait le monde qui nous entoure ?

Les plus anciennes réponses à cette question nous viennent de la Grèce d’il y a plus de 25 siè- cles.

De prime abord, elles nous paraissent fort singulières, et il faudrait noircir pas mal de pa- pier pour expliquer au lecteur la logique des Anciens: de Thalès qui affirmait que tout est composé d’eau, d’Anaximène qui disait que l’air est le principe universel ou d’Héraclite pour lequel c’est le feu.

L’inconsistance de ces explications obligea les « amis de la sagesse » (puisque c’est ce que « philosophes » veut dire) des générations suivan- tes à augmenter le nombre d'éléments initiaux. Empédocle en proposait quatre: la terre, l’eau, l’air et le feu. Aristote apporta à cette doctrine des remaniements qui furent pendant très long- temps considérés comme définitifs.

Selon Aristote, tous les corps se composent d’une même substance, laquelle peut avoir diffé- rentes propriétés. De ces éléments-propriétés immatériels, il en voyait quatre: le froid, la chaleur, l’humidité] et la sécheresse. Une fois groupés par deux et transférés à la matière, les éléments-propriétés d’Aristote donnent les prin- cipes d'Empédocle.

Ainsi, une matière sèche et froide, une matiè- re sèche et chaude, une autre humide et froide et enfin une matière humide et chaude donnent respectivement la terre, le feu, l’eau et l’air.

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D'ailleurs, vu la difficulté qu'il y avait à ré- pondre à certaines questions, les philosophes de l’Antiquité crurent nécessaire d’ajouter aux qua- tre éléments-propriétés une certaine « essence divine », quelque chose comme un dieu-cuisinier qui les accommoderait ensemble. La référence à la divinité simplifiait évidemment les choses.

Très longtemps d’ailleurs, presque jusqu’au XVIITe siècle il n’y eut guère de gens pour se risquer à s'étonner et à poser des questions à ce sujet. Les idées d’Aristote étaient reconnues par l'Eglise et en douter eût été sacrilège.

Et malgré tout les doutes naquirent, engen- drés par l’alchimie.

Aussi loin que nous pouvons descendre dans le passé en lisant des vieux manuscrits nous voyons que l’homme savait déjà que tous les corps qui nous entourent sont capables de se transfor- mer en d’autres corps. Combustion, calcination des minerais, fusion des métaux, tous ces phéno- mèênes étaient bien connus.

À première vue, rien de tout cela n’entrait en contradiction avec la doctrine d’Aristote. Dans toute transformation, c'était le « dosage » des éléments qui changeait. Même si le monde ne se compose que de quatre éléments, les possibili- tés de transformation restent considérables. Il faut seulement découvrir le secret qui permette d'obtenir à partir d’un corps n'importe quel autre corps.

L'idée de faire de l’or, de trouver la « pierre philosophale » qui donnerait à son propriétaire richesse, pouvoir et jeunesse éternelle avait un attrait extraordinaire. Cette science traitant de la fabrication de l'or et de la pierre philosophale, de la transformation d’un corps en un autre, les anciens Arabes l’appelèrent alchimie.

Durant des siècles des hommes travaillèrent à résoudre ces problèmes. Les alchimistes n’ont

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pas réussi à faire de l'or, ils n’ont pas trouvé la pierre philosophale, mais, par contre, ils ont recueilli une foule de renseignements utiles sur la transformation des corps. Et finalement ces faits ont frappé à mort l’alchimie. Au XVIIE siècle, il devint clair pour beaucoup que le nom- bre des principes élémentaires est de beaucoup supérieur à quatre. On avait constaté que le mercure, le plomb, le souîfre, l'or, l’antimoine étaient des substances indécomposables, il n’était plus possible de dire qu’ils étaient formés d'’élé- ments. Il fallut, au contraire, les classer parmi ces éléments. L'année 1661 vit paraître en Angle- terre le livre de Robert Boyle The Sceptical Chymist. Cette fois on trouve une définition abso- lument nouvelle de l’élément. Fini le mystérieux élément impalpable, immatériel des alchimistes. Désormais l’élément est une substance, la composante concrète d’un corps.

Voilà qui sied parfaitement à la définition contemporaine de la notion d’élément.

La liste des éléments de Boyle n'était pas longue. Aux éléments réels il ajoutait encore le feu. D'ailleurs, l’idée des éléments-propriétés persista encore après lui. Et même dans la no- menclature dressée par le grand Lavoisier (1743- 1794), que l’on considère comme le père de la chimie moderne, on voit les éléments réels en côtoyer de fantaisistes comme le phlogistique et la substance lumineuse.

Jusqu'au milieu du XVIIIe siècle, on ne con- naissait que 15 éléments, mais à la fin de ce siècle leur nombre atteignait déjà 35. Il est vrai que 23 seulement étaient des éléments réels, les autres étant soit inexistants, soit des substances com- posées comme la soude et la potasse caustiques.

Au milieu du siècle suivant les manuels de chimie donnent la description de plus de 50 subs- tances indécomposables.

La classification périodique du grand chimiste russe Mendéléev donna une nouvelle impulsion aux recherches. Il est encore trop tôt pour parler ici de cette classification. Bornons-nous à dire que Mendéléev a indiqué la voie il fallait chercher les éléments inconnus.

Au début du XX® siècle tous les éléments que l’on trouve dans la nature étaient déjà découverts.

ATOMES ET MOLÉCULES

Voici environ 2000 ans un poème singulier vit le jour à Rome. Il avait pour titre De natura rerum (Sur la nature) et son auteur était Lucrèce.

En des vers pleins de saveur, Lucrèce exposait les idées des philosophes grecs Démocrite et Epicure.

De quoi s’agissait-il ? Il s'agissait d’une théo- rie parlant de minuscules particules invisibles dont se composerait le monde entier. Tout en observant différents phénomènes, Démocrite et Epicure cherchaient à leur donner une explica- tion.

Prenons l’eau, par exemple. Chauffée, elle se transforme en vapeur invisible et se volatilise. Comment expliquer cela? Une chose est claire, c'est qu'une telle propriété doit être liée à la structure interne de l’eau.

Ou encore pourquoi sentons-nous le parfum des fleurs à distance ?

Réfléchissant à toutes ces choses, Démocrite en vint à penser que les corps ne sont pleins qu’en apparence et qu’en réalité ils se composent d’infimes particules.

Chez les différents corps ces particules ont une forme différente, mais elles sont si petites qu'il est impossible de les distinguer. Voilà pourquoi n'importe quel corps nous paraît être plein.

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Démocrite donna à ces particules minuscules, indivisibles, dont se composent l’eau et les au- tres corps, le nom d’« atomes », ce qui signifie en grec « indivisibles ».

L’extraordinaire intuition des penseurs grecs vivant il y a 24 siècles tomba par la suite dans un long oubli. Pendant plus de mille années la théorie erronée d’Aristote régna sans partage sur le monde des savants.

Tout en affirmant que toutes les substances peuvent se transformer les unes dans les autres, Aristote combattait catégoriquement la théorie des atomes. Sa doctrine enseignait que chaque corps peut être divisé à l'infini.

En 1647, le Français Pierre Gassendi édita un livre dans lequel il attaquait la théorie d’Aris- tote et affirmait que toutes les substances se composent de particules indivisibles, d’atomes. Les atomes, disait-il, diffèrent par la forme, la grandeur et la masse.

En plein accord avec la doctrine des atomistes de l’Antiquité, Gassendi développa cette théorie. Il montra comment les millions de corps qui existent dans la nature peuvent naître et naissent effectivement. Pour cela, point n’était besoin d’un grand arsenal d’atomes, disait-il. L’atome, c'estla même chose que matériau de construction de nos maisons. Avec trois sortes de matériaux briques, planches et poutres on peut construire une foule de bâtisses les plus diverses. D'une manière identique, quelques dizaines d’ato- mes différents permettent à la nature de créer des milliers de corps absolument différents. Dans chacun des corps, ces atomes se réunissent en petits groupes que Gassendi appela « molécu- les», c’est-à-dire petites masses (du latin mo- les masse).

Les molécules des différents corps diffèrent par le nombre et le genre des atomes qui les com-

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posent. Il n’est pas difficile de comprendre que quelques dizaines d’atomes différents donnent une énorme quantité de combinaisons d’atomes, c’est- à-dire de molécules. Voilà qui explique la diver- sité infinie des corps qui nous entourent.

Pourtant, Gassendi avait encore beaucoup d'idées fausses. Ainsi, il admettait qu'il y avait des atomes spéciaux pour la chaleur, le froid, le goût et l’odeur. Comme les autres savants de ce temps il ne pouvait se libérer entièrement de l'influence d’Aristote et reconnaissait des élé- ments immatériels.

Dans les ouvrages Mikhaïl Lomonossov, grand encyclopédiste et fondateur de la science russe, on trouve les idées exposées ci-dessous, qui n’allaient être corroborées par l'expérience que beaucoup plus tard.

Lomonossov écrit qu'une molécule peut être homogène ou hétérogène. Dans le premier cas, elle groupe des atomes homogènes, dans le se- cond, elle se compose d’atomes différents. Si un corps est formé de molécules homogènes, il faut le considérer comme un corps simple. Au contrai- re, s’il se compose de molécules comprenant des atomes différents, c’est, dans la désignation de Lomonossov, un corps mixte.

Nous savons très bien aujourd'hui que les différents corps que nous rencontrons dans la nature présentent justement cette structure. En effet, prenons l’oxygène : chacune de ses molécu- les comprend deux atomes identiques; il s’agit d’une molécule de corps simple. Mais si les ato- mes d’une molécule sont différents, nous aurons cette fois un corps « mixte », une combinaison chimique complexe. Ses molécules sont formées avec les atomes des éléments chimiques qui en- trent dans la combinaison.

On peut dire autrement : toute substance sim- ple se compose des atomes d’un seul élément chi-

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mique, une substance composée comprenant les atomes de deux éléments ou davantage.

De nombreux penseurs s'étaient emparés de la notion d'atome et étayaient la théorie par de solides arguments logiques. Mais c’est à l'Anglais Dalton qu'il revint d'introduire véritablement la notion d’atome dans la science et d’en faire un objet de recherche. Dalton montra qu'il y a des lois chimiques qu'on ne peut expliquer naturelle- ment qu’en usant de la notion d’atomes.

Après lui les atomes s’implantèrent solidement dans la science, mais longtemps encore il y eut des savants qui « ne croyaient pas à l’atome ». L’un d'eux écrivait à la fin du siècle dernier qu’il suffirait de quelques décennies pour que les ato- mes «ne puissent plus être trouvés que dans la poussière des bibliothèques ».

Aujourd’hui pareils raisonnements paraissent ridicules. Nous connaissons maintenant telle- ment de détails sur la « vie » de l’atome que douter de son existence reviendrait à douter de l’existen- ce de la mer Noire.

Les chimistes ont déterminé les masses relati- ves des atomes. On adopta d’abord comme unité de masse atomique la masse de l’atome d'hydro- gène. La masse atomique relative de l'azote fut trouvée égale à environ 14, celle de l’oxygène à environ 16 et celle du chlore à environ 35,5. On opta plus tard pour un autre système d'unités de masse atomique dans lequel l'oxygène se voyait fixer le chiffre 16,0000. Selon cette échelle la masse atomique de l’hydrogène fut trouvée égale à 1,008.

À présent, on a décidé de prendre pour base non pas l'oxygène ni l'hydrogène, mais l’isotope du carbone #?C. Ayant mesuré la masse de cet atome par le procédé qui est brièvement décrit dans le premier volume lors de l'exposé du système SI, nous divisons le tout par 12. Le

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nombre obtenu s'appelle unité atomique de mas- se. La valeur actuellement le plus couramment adoptée est la suivante:

ma (1,66043 + 0,00031)-10-%4 y.

Pour se représenter l’insignifiance de ce chif- fre, imaginez que vous allez demander à chaque habitant de la planète de vous donner un milliard de molécules. Combien de substance pensez-vous recueillir ainsi ? Quelques milliardièmes de gram- me!

Ou bien cette autre comparaison : la masse de la Terre dépasse celle d’une pomme dans la même proportion que la masse d’une pomme dépasse celle d’un atome d'hydrogène.

On appelle nombre d’'Avogadro la valeur in- verse de ma:

Na = = 6,0220943.1025. m À

Voyons quel est le sens de ce chiffre énorme. Prenons une substance en quantité telle que le nombre de grammes soit égal à la masse relati- ve M d’un atome ou d'une molécule. Cette quan- tité est appelée 1 atome-gramme ou 1 molécule- gramme (souvent on abrège en disant mole pour molécule-gramme). Quoique m1 dans le système SI ait trait à l’atome du carbone !?C, en pratique les NA de n'importe quels atomes ou molécules ont une masse égale à la masse relative de l’atome ou de la molécule et exprimée en grammes.

Avec l'entrée en scène de la mole en qualité d'unité autonome, le nombre d'Avogadro a cessé d’être une valeur abstraite. En unités SI, ila pour dimension mole”?.

QU’'EST-CE QUE LA CHALEUR ?

En quoi un corps chaud diffère-t-il d’un corps froid ? Jusqu'au commencement du XIXE® siècle on répondait ainsi à cette question: un corps

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chaud contient plus de phlogistique qu’un corps froid. Exactement comme une soupe est plus sa- lée quand elle contient plus de sel. Et le phlogis- tique, qu'est-ce que c’est ? encore on répondait ainsi: « Le phlogistique c’est de la matière ther- mique, le principe du feu ». Aussi énigmatique qu'obscur, n'est-ce pas, mais surtout une lapalis- sade.

Pourtant, à côté de la théorie du phlogistique il existait depuis longtemps un autre point de vue sur la nature de la chaleur, un point de vue brillamment défendu par d’éminents savants des XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles.

Dans le Nouvel Organon (Novum Organum Scientiarum) Francis Bacon écrivait : « La chaleur même dans son essence n’est pas autre chose que le mouvement... La chaleur consiste en un mouve- ment variable de minuscules parties du corps ».

Dans sa Micrographie Robert Hooke affir- mait de son côté: « La chaleur est le mouvement ininterrompu des parties du corps... Il n’y a pas de corps dont les particules soient en repos ».

Nous trouvons, formulées avec une netteté particulière, des idées du même ordre dans les Raisonnements sur l'origine de la chaleur et du froid de Lomonossov (1745). L'ouvrage nie l’exis- tence du phlogistique et déclare que « la chaleur découle du mouvement interne des particules de matière ».

A la fin du XVIIIS siècle, enfin, Rumford disait d'une façon très imagée qu’ « un corps est d'autant plus chaud que les particules dont il est fait se déplacent plus intensément, exactement comme une cloche qui sonne d’autant plus fort que son va-et-vient est plus violent ».

Dans toutes ces idées remarquables, très avancées pour leur temps, nous trouvons le fond de nos théories modernes sur la nature de la chaleur.

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On observe parfois des journées particulière- ment calmes et sereines. Les feuilles des arbres ne bougent pas, pas la moindre brise pour troubler la surface de l’eau. Tout s’est figé dans une immo- bilité solennelle. La paix s’est installée sur le monde visible, mais dans l'univers des atomes et des molécules que se passe-t-il ? La physique mo- derne peut dire beaucoup à ce sujet. Par exem- ple, que le mouvement invisible des particules dont est construit le monde ne cesse jamais.

Pourquoi alors ne voyons-nous pas tous ces mouvements? Les particules se déplacent, mais le corps reste en repos. Comment est-ce possible ?

Avez-vous jamais vu évoluer un essaim de moucherons? En l'absence de vent il semble immobile dans l’air, alors qu’à l’intérieur la vie bat son plein. Une centaine d’insectes s’est jetée à droite et au même instant autant se jettent à gauche. L’essaim reste sur place et ne change pas de forme.

Les mouvements invisibles des atomes et molécules ont le même caractère désordonné, chaotique. Si certaines molécules quittent un certain volume, d’autres viennent les remplacer. Et puisque les nouvelles arrivées ne diffèrent pas des absentes, le corps reste tel qu'il était. Les mouvements désordonnés des molécules ne chan- gent donc pas les propriétés du monde visible.

Mais n'est-ce pas un bavardage futile, peut se demander le lecteur. En quoi ces raisonnements sont-ils plus probants que la théorie du phlogisti- que ? Est-ce que quelqu'un a jamais vu le mouve- ment thermique perpétuel des particules de matière ?

Eh bien, ce mouvement peut être observé à l’aide d’un modeste microscope! Le botaniste écossais Brown fut le premier à le faire voici plus de 100 ans.

Examinant au microscope la structure inter-

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ne d’une plante, il remarqua que les minuscules particules de substance qui flottent dans le suc de la plante se déplacent continuellement en tous sens. Brown voulut savoir quelles forces obligent les particules à se déplacer. Peut-être s'agit-il d'êtres vivants? Il imagina de placer sous son microscope des corpuscules d’argile en suspension dans de l’eau. Or, ces particules inertes, on n’en pouvait douter, étaient animées, elles aussi, de mouvements chaotiques permanents. Plus les particules étaient petites et plus leur déplace- ment était rapide. Si longtemps que Brown exa- minât sa goutte d’eau, jamais il ne parvint à surprendre la cessation du mouvement. Des forces invisibles semblaient pousser constam- ment les corpuscules.

Le phénomène découvert par Brown et qui a reçu le nom de mouvement brownien n'est autre que l’agitation thermique propre aux parti- cules grandes et petites, aux groupes de molécu- les, aux molécules isolées et aux atomes.

L'ÉNERGIE SE CONSERVE TOUJOURS

Donc, le monde se compose d’atomes en mouve- ment. Ces derniers possèdent une masse, et un atome en mouvement possède une énergie ciné- tique. Evidemment, la masse de l'atome est extrémement petite et son énergie est minime, mais n'oublions pas que les atomes se comptent par milliards de milliards.

Rappelons maintenant au lecteur qu’en par- lant de la loi de conservation de l'énergie nous avions fait des réserves quant à son universalité. Dans une expérience l'impulsion et le moment étaient conservés tandis que l'énergie ne se con- servait que dans un cas idéal, en l’absence de tout frottement. En réalité, l'énergie diminuait toujours.

2—01030 17

Mais à ce moment nous ne savions rien de l’énergie des atomes. Aussi une idée nous vient tout naturellement: il nous semblait enregistrer une diminution d'énergie, celle-ci n'était-elle pas transmise aux atomes des corps, à notre insu?

Les atomes obéissent aux lois de la mécanique. Il est vrai (et nous le verrons dans un autre livre) que cette mécanique est un peu particulière, mais cela ne change rien au fond de l'affaire: vis-à-vis de la loi de conservation de l'énergie mécanique les.atomes ne diffèrent pas des grands Corps.

Il en résulte qu'on n'aura une conservation intégrale de l’énergie que lorsqu'il sera tenu comp- te à la fois de l'énergie mécanique du corps, de son énergie interne et de celle du milieu ambiant. Ce n'est qu'alors que la loi sera universelle.

Voyons donc de quoi se compose l'énergie totale d'un corps. Nous avons déjà nommé sa première composante, la somme des énergies cinétiques de tous les atomes. Mais il ne faut pas oublier qu’il existe une interaction des atomes. Il conviendra donc d'ajouter l’énergie potentielle de cette interaction. Finalement, l’énergie totale d’un corps est égale à la somme des énergies cinétiques de ses particules et de l’énergie poten- tielle de l'interaction de ces dernières.

On conçoit sans peine que l'énergie mécanique d’un corps considéré comme un tout n’est qu’une partie de l’énergie totale. Lorsqu'il est en repos, ses molécules ne s’arrêtent pas ni cessent d'agir les unes sur les autres. L'énergie du mouvement thermique des particules que conserve le corps en repos et l'énergie d'interaction des particules composent son énergie interne. Pour cette raison, l'énergie totale d’un corps est égale à la somme des énergies mécanique et interne.

L'énergie mécanique d’un corps considéré

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comme un tout comprend également de l'énergie gravifique, à savoir l'énergie potentielle qui résulte de l'interaction de ses particules avec le globe terrestre.

Finalement, le tableau de l’énergie interne ne nous permet plus de déceler des pertes d’éner- gie. Lorsque nous examinons la nature à travers des lentilles grossissant des millions de fois, l'harmonie nous semble parfaite. Finies les pertes d'énergie mécanique, et seule subsiste sa transformation en énergie interne du corps ou du milieu. Il y a eu perte de travail, alors ? Non plus. L'énergie a été dépensée pour accélérer le mouve- ment relatif des molécules ou modifier leur posi- tion réciproque.

Les molécules sont dociles à la loi de conser- vation de l'énergie mécanique. Leur univers est affranchi des forces de frottement ; il est régi par des transformations d'énergie potentielle en éner- gie cinétique et inversement. Ce n’est que dans le monde grossier des grands objets, qui néglige le jeu des molécules, que l'énergie se perd.

Si dans un phénomène quelconque l’énergie mécanique se perd entièrement ou partiellement, les énergies internes des corps et du milieu qui participent à ce phénomène augmentent d’une même valeur. Autrement dit, l'énergie mécani- que se transforme intégralement en l'énergie des molécules ou des atomes.

La loi de conservation de l'énergie joue ainsi en physique le rôle d’un comptable infaillible. Dans tout phénomène, les recettes et les dépen- ses coïncident strictement. Si une expérience vient le contredire, cela signifie que quelque cho- se d’important a échappé à notre attention. La loi de conservation de l’énergie nous signale alors: chercheurs, reprenez l’expérience, augmentez la précision de vos mesures, cherchez la cause des pertes! Maintes fois cette voie a conduit les

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physiciens à de nouvelles découvertes importan- tes, et c'était toujours une occasion de plus de se convaincre de la justesse absolue de cette loi remarquable.

CALORIE

Nous avons déjà deux unités d'énergie: le joule et le kilogramme-force-mèêtre. Cela sem- blerait suffire. Mais pour l’étude des phénomènes thermiques on utilise par tradition une troisième unité, la calorie.

Nous verrons par la suite que la calorie ne clôt non plus la liste des unités adoptées pour désigner l’énergie.

Il se peut que dans chaque cas particulier l'usage d’une unité spécifique soit commode et rationnel. Mais dès que l’on se heurte à un pro- blème un peu complexe, mettant en jeu des trans- formations d'énergie le choix des unités donne lieu à une confusion inimaginable.

Afin de simplifier les calculs le nouveau sys- tème d’unités (SI) prévoit une seule unité pour le travail, l'énergie et la quantité de chaleur: le joule. Mais compte tenu du pouvoir de la tradition et du délai qui sera nécessaire pour que le système se généralise et s’impose, il n’est pas inutile de faire connaissance avec l'unité « sor- tante » de quantité de chaleur, la calorie.

La petite calorie (cal) correspond à la quantité d'énergie qu’il faut communiquer à 1 g d’eau pour que sa température s'élève de 1°C. Il convient de spécifier « petite », car on utilise parfois la «grande» calorie, mille fois plus grande (la grande calorie est souvent désignée par kcal, ce qui veut dire kilocalorie).

On trouve la relation entre la calorie et les unités mécaniques de travail en réchauffant de l'eau par un procédé mécanique. De telles expé-

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S!

riences ont été faites à plusieurs reprises. Par exemple, on peut élever la température de l’eau en l’agitant énergiquement. Le travail mécanique dépensé pour réchauffer l’eau peut être évalué avec une précision suffisante. Ces mesures ont permis de trouver que

4 cal = 0,427 kgf:m = 4,18 J,.

Etant donné que les unités d'énergie et de travail sont identiques, celui-ci peut lui aussi être mesuré en calories. Pour lever un poids d’un kilogramme à la hauteur de 1 mètre, il faut donc dépenser 2,35 calories. Voilà qui sonne d’une étrange manière et d’ailleurs, il n’est guère com- mode de comparer le levage d’un poids à l’échauf- fement de l’eau. C’est pourquoi les calories ne sont pas en usage en mécanique.

UN PEU D'HISTOIRE

La loi de conservation de l'énergie ne put être formulée qu'à partir du moment l’on eut une représentation suffisamment nette de la nature mécanique de la chaleur et lorsque la technique eut avancé la question, importante du point de vue pratique, de l’équivalence de la chaleur et du travail.

La première expérience qui se fut proposé de trouver un rapport quantitatif entre la chaleur et le travail est due au célèbre Rumford (1753-1814). Le physicien travaillait dans une usine de canons. L'opération du forage du tube d’un canon fait dégager beaucoup de chaleur. Comment évaluer sa quantité? Que faut-il adopter comme unité de mesure? Rumford eut l’idée d'établir un rapport entre le travail accompli lors du forage et l’échauffement d'une quantité déterminée d’eau d’un certain nombre de degrés. C’est pro- bablement dans cette étude que s’exprimait pour

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la première fois avec autant de netteté l’idée que la chaleur et le travail devaient avoir une mesure commune.

Un nouveau pas vers la découverte de la loi de conservation de l'énergie fut accompli avec la mise en évidence d’une circonstance capitale: la dissipation du travail s'accompagne de l’appa- rition d’une quantité proportionnelle de chaleur, et ceci permit de trouver une mesure commune de la chaleur et du travail.

C'est au Français Sadi Carnot que l’on doit la définition initiale de ce qu’on appelle l’équiva- lent mécanique de la chaleur. Ce remarquable savant mourut en 1832 à l’âge de 36 ans en laissant un manuscrit qui ne fut publié que 50 ans plus tard. La découverte de Carnot resta donc dans l'ombre et n’influa pas sur la marche de la scien- ce. Dans son étude Carnot calculait pourtant que l'élévation de 1 d’eau à une hauteur de À m demande autant d'énergie que pour réchauffer { kg d’eau de 2,7 °G (le chiffre exact est de 2,3 °C).

En 1842, c'est au tour d'un médecin de Heil- bronn, le docteur Julius Robert von Mayer, de publier son premier ouvrage. Bien que Mayer appelât des notions de physique qui nous sont familières d’une façon tout à fait différente, une lecture attentive nous fait conclure que les prin- cipaux éléments de la loi de conservation de l'énergie y sont déjà exposés. Mayer distingue l'énergie interne (thermique), l’énergie potentiel- le de gravitation et l’énergie de mouvement du corps. Il cherche par des raisonnements de logi- que pure à déduire la conservation obligatoire de l'énergie lors de ses différentes transforma- tions. Et pour vérifier cette thèse expérimentale- ment il faut disposer d’une unité commune per- mettant de mesurer toutes ces énergies. Mayer calcule que le réchauffement d'un kilogramme

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d'eau d’un degré équivaut à l’élévation d’un poids d’un kilogramme à 365 mètres.

Dans un second ouvrage publié trois ans plus tard Mayer, notant l’universalité de la loi de conservation de l’énergie, entrevoit la possibilité de l'appliquer à des problèmes de chimie, de biologie, ainsi qu'aux phénomènes cosmiques. Aux différentes formes d'énergie déjà connues, il ajoute les énergies magnétique, électrique et chimique.

Dans toutes ces recherches un rôle éminent fut joué par le remarquable physicien anglais (fabri- cant de bière à Salford) James Prescott Joule qui travaillait indépendamment de Mayer.

Si Mayer péchait par un certain penchant pour une philosophie douteuse, le trait princi- pal de Joule était une approche rigoureusement expérimentale des phénomènes étudiés. Joule interroge la nature et reçoit une réponse grâce à des expériences d'une minutie extraordinaire. Il est hors de doute que dans toutes les expérien- ces qu'il entreprit, Joule n’avait qu’une idée: trouver l'unité universelle qui permettrait d’éva- luer les actions thermiques, chimiques, électri- ques et mécaniques, montrer que dans tous ces phénomènes l’énergie demeure inchangée. Joule la formula ainsi : « dans la nature il n’y a pas de disparition des forces qui exécutent un travail sans une action correspondante ».

Le physicien fit un rapport sur son premier travail le 24 janvier 1843 ; le 21 août de la même année il présentait déjà les premiers résultats. Le réchauffement d’un kilogramme d’eau d’un degré centigrade se trouvait être équivalent à l'élévation d’un poids d’un kilogramme à la hauteur de 460 mètres.

Dans les années qui suivent Joule et quel- ques autres chercheurs abattent un grand travail pour préciser la valeur de l’équivalent thermi-

23.

que et cherchent également à démontrer son universalité totale. Vers la fin des années 1840 il devient évident qu’indépendamment du mode de passage du travail en chaleur, la quantité de chaleur dégagée sera toujours proportionnelle à la quantité de travail dépensé. Mais bien que Joule ait démontré expérimentalement la loi de conservation de l'énergie, nulle part dans ses travaux il n’en donne une formulation précise.

C'est au physicien allemand Helmholtz que revint ce mérite. Le 23 juillet 4847, pendant une séance de la Société de physique de Berlin Her- mann Helmholtz faisait une communication sur le principe de conservation de l’énergie. Dans ce mémoire on trouve pour la première fois le fon- dement mécanique de la loi de conservation de l'énergie. Le monde est formé d'atomes, les atomes possèdent une énergie potentielle et une énergie cinétique. La somme des énergies poten- tielles et cinétiques des particules dont se com- pose un corps ou un système de corps ne change pas, si ce corps ou ce système n’est pas sollicité par des actions extérieures. Pour la première fois, Helmholtz formulait la loi en conformité avec ce que nous avons décrit dans les pages précédentes.

Après cela, il ne restait plus aux autres physi- ciens qu'à vérifier et appliquer le principe. Son succès jamais démenti fit qu’à la fin des années 1850 la loi de conservation de l'énergie était universellement reconnue comme étant la loi fondamentale des sciences naturelles.

Le XXe siècle, il est vrai, permit d'observer des phénomènes qui semblaient remettre tout en question. Mais avec le temps les divergences apparentes trouvèrent une explication et jusqu’à présent, la loi de conservation de l'énergie est toujours sortie à son honneur de toutes les épreuves.

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HERMANN HELMHOLTZ (1821-1894). Célèbre savant allemand, Helmholtz se signala brillamment dans les domaines de la physique, des mathématiques et de la physiologie. Il fut le premier à traiter mathématique- ment la loi de la conservation /de l'énergie dont il mit en relief le caractère général/ (1847). En thermodyna- mique, Helmholtz exécuta des recherches admirables qu'il appliqua à l'étude des processus chimiques. Ses études du mouvement turbulent des liquides jetèrent la base de l’hydrodynamique et de l’aérodynamique modernes. Helmholtz travailla fructueusement dans l’acoustique et l’électromagnétisme et développa la théo- rie physique de la musique. Toutes ses études sont marquées par l'application de méthodes mathématiques originales.

CHAPITRE 2

STRUCTURE DE LA MATIÈRE

LIAISONS INTRAMOLÉCULAIRES

Les molécules se composent d’atomes. Ceux- ci sont reliés entre eux par des forces dites chi- miques.

Il existe des molécules composées de deux, trois ou quatre atomes, et les plus grandes, cel- les des protéines, en comprennent des dizaines et même des centaines de mille.

Le royaume des molécules est infiniment va- rié. Les chimistes ont déjà isolé à partir de subs- tances naturelles et créé artificiellement des millions de substances composées de molécules différentes.

Les propriétés des molécules dépendent à la fois du nombre d’atomes de telle ou telle sorte qui entrent dans leur structure et de l’ordre et de la configuration dans lesquels ceux-ci sont assemblés. La molécule n’est pas un amoncelle- ment fortuit de briques, mais une architecture complexe chacune a sa place et des voisines bien déterminées. La structure atomique qui forme la molécule peut être plus ou moins rigide. En tout cas, chaque atome oscille autour de sa position d'équilibre. Mais parfois certaines par- ties d’une molécule peuvent tourner par rapport à d’autres, conférant à la molécule libre dans son mouvement brownien des configurations chan- geantes les plus bizarres.

Examinons plus en détails l'interaction des atomes. La figure 2.1 représente la courbe de l'énergie potentielle d'une molécule formée de deux atomes. De forme très caractéristique, elle

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plonge d’abord, puis s’incurve en formant un « puits de potentiel » et se rapproche ensuite moins énergiquement de l’axe des abscisses le- quel porte la distance entre les atomes.

Nous savons qu'est stable l’état l'énergie potentielle est à son minimum. Lorsqu'un atome fait partie d’une molécule, il se trouve donc au fond du puits de potentiel et effectue de faibles oscillations thermiques autour de sa position d'équilibre.

La distance de l’axe des ordonnées au fond du puits peut être définie comme la distance d'équilibre. C’est celle qu'adopteraient les ato- mes, si le mouvement brownien venait à cesser.

La courbe d'énergie potentielle décrit tous les détails de l'interaction des atomes, elle nous dit si les particules s’attirent ou se repoussent à chaque distance précise, si la force d'interaction augmente ou diminue lorsque les particules s’éloignent ou se rapprochent les unes des autres. Les points qui se trouvent à gauche du fond du puits correspondent à une répulsion. Les portions de courbe se trouvant à droite caractérisent, au contraire, une attraction. La pente de la courbe nous fournit également des renseignements im- portants: plus elle est raide et plus la force est grande.

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Se trouvant à des distances assez considérables les uns des autres les atomes s’attirent; cette force diminue rapidement avec l'accroissement de la distance. S'ils se rapprochent, la force d'attraction augmente et atteint un maximum lorsque les atomes vont être très près les uns des autres. Pour un rapprochement encore plus grand, l'attraction diminue et finalement l'interaction devient nulle à la distance d’équilibre. Quand les atomes se rapprochent à une distance inférieu- re à celle de l’équilibre, on voit apparaître des forces de répulsion qui augmentent très vite et rendent pratiquement impossible une réduction ultérieure de la distance.

Les distances d'équilibre (nous dirons par la suite plus brièvement les distances) varient selon les atomes.

Chaque paire d’atomes est caractérisée par la distance de l’axe des ordonnées au fond du puits et par la profondeur de celui-ci.

Le sens de ce dernier paramètre est tout sim- ple : pour sortir du puits, il faut une énergie exac- tement égale à sa profondeur. Aussi pouvons- nous l'identifier à l’énergie de liaison des parti- cules.

Les distances séparant les atomes dans les molécules sont si petites qu’elles nécessitent le recours à des unités spéciales qui évitent d’opé- rer avec des expressions aussi fastidieuses que 0,000000012 cm, par exemple, distance s’appli- quant à la molécule d'oxygène.

L'unité choisie pour la description du monde atomique s'appelle l’angstrôom (en l'honneur du savant suédois Angstrôm) :

1 À 108 cm,

c'est-à-dire un cent-millionnième de centimètre. Les distances considérées sont comprises entre

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1 et 4 angstrôms. Pour l'oxygène, la valeur

écrite plus haut correspond à 1,2 A.

On voit qu'il s’agit de grandeurs extrême- ment petites. Imaginez une corde qui double le globe terrestre à l’équateur et considérez main- tenant votre paume ; la longueur de la corde sera à la largeur de la paume ce que la largeur de celle- ci sera à la distance qui sépare deux atomes d’une molécule.

L'énergie de liaison est mesurée généralement en calories, maïs au lieu de les rapporter à une molécule, ce qui donnerait un chiffre insignifiant, on considère une mole, c’est-à-dire VA molé- cules.

On voit que la division de l’énergie de liaison d'une mole par le nombre d’Avogadro NW, 6,023.10% mole-! donne l'énergie de liaison d’une seule molécule.

À l'instar des distances interatomiques, ce paramètre varie fort peu.

Toujours pour l'oxygène, l'énergie de liai- son est de 116 000 calories par mole, et pour l’hydrogène elle est de 103 000 calories par mo- le, etc.

Nous avons déjà dit qu’à l’intérieur des molé- cules les atomes sont disposés dans un ordre dé- terminé et, dans les cas complexes, donnent des constructions fort ingénieuses.

En voici quelques exemples simples. Dans une molécule de CO, (gaz carbonique) les trois atomes se trouvent alignés, l’atome de carbone étant au milieu. La molécule d’eau H,0, elle, se dispose en chevron, l’atome d'oxygène faisant le sommet de l’angle (qui est de 105°).

Dans une molécule de gaz ammoniac NH, l'atome d'azote se trouve au sommet d’une pyra- mide à trois faces; dans une molécule de métha- ne CH,, l’atome de carbone est au centre d’un tétraèdre.

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Gaz CARBONIQUE Fig. 2.2

Les atomes de carbone du benzène CH, forment un hexagone régulier. Leurs liaisons avec l'hydrogène partent de chacun des sommets de l’hexagone. Tous les atomes se trouvent dans le même plan.

Les figures 2.2 et 2.3 montrent la disposition schématique des atomes de ces molécules. Les lignes symbolisent les liaisons.

Une réaction chimique s’est produite ; certaines molécules se sont transformées en certaines au- tres. Certaines liaisons se sont rompues, d’autres se sont formées. Pour rompre ces liaisons (rappe-

H

BENZÈNE

Fig. 2.3

lez-vous le graphique) il faut dépenser un certain travail, exactement comme pour faire sortir une boule de la dépression. La naissance d’une nouvelle liaison dégage, au contraire, de l'énergie et la boule roule toute seule dans la fosse.

Et de ces deux sortes de travail, de rupture et de génération, lequel est le plus grand ? Dans la nature, nous trouvons les deux réactions.

L'’excédent d'énergie est appelé effet thermi- que ou encore chaleur de transformation (de réaction). Les réactions donnent le plus souvent des effets thermiques de l’ordre de quelques dizai- nes de mille de calories par mole. Très souvent, l'effet thermique figure comme terme dans la formule de la réaction.

Par exemple, la réaction de combustion du carbone sous forme de graphite, c’est-à-dire de sa combinaison avec l'oxygène, s'écrit de la façon suivante:

Cela signifie que la combinaison de C et de O, s'accompagne d’un dégagement d'énergie de la valeur de 94 250 calories.

La somme des énergies internes d’une mole de carbone contenu dans le graphite et d’une mole d'oxygène est égale à l'énergie interne d’une mole de gaz carbonique plus 94 250 calories.

Ce qui fait qu’une telle notation bénéficie de la clarté d'égalités algébriques correspondant aux valeurs des énergies internes.

Ces équations permettent de trouver les effets thermiques des transformations chaque fois que, pour une raison ou pour une autre, les méthodes directes s'avèrent inapplicables. En voici un exemple: la combinaison du carbone (graphite) et de l'hydrogène donne de l’acétylène :

2C + H;, = Ca 31

La réaction ne s'opère pas selon ce schéma. On peut, cependant, trouver son effet thermique. Ecrivons pour cela trois réactions connues:

celle de l'oxydation du carbone:

2C+-20, 2C0, + 188 000 cal, celle de l'oxydation de l'hydrogène:

Hi+ 0, = H,0 -- 68 000 cal, et celle de l’oxydation de l’acétylène :

Toutes ces égalités peuvent être tenues pour des équations de l'énergie de liaison des molé- cules. S'il en est ainsi, on peut opérer avec elles comme avec des égalités algébriques. En retranchant de la dernière expression les deux précédentes, on obtient:

Cela veut dire que la transformation qui nous intéresse s'accompagne de l’absorption de 56 000 calories par mole.

MOLÉCULE PHYSIQUE ET MOLÉCULE CHIMIQUE

Jusqu'à ce que les chercheurs ne se fussent fait une idée détaillée de la structure de la matiè- re, la distinction n'avait pas cours. La molécule est une molécule, soit la plus petite portion de matière, et tout était dit. Or les choses sont fort différentes.

Les molécules dont nous venons de parler sont des molécules dans les deux sens du terme. Les molécules du gaz carbonique, de l’ammoniac, du benzène dont il était question et les molécules pratiquement de toutes les substances organiques (dont nous n’avons encore rien dit), sont formées

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d’atomes puissamment solidaires les uns des autres. Ce sont des liaisons que ne peut rompre ni la dissolution, ni la fusion, ni la vaporisation. La molécule continue de se comporter comme une particule autonome, comme un petit corps physi- que, et ceci face aux interventions physiques et modifications d'états quelles qu'elles soient.

Seulement, il n’en va pas toujours de même, loin de là. Pour la majorité des substances non organiques, on ne peut plus parler de la molécule que dans le sens chimique du mot. Par contre, les plus petites portions de substances non organi- ques aussi familiaires que le sel de cuisine, la calcite ou la soude, n'existent pas. Nous ne trouvons pas de ces particules autonomes dans les cristaux (ce qu’on verra quelques pages plus bas); dissoutes, ces molécules se désintègrent en morceaux.

Le sucre est une substance organique. Et c'est pourquoi les molécules de sucre « nagent » dans notre thé sucré. En revanche, nous ne trouverons pas trace de molécules de sel de cuisine (chloru- re de sodium) dans une eau salée. Ces « molécu- les »-là (nous sommes forcés de mettre des guil- lemets) existent dans l’eau sous forme d’atomes (plus exactement, d'ions, soit des atomes portant une charge électrique et dont nous parlerons plus loin). De la même manière, les parties des molécu- les ont une vie autonome dans les vapeurs et les substances fondues.

Quand on parle des forces qui cimentent les atomes en une molécule physique, on utilise le terme de valence. Les forces intermoléculaires ne sont pas les forces de valence. Toutefois, le type de la courbe d'interaction montré sur la figure 2.1 est similaire dans les deux cas. La différence ne tient qu'à la profondeur du puits. En cas de forces de valence, le puits est des centaines de fois plus profond.

3—-01030 33

INTERACTION MOLÉCULAIRE

Les molécules s’attirent, on n’en saurait dou- ter. Si l'attraction venait à cesser tout à coup, les liquides et les solides se décomposeraient en molécules.

Les molécules se repoussent, et cela aussi est hors de doute, car autrement les liquides et les solides se comprimeraient très facilement.

Il existe donc entre les molécules des forces qui ressemblent beaucoup aux forces interatomi- ques dont nous avons parlé plus haut. La courbe de l'énergie potentielle présentée pour les atomes reste valable pour l'interaction moléculaire, quoi- qu'avec des différences substantielles.

Comparons, par exemple, la distance d’équi- libre des atomes d'oxygène d’une seule molécule et celle des atomes d'oxygène de deux molécules voisines rapprochées dans l'oxygène solidifié jusqu'à la position d'équilibre. La différence sera très sensible: les atomes qui forment la molécule se trouvent à une distance de 1,2 À et ceux de molécules différentes ne s’approchent qu'à 2,9 A.

Les autres atomes donnent les mêmes résul- tats. Toujours les atomes de molécules ditfé- rentes maintiennent un écart supérieur à celui des atomes d’une même molécule. C’est pour cela qu'il est plus facile de séparer deux molé- cules que d'’arracher un atome à une molécule, les différences d'énergie étant beaucoup plus grandes que les différences de distances. Si l’éner- gie nécessaire pour rompre la liaison des atomes d'oxygène à l’intérieur d’une molécule est d’en- viron 100 kcal/mole, il suffit de 2 kcal/mole pour désolidariser les molécules de ce gaz.

Sur la courbe de l’énergie potentielle des molécules, le puits va donc se dessiner plus loin

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de l’axe des ordonnées et, de plus, il sera beau- coup moins profond.

Mais les différences ne s'arrêtent pas 1à.

Les chimistes ont montré qu’à l’intérieur d’u- ne molécule les atomes s'unissent selon un or- dre quantitatif très strict. Si deux atomes d’hy- drogène forment une molécule, jamais un troisiè- me ne viendra les rejoindre. Dans le cas de l’eau, un atome d'oxygène est lié à deux atomes d’hy- drogène, et il est impossible d’en ajouter un troi- sième.

Plus rien de semblable dans l'interaction mo- léculaire. Le fait d’avoir attiré une voisine n’amoindrit en rien les facultés attractives des molécules. L'’afflux se poursuivra tant qu’il y aura de la place.

Que veut dire « tant qu'il y aura de la pla- ce »; peut-on comparer les molécules à des pom- mes ou à des œufs? En un certain sens, oui: les molécules sont des corps physiques possédant des « dimensions » et une « forme » déterminées et leur distance d'équilibre n'est pas autre chose que ces dimensions.

COMMENT SE PRÉSENTE L’'AGITATION THERMIQUE

L'interaction moléculaire peut influer plus ou moins sur la «vie» des molécules. Les trois états de la matière (gazeux, liquide et solide) en découlent directement.

Le mot «gaz», qui est une invention des savants, dérive du grec khaos désordre.

Et en eîffet, l’état gazeux de la matière est un exemple du désordre absolu dans la disposi- tion mutuelle et le mouvement des particules. Bien qu'il n'existe pas de microscope permettant de voir le mouvement des molécules de gaz, les

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physiciens savent décrire de façon suffisamment détaillée la vie de ce monde invisible.

Dans les conditions normales (température ambiante et pression atmosphérique ordinaire) un centimètre cube d'air contient une énorme quantité de molécules, chiffrée à environ 2,5-410!? (soit 25 milliards de milliards). Chacune d'elles occupe un volume de 4:10-2% cm, soit un cube d'environ 3,5-10-7 cm 35 À d'arête, c'est-à- dire que les molécules sont très petites. Par exemple, celles de l’oxygène et de l'azote, qui forment l'essentiel de l’air, ont une dimension moyenne d'environ 4

On voit ainsi que la distance moyenne entre les molécules est 10 fois plus grande que la di- mension proprement dite de la molécule. Cela signifie à son tour que le volume moyen d’espace imparti à chacune d'elles dépasse d’environ 1000 fois celui de la molécule elle-même.

Imaginez une surface lisse parsemée en désor- dre de pièces de monnaie à raison de 100 pièces par m°. Cela correspond à deux ou trois pièces par page du livre que vous lisez. L'’éparpillement des molécules de gaz est à peu près le même.

Chaque molécule gazeuse est sujette à une agitation thermique continue. Suivons-en une. La voici qui progresse rapidement vers la droite. S’il n’y avait pas d'obstacles sur son chemin elle poursuivrait son mouvement rectiligne avec la même vitesse. Mais d'innombrables voisines vien- nent se placer en travers, les chocs sont inévita- bles, et les molécules rebondissent comme des bou- les de billard entrées en collision. Quelle direction va prendre notre molécule? Sa vitesse va-t-elle augmenter ou diminuer? Tout est possible, les rencontres pouvant être les plus diverses. L'im- pact peut venir de l’avant ou de l’arrière, de la droite ou de la gauche, il peut être fort ou faible. Il est clair que le bombardement désordonné

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auquel ces rencontres fortuites donnent lieu va faire faire à la molécule que nous observons un zigzag compliqué à l’intérieur du récipient rem- pli de gaz.

Et quel chemin les molécules de gaz arrivent- elles à parcourir sans collisions ?

Ceci dépend de leurs dimensions et de la den- sité du gaz. Les molécules se heurteront d'autant plus souvent qu'elles sont grandes et que leur nombre est élevé. Dans les conditions ordinaires, le chemin moyen parcouru sans collision (on l'appelle parcours moyen) est égal à 11-10-$ cm 1100 À [pour l'hydrogène et à 5:10 cm 500 À pour l'oxygène. Un vingt-millième de millimètre est, certes, une longueur très petite, mais comparée aux dimensions des molécules elle n'est pas négligeable. Un parcours de 5:10-6 cm pour une molécule d'oxygène correspond à une distance de 10 mètres pour une boule de billard.

Il convient d'attirer l’attention sur les par- ticularités du mouvement des molécules dans un gaz fortement raréfié (le vide). Le mouvement des molécules qui « constituent le vide », change de caractère lorsque la longueur du libre parcours des molécules devient supérieure aux dimensions du récipient qu'’occupe le gaz. Dans ce cas, les molécules n’entrent que rarement en collision et suivent leur trajectoire sous forme de zigzags rectilignes, venant frapper tour à tour l’une et l’autre paroi du récipient.

Comme il vient d'être dit, dans l’air et à la pression atmosphérique normale, ce trajet est égal à 5-10"% cm. En l’augmentant de 107 fois, il est déjà de 50 cm, soit sensiblement supérieur à la dimension moyenne du récipient. Etant donné que la longueur du parcours est inversement pro- portionnelle à la densité et, par conséquent, à la pression, la pression en ce cas précis doit être

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égale à 1077 de la pression atmosphérique, soit environ 10 mm Hg.

L'espace interplanétaire lui-même n’est pas totalement vide. Toutefois, la densité de la ma- tière n’y représente qu'environ 5:10-%# g/emi. L'essentiel de la substance interplanétaire est formé par l'hydrogène atomique. Actuellement, on estime qu'il y a dans l’espace quelques atomes d'hydrogène par centimètre cube. Si donc on augmente la molécule d'hydrogène jusqu'aux dimensions d’un petit poids et qu’on place cette « molécule » au centre de Moscou, sa voisine cosmique la plus proche se trouvera à Toula.

La structure d’un liquide diffère déjà sensible- ment de celle du gaz dont les molécules sont clairsemées et n’entrent en collision que rare- ment. Dans un liquide, les molécules sont tou- jours tout près les unes des autres. On pourrait les comparer à des pommes de terre dans un sac, à la différence, il est vrai, que les molécules du liquide sont sujettes à une agitation thermique, chaotique et continue. Par suite du manque de place, elles ne peuvent plus se déplacer aussi librement que les molécules d’un gaz. Chacune d’elles « piétine » tout le temps à la même place, dans l'entourage des mêmes voisines et ne se déplace que lentement à l’intérieur du volume occupé par le liquide. Plus celui-ci est visqueux, et plus ce déplacement est lent. Mais même pour un liquide aussi fluide que l’eau, une molé- cule ne se sera déplacée que de 3 À pendant qu’u- ne molécule de gaz en aura parcouru 700.

Dans les solides, enfin, les forces d'interaction moléculaire réagissent avec une extrême énergie au mouvement thermique. Pratiquement, les molécules se trouvent tout le temps dans un état invariable. L'agitation thermique ne se trahit qu'à travers l'oscillation continue des molécules autour de leur position d'équilibre.

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Cette absence de déplacements systématiques donne ce que nous appelons la dureté. En effet les molécules ne changeant pas de voisines, les diverses parties du solide qu'elles forment demeu- rent d'autant plus immuablement solidaires.

COMPRESSIBILITÉ DES CORPS

Les molécules de gaz viennent frapper Îes parois du récipient qui les contient exactement comme des gouttes de pluie qui tambourinent sur un toit. Le nombre des impacts est énorme, et c'est leur action conjuguée qui crée la pression capable d’actionner le piston d’un moteur, de faire éclater un obus ou de gonfler un ballon, Cette grêle de chocs moléculaires, c'est la pression atmosphérique, c’est la pression qui soulève le couvercle d’une bouilloire en ébullition, c’est la force qui chasse la balle du canon d’un fusil.

À quoi est liée la pression d’un gaz ? On conçoit que sa valeur dépend de la puissance de l’im- pact moléculaire. De même, elle dépend de la quantité d’impacts par seconde. Plus les molécu- les sont nombreuses, plus les impacts sont fré- quents et plus grande est la pression. La pression p d’un gaz donné est donc proportionnelle à sa densité.

Si la masse d’un gaz reste invariable, la diminution de son volume va nous permettre d'augmenter sa densité d'autant de fois. C'est. donc que la pression d’un gaz en vase elos est inversement proportionnelle au volume. Autre- ment dit, le produit de la pression par le volume doit être constant:

pV = const.

Cette simple loi, découverte par l'Anglais Boyle et le Français Mariotte, fut l’une des tout premières lois quantitatives dans l'histoire de la

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physique. Evidemment, elle n'est valable que pour une température invariable.

Au fur et à mesure que la pression augmente, l'équation de Boyle-Mariotte perd de son effica- cité. Les molécules se rapprochent, et l’interaction commence à influer sur le comportement du gaz.

La loi de Boyle et Mariotte n’est valable que chaque fois que l'intervention des forces d’inter- action demeure imperceptible. On dit donc que cette loi se rapporte à un gaz parfait. On peut s'étonner de trouver l’adjectif « parfait » appliqué au mot gaz.

Pour le physicien un modèle ou un schéma est parfait quand il est simple. Les calculs se sim- plifient, l’explication des phénomènes physiques devient aisée et claire. Le terme de « gaz parfait » rapporte donc à un gaz répondant au schéma le plus élémentaire. Le comportement des gaz suffisamment raréfiés est pratiquement indiscer- nable de celui d’un gaz parfait.

La compressibilité des liquides est de beau- coup moindre que celle des gaz. Les molécules d’un liquide étant déjà en contact, la compression ne se manifeste que par un « assemblage » amélioré, et aux très grandes pressiuns, par la compression de la molécule proprement dite. Les chiffres sui- vants montrent à quel point les forces de répulsion rendent difficile la compression d'un liquide. Le passage de la pression d’une atmosphère à deux se solde pour un gaz d'une diminution de moitié de son volume alors qu’un volume d’eau ne varie que de 1/20 000 et un volume de mercure de 4/250 000 seulement.

Même l'énorme pression des abysses est inca- pable de comprimer l’eau d’une façon notable. En effet, la pression d’une atmosphère est celle que crée une colonne d’eau de 10 m de hauteur. La pression sous une couche d'eau de 10 kilomè- tres. est égale à 1000 atmosphères. Or, le volume

&:

de l’eau diminue de 1000/20 000, soit d’un vingtième.

La compressibilité des solides diffère peu de celle des liquides. On le conçoit: dans les deux cas, les molécules sont déjà en contact et la compression ne peut être obtenue que par un nouveau rapprochement des molécules qui se repoussent déjà fortement. A l’aide de pressions colossales, de l’ordre de 50 000 à 100 000 atmos- phères, on parvient à comprimer l'acier de 41/1000 et le plomb de 1/7 de leur volume.

Ces exemples montrent que dans les condi- tions terrestres on n'arrive pas à comprimer nota- blement un solide.

Mais il existe dans l'Univers des corps la matière est comprimée beaucoup plus fortement. Ainsi, les astronomes ont découvert des étoiles la densité de la matière atteint 106 g/cmÿ. A l'intérieur de ces étoiles (on les appelle naines blanches, « naines » pour leurs dimensions rela- tivement faibles et « blanches » pour le caractère de leur luminosité), la pression doit donc être énorme.

FORCES SUPERFICIELLES

Peut-on sortir sec de l’eau? Bien entendu, il suffit de s’enduire d’une substance imperméable à l’eau.

Enduisez de paraffine un doigt et plongez-le dans l’eau. Quand vous le retirez vous consta- tez qu'il est sec, à quelques gouttelettes près. Une secousse et les gouttelettes tombent.

Dans ce cas on dit: l’eau ne mouille pas la paraîfine. Le mercure se comporte de même par rapport à presque tous les corps solides. Il ne mouille ni le cuir, ni le verre, ni le bois.

L'eau, plus capricieuse, adhère bien à certains corps et tend à fuir le contact avec d’autres.

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L'eau ne mouille pas les surfaces graisseuses mais mouille bien le verre propre. Elle mouille le bois, le papier, la laine.

Si l’on dépose une gouttelette d’eau sur du verre propre, elle s'étend et forme une pellicule très mince. Si on laisse tomber la même goutte- lette sur de la paraffine, elle garde une forme presque sphérique, à peine comprimée par la pesanteur.

Le pétrole est une substance adhérant à pres- que tous les corps. En cherchant à se répandre à la surface du verre ou du métal il est capable de sortir d’un récipient mal bouché. Un peu de pétrole renversé peut vous empoisonner l’existen- ce pour longtemps, faisant tache sur une grande surface, pénétrant dans toutes les fentes, impré- gnant les habits. Voilà pourquoi il est si difficile de se défaire de son odeur désagréable.

La propriété qu'ont certains corps de ne pas se mouiller peut être à l’origine de phénomènes très curieux. Prenons une aiguille, enduisons-la de graisse et posons-la doucement à plat sur l’eau. L’aiguille ne coule pas. En regardant plus attentivement on remarque qu'elle forme un enfoncement sur l’eau et flotte tranquillement dans le creux. Mais il suffit d'appuyer légèrement pour que l'aiguille s'enfonce. Il faut pour cela qu'une partie suffisamment importante soit im- mergée.

Cette amusante propriété est utilisée par certains insectes aquatiques qui évoluent rapide- ment à la surface de l’eau sans mouiller leurs pattes.

On utilise le mouillage dans l’industrie pour enrichir les minerais par flottation. Le phénomè- ne consiste en ceci. Le minerai finement broyé est placé dans un bac rempli d’eau à laquelle on ajoute une huile spéciale possédant la propriété de mouiller les particules de minerai, mais de ne.

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pas mouiller la gangue. Un malaxage énergique permet d’envelopper ces particules d’une pelli- cule d'huile.

Dans cette masse noire formée de minerai, d’eau et d'huile on injecte de l’air sous pression. Une grande quantité de petites bulles d'air formant écume monte à la surface. La technique de la flottation est basée sur le fait que les parti- cules baignées d'huile s’accrochent aux bulles d’air qui les emportent à la surface, exactement comme des ballons.

Le minerai fait surface avec l’écume, la gangue demeure au fond. On prélève l’écume pour la soumettre ensuite à un traitement permet- tant d'obtenir un concentré plusieurs fois purifié.

Les forces d’adhérence qui s’exercent entre les surfaces sont capables de perturber le prin- cipe des vases communicants, ce qui est facile à vérifier.

Si l’on introduit un tube de verre très fin (une fraction de millimètre de diamètre) dans de l’eau, le liquide, violant le principe des vases communicants, monte rapidement et s'arrête à un niveau de beaucoup supérieur à celui du récipient de départ (fig. 2.4).

Que s'est-il passé? Quelles forces maintien- nent le poids de la colonne de liquide ? L’ascen- sion est due aux forces qui font adhérer l’eau au verre. Les forces d'adhésion superficielle ne se manifestent de façon visible que lorsqu'on dispo- se d’un tube suffisamment mince. Plus le tube est mince et plus le liquide monte haut, plus le phénomène est accusé. La désignation de ces phé- nomènes superficiels provient du nom des tubes utilisés. Le diamètre de leur canal ne dépasse pas quelques fractions de millimètre ; un tube de ce genre est appelé capillaire (ce qui signifie fin comme un cheveu). Et le phénomène que nous avons observé est appelé capillarité. .

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Voyons à quelle hauteur les capillaires peuvent faire monter un liquide. Vérification faite, dans un tube de 1 mm de diamètre l’eau monte à 1,5 mn. Pour un diamètre de 0,01 mm la hauteur d'ascension augmente dans la même proportion que diminue le diamètre, c’est-à-dire qu'elle est égale à 15 cm.

Bien entendu, l’ascension n'est possible que si la surface du verre est mouillée. Il est facile de comprendre que le mercure ne montera pas dans un tube de verre. Bien au contraire, il descend. En effet, le mercure « a horreur » du contact avec le verre et tend à réduire la surface commune à la limite de ce que permet la pesan- teur.

Il existe une multitude de corps que l’on peut apparenter à un système de tubes très fins. Tous ces corps présentent toujours des phénomè- nes de capillarité.

Les plantes sont dotées d’un système complexe de longs canaux et de pores. Leur diamètre est souvent inférieur à un centième de millimètre. Les forces capillaires peuvent ainsi pomper l’eau du sol à une grande hauteur et la distribuer dans toutes les parties de la plante.

Le papier buvard est une chose fort commode. Vous avez fait une tache au moment de tourner

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Fig. 2.5

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la page. Il serait fastidieux d'attendre que le pâté sèche. On prend donc un buvard, on trempe un coin dans la goutte et l’encre monte rapide- ment comme s’il n’y avait pas de pesanteur.

On a un phénomène de capillarité typique. Le microscope permet de voir la structure du bu- vard: ce papier se compose d’une trame assez lâche de fibres formant de longs canaux très fins. Ce sont ces canaux qui jouent le rôle de capillaires.

Les mèches de lampe à pétrole présentent le même système de longs pores ou canaux formés par les fibres, permettant au pétrole d’affluer. Une mèche permet encore de créer un siphon: on enfonce une de ses extrémités dans le liquide de façon que l’autre pende plus bas que la pre- mière (fig. 2.5).

Dans la teinturerie on utilise aussi assez souvent cette capacité des tissus d’absorber un liquide par les canaux minuscules que forment les fils.

Mais nous n'avons rien dit encore du méca- nisme moléculaire de ces phénomènes intéres- sants.

Les différences de forces superficielles s’ex- pliquent parfaitement par les interactions molé- culaires.

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Une goutte de mercure ne s'étale pas sur un verre. Ceci a lieu parce que l'énergie d’interac- tion des atomes de mercure est supérieure à l'énergie de liaison des atomes du verre et du mercure. Pour la même raison, le mercure ne monte pas dans les capillaires étroits.

Il en va tout autrement avec de l’eau. Ils’avè- re que les atomes d'hydrogène que contiennent les molécules d’eau s’accrochent volontiers aux atomes d'oxygène présents dans l’oxyde de silice qui constitue pour l’essentiel le verre. Les forces intermoléculaires eau-verre sont supérieures aux forces intermoléculaires eau-eau. Voilà pourquoi l’eau s'étale sur le verre et s'élève dans les capil- laires.

Les forces superficielles, ou plus exactement, l'énergie de liaison (la profondeur du puits sur la figure 2.1), pour diverses paires de substances, sont faciles à mesurer et à calculer. Mais nous serions entraînés trop loin s’il fallait dire ici comment cela se fait.

LES CRISTAUX ET LEURS FORMES

Il est courant de penser que les cristaux sont ces jolies pierres de différentes couleurs, générale- ment transparentes et de belle forme régulière que l’on rencontre assez rarement dans la nature. Il s’agit le plus souvent de polyèdres aux faces parfaitement planes et aux arêtes bien droites. Rien de plus beau que les mille jeux de la lumière sur leurs facettes ou l’étonnante régularité de leur structure.

Il y a de modestes cristaux de sel gemme (du chlorure de sodium naturel), c’est-à-dire du sel de cuisine ordinaire. On les trouve sous forme de parallélépipèdes droits ou de cubes. Les cristaux de calcite épousent également la forme simple de parallélépipèdes obliques transparents.

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Ceux du quartz sont beaucoup plus complexes: chaque petit cristal présente de multiples facettes aux formes différentes, se coupant suivant des arêtes de différentes longueurs.

Or, en réalité, les cristaux ne sont nullement une rareté, et l’on les trouve littéralement par- tout. Presque tous les solides dont nous nous ser- vons pour construire nos maisons et nos machines, les produits que nous employons couramment sont des cristaux. Pourquoi donc ne le voyons- nous pas? C’est que la nature nous offre rarement des corps qui se fussent présentés sous la forme de cristaux distincts (ou monocristaux). Le plus souvent les différentes substances s'offrent sous la forme de grains cristallins solidement amalga- més et de très petites dimensions, inférieurs à un millième de millimètre. Le microscope seul permet de voir une telle structure.

Les corps ainsi composés de grains cristallins sont appelés polycristallins.

Il est évident que les corps polycristallins doivent aussi être considérés comme des cristaux. On voit alors que presque tous les solides qui nous entourent sont des cristaux. Le sable, le granit, le cuivre, le fer, le salol des pharmacies et la peinture sont des cristaux.

Il y a des exceptions, bien entendu: ni le verre ni les matières plastiques ne se composent de cristaux. Des solides de ce genre sont dits amorphes.

Ainsi, étudier les cristaux revient à étudier presque tous les corps qui nous entourent. C’est dire combien une telle étude est importante.

On reconnaît immédiatement un monocristal à sa forme régulière : faces planes et arêtes droites en sont des propriétés caractéristiques. Il y a de fortes chances pour que la régularité de la forme soit liée à une régularité de la structure interne. Si un cristal s’est étiré dans une direction pri-

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vilégiée, cela veut dire que dans cette direction sa structure présente certaines particularités.

Mais supposons que d’un gros cristal on façon- ne une sphère. Va-t-on deviner qu'il s’agit d’un cristal et distinguer cette sphère d’une sphère en verre ordinaire? Vu que les diverses faces d’un cristal reçoivent un développement diffé- rent, on en déduit que les propriétés physiques de ce cristal sont de même dissemblables selon les directions. Ceci se rapporte à la résistance, à la conductibilité électrique et à maintes autres propriétés. Cette particularité du cristal est appelée anisotropie.

Les cristaux étant anisotropes, les corps amor- phes, les liquides et les gaz sont, au contraire, isotropes, c’est-à-dire qu'ils conservent les mêmes propriétés dans toutes les directions (isos en grec signifie « égal » et tropos « manière »).

L’anisotropie, précisément, nous permet de savoir si un corps de forme irrégulière et transpa- rent est un cristal ou non.

Allons de ce pas au musée minéralogique et examinons attentivement les divers spécimens monocristallins d’une même matière qu'on y trouve exposés. Le plus probable est que nous trouverons des spécimens de formes régulières et d’autres, de formes irrégulières. (Certains cristaux auront l’air de débris, d’autres pourront présenter une ou deux faces à développement « anormal ».

Choisissons dans le tas les spécimens qui nous paraissent idéaux et faisons-en le croquis. Le résultat est montré sur la figure 2.6. En qualité d'exemple, nous avons pris le quartz, toujours lui. Comme certains autres cristaux, le quartz peut développer un nombre variable de faces d’une « sorte », mais aussi un nombre variable de ces « sortes » de faces. Mais même si la similitude n'est pas immédiatement évidente, tous ces

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petits cristaux se ressemblent les uns les autres, comme des proches parents ou des jumeaux. A quoi tient donc leur similitude ?

Considérons la figure 2.6 l’on a représenté les différents cristaux de quartz. Ce sont tous de proches « parents ». On peut parachever la simi- litude en rectifiant les faces à l'épaisseur voulue tout en ayant soin de préserver le parallélisme. On voit sans difficulté que par ce moyen, le cristal IT, par exemple, peut être rendu semblable au cristal Z. Ceci, parce que les angles entre les faces semblables sont similaires, par exemple entre les faces À et B, B et C, etc.

Ladite égalité d’angles est précisément ce qui constitue ce que nous avons appelé la « pa- renté » des cristaux. Lorsque nous en rectifions les faces en préservant le parallélisme, la forme du cristal change, mais les angles que forment les faces restent les mêmes.

Lorsque le cristal croît, ses différentes faces peuvent connaître, du fait de toute sorte de contingences, des conditions de croissance plus

k—01030 49

Fig. 2.7

ou moins favorables. La similitude apparente de spécimens formés dans des conditions diffé- rentes peut alors ne plus être sensible, mais les angles formés par les faces semblables de tous les cristaux du corps étudié restent toujours iden- tiques. Si donc la forme du cristal est fortuite, les angles formés par les faces correspondent à sa nature interne (le lecteur comprendra par la suite pourquoi).

Mais la régularité des faces n’est pas l’unique propriété des cristaux les distinguant des corps amorphes. Les cristaux possèdent encore une symétrie. Pour bien comprendre le sens de ce terme, nous allons recourir à des exemples.

Sur la figure 2.7, nous voyons une sculpture; devant elle, il y a une grande glace. L'image que renvoie la glace, reproduit très exactement l’objet qui s’y reflète. Le sculpteur peut de même exécuter deux figures et les disposer ainsi que la sculpture et son image dans la glace. Cette scul- pture « double » sera une figure symétrique, elle se compose de deux parties symétriquement iden- tiques. La partie droite de la sculpture corres- pond exactement à l’image reflétée de sa partie gauche. Cette composition symétrique possède un plan vertical de symétrie par réflexion, passant

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au milieu des deux figures. Le plan de symétrie est un plan virtuel, mais que nous appréhendons très nettement à l'examen d’un corps à structure symétrique.

Le plan de symétrie est commun au corps des animaux, et l’on peut retrouver chez l’homme ce plan vertical de symétrie apparente. Dans le monde animal, la symétrie ne s’accomplit qu'approximativement, et plus généralement, il n'existe pas de symétrie parfaite. L'architecte peut dessiner une construction formée de deux moitiés idéalement symétriques. Mais lorsque sa maison sera construite, et quelle que soit la qualité de l’ouvrage, on trouvera toujours des différences entre les deux parties correspondan- tes; par exemple, une fissure qui figure ici et ne figure pas là.

La symétrie la plus exacte s’accomplit dans le monde des cristaux, mais sans atteindre à l'idéal, non plus: des lézardes et des égratignu- res invisibles à l’œil nu apporteront toujours une certaine distinction entre des faces apparemment identiques.

Sur la figure 2.8, on voit un moulin en papier. Lui aussi est symétrique, mais on s'aperçoit vite qu'il est impossible de tracer son plan de symétrie. À quoi tient alors la symétrie de cette figure? Pour commencer, interrogeons-nous sur ses parties

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symétriques. Combien y en a-t-il? A l'évidence, quatre. En quoi consiste la régularité de la dispo- sition réciproque de ces parties identiques ? Cela aussi saute aux yeux. Faisons tourner le moulin d’un angle droit dans le sens contraire des aiguil- les d’une montre, soit d’un quart de tour ; l’aile Z vient prendre la place de l’aile 2, l'aile 2 celle de l’aile 3, l’aile 3 celle de l’aile 4 et l’aile 4 celle de l’aile 7. La nouvelle position ne peut être distinguée de la précédente. A propos de ce moulin, nous allons dire qu’il possède un axe de symétrie, plus exactement un axe de symétrie du quatrième ordre, vu que la superposition se produit à chaque quart de tour.

Ainsi, l’axe de symétrie nous apparaît comme une ligne droite autour de laquelle une certaine rotation permet de placer l’objet considéré dans une position indiscernable de la position de départ. L'ordre de l’axe (le quatrième dans notre cas) indique que cette superposition se produit pour une rotation d’un quart de tour. Par conséquent, quatre rotations consécutives nous permettent de retrouver la position initiale.

Avons-nous affaire avec des symétries de n'importe quel type dans l’univers de cristaux ? L'expérience montre que non.

Avec les cristaux, nous n'avons affaire qu’à des axes de symétrie des 2-e, 3-e, 4-e st 6-e ordres. Et ce n’est pas un hasard. Les cristallographes démontrent que ceci est à la structure interne du cristal. C’est pour cette raison que le nombre des espèces ou, comme on dit, classes de symétrie des cristaux, est relativement modeste, soit 32.

STRUCTURE DES CRISTAUX

Pourquoi la forme d’un cristal est-elle si parfaite, si régulière? Ses faces brillantes et unies paraissent avoir été travaillées par quelque

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Fig. 2.9

habile polisseur, ses différentes parties se répètent en donnant une belle figure symétrique. L’excep- tionnelle régularité des cristaux était déjà con- nue dans l’antiquité. Mais en ce temps-là, ce qu'on en savait différait peu des histoires et des légendes imaginées par les poètes fascinés par la beauté de ces formations. On croyait, par exem- ple, que le cristal de glace se forme effectivement à partir de la glace, et le diamant, à partir du cristal. Les cristaux se voyaient attribués une multitude de propriétés mystérieuses: remèdes contre les maladies, antidotes des poisons, in- fluences sur les destinées humaines...

C'est aux XVIIe-XVIIIe siècles qu'apparais- sent les premières approches scientifiques sur la nature de cristaux. Une idée en est fournie par la figure 2.9, puisée dans un ouvrage du XVIIIE siècle. De l’avis de l’auteur, le cristal est formé de minuscules briquettes étroitement solidaires les unes des autres. Ce point de vue est assez natu- rel. Si, en effet, on assène un fort coup de marteau sur un cristal de calcite (carbonate de calcium), il se brise en menus morceaux de différentes grandeurs. En les examinant attentivement, on constate que ces morceaux gardent une forme

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régulière, tout à fait semblable à celle du grand

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cristal qui les a produits. Et le savant de déduire qu'en toute probabilité, toute réduction ulté- rieure du cristal doit se faire de la même façon, jusqu’à parvenir à l'ultime briquette, invisible à l'œil nu, qui représente le cristal de la roche en question. Ces briquettes sont si petites que les gradins qu'elles constituent et qui forment la face du cristal, nous paraissent parfaitement lisses. Mais si l’on veut aller encore plus loin, que peut-on dire de cette ultime briquette? Voici une question à laquelle le savant de cette époque-là n'avait pas de réponse.

En tout état de cause, la théorie des briquettes s’est montrée très fructueuse pour la science. Elle a expliqué notamment l'origine des arêtes et des faces rectilignes du cristal: lorsque le cristal croît, de nouvelles briquettes viennent flanquer les autres, la face pousse à la façon du mur de briques posé par le maçon.

Donc, la réponse à l’origine de la perfection et de la beauté de la forme des cristaux était con- nue depuis longtemps. Elle tient à la régularité interne, laquelle tient à la répétition multiple de parties élémentaires identiques.

Imaginez une grille de parc faite en barreaux de différentes longueurs et disposés n'importe comment. Le spectacle n’est pas beau. Une belle grille sera faite en barreaux de même longueur, disposés à intervalles identiques.

Le même principe de répétition est utilisé pour les papiers peints. Là, l'élément du dessin, disons une petite fille jouant au ballon, ne se répète plus seulement dans un sens, comme c'était le cas pour la grille, mais remplit une surface.

Mais quel rapport une grille de parc et un papier peint ont-ils avec un cristal? direz-vous. Le rapport le plus direct. Une grille de parc se compose d'éléments se répétant au long d’une ligne, le papier peint se compose de dessins se

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Fig. 2.10 RE SE

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répétant dans un plan et un cristal se compose d’un groupe d’atomes se répétant dans l’espace. Voilà pourquoi on dit que les atomes d’un cristal forment un réseau spatial (ou cristallin).

Il nous faut examiner ici un certain nombre de détails touchant aux réseaux cristallins, et pour ne pas poser au dessinateur de problème inextri- cable, nous allons raisonner à l'exemple d’un morceau de papier peint.

Sur la figure 2.10, nous avons le coupon mini- mal qui nous permet d'obtenir par simple trans- position toutes les autres compositions. Pour le mettre en évidence, nous traçons à partir d’un point quelconque du dessin, par exemple le centre d'une balle, deux droites reliant la balle choisie à deux balles voisines. En se servant de ces lignes, on peut construire, comme cela apparaît sur le dessin, un parallélogramme. Et maintenant, en transposant ce coupon dans le sens des droites initiales principales, on peut obtenir tout le dessin de la tenture. Ce coupon minimal peut être

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sélectionné de différentes façons: à l’examen du dessin, on constate qu'il peut donner lieu à plusieurs parallélogrammes différents, chacun comportant une figure. Et nous insistons qu'il nous est indifférent, en l'occurrence, que la figure reste entière à l’intérieur du coupon sélectionné ou partagée par les lignes qui délimitent ledit coupon.

Il serait erroné de penser qu'en ayant terminé des figures qui se répètent sur le papier peint, le dessinateur peut considérer son travail comme achevé. Ce ne serait vrai qu’au cas la com- position du papier ne pourrait être réalisée que par un procédé unique, soit l’apposition au coupon comportant une figure d'un autre coupon identique que l’on fait glisser parallèlement.

Mais outre ce procédé le plus simple, il y a seize autres manières de remplir le papier peint avec un dessin se répétant régulièrement, c’est-à- dire que la disposition réciproque des figures sur la surface peut se faire selon 17 types diffé- rents qui sont indiqués sur la figure 2.11. En qualité de motif à répétition, le choix a porté sur la figure la plus simple, quoique privée, comme sur la figure 2.10, de symétrie propre. Il reste que les compositions auxquelles elle donne lieu sont symétriques, et que leur différence tient à la différence de symétrie dans la disposition des motifs.

Nous constatons par exemple que dans les trois premiers cas, le motif n’a pas de plan de symétrie par réflexion, car on ne peut pas placer le miroir vertical en sorte qu’une partie du dessin soit l’image d’une autre partie. En revanche, dans les cas 4 et 5, le plan de symétrie est présent. Dans les cas 8 et 9, on peut même disposer deux miroirs perpendiculaires l’un à l’autre. Dans le cas 10, on a des axes du quatrième ordre perpendiculaires au dessin et dans le cas 11, des axes du troisième

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Fig. 2.11

ordre. Dans les cas 13 et 15, on a des axes du sixième ordre et ainsi de suite.

Les plans et les axes de symétrie de nos dessins ne se manifestent pas en solitaires, mais par « familles » parallèles. Si on à trouvé un point par lequel on peut tracer l’axe (ou le plan) de symétrie, on trouve aussi facilement le point voisin puis, à la même distance, le troisième, le quatrième et tous les autres points par lesquels passent des axes (ou des plans) de symétrie iden- tiques.

Bien entendu, les 17 types de symétrie du motif plan n’épuisent pas toute la diversité des

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LIGNES SPÉCULAIRES

LIGNES SPÉÇULAIRES

Fig. 213

compositions autorisées par la même figure; le dessinateur doit fournir une indication supplé- mentaire, comment disposer la figure par rapport aux droites qui délimitent la cellule. Sur la figure 2.12, nous avons deux motifs de papier peint composés à l’aide de la même figure initiale, mais disposés différemment par rapport aux miroirs. Les deux compositions se rapportent au cas 8.

Tout corps, y compris le cristal, se compose d’atomes. Les corps simples se composent d’ato- mes identiques, les corps complexes, d’atomes de deux ou de plusieurs espèces. Supposons que nous soyons à même d'examiner à l’aide d'un

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microscope de puissance exceptionnelle la surface d’un cristal de sel de cuisine et de discerner les centres des atomes. La figure 2.13 montre que ces atomes sont disposés le long de la face du cristal, à la façon du motif du papier peint. A pré- sent, on comprend aisément ce qu'est la structure du cristal: celui-ci n’est rien d'autre qu’un « papier peint à trois dimensions ». Les cellules élémentaires à trois dimensions, c’est-à-dire au- tres que planes, sont les « briquettes » en question, dont la juxtaposition dans l’espace produit le cristal.

Finalement, combien y a-t-il de variantes de construction de nos « papiers à trois dimensions » à partir de coupons élémentaires? Ce problème mathématique hautement complexe a été résolu à la fin du siècle dernier par Evgraf Fédorov, lequel a démontré qu'il doit en exister 230 au total.

Tout ce que la science moderne sait de la structure interne des cristaux, a été obtenu par analyse aux rayons X, un procédé dont nous parlerons au volume 4.

Les cristaux sont de sortes différentes; il en existe de cristaux simples, bâtis à l’aide d’atomes d'une seule espèce. Par exemple, le diamant est un carbone pur. Les cristaux du sel de cuisine, eux, sont formés d'ions de deux sortes: sodium et chlore. Mais il y a des cristaux plus complexes, ceux-là peuvent être bâtis à partir de molécules formées d’atomes de plusieurs espèces.

Il reste qu’on peut toujours isoler dans un cristal le plus petit groupe d’atomes répétitifs (dans le cas le plus simple, il s’agira d’un atome), autrement dit, la maille cristalline.

Les dimensions de la maille peuvent être des plus variées. Les plus petites distances entre nœuds voisins (les sommets des mailles) se ren- contrent chez les cristaux les plus simples, bâtis

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à l’aide d’atomes de la même espèce; et les plus grandes chez les cristaux complexes de pro- téine. Ces distances varient de 2 ou 3 à quelques centaines d’angstrôms (un cent-millionième de centimètre).

Les réseaux cristallins offrant la plus grande variété de formes, les propriétés qui leur sont communes s'expliquent sans la moindre défail- lance par la structure réticulaire des cristaux. D'emblée, on conçoit aisément que les faces idéale- ment planes sont celles qui passent par les nœuds cristallins, sièges des atomes. Mais comme on peut tracer autant de plans réticulaires qu’on voudra, selon toutes les directions, comment sa- voir lesquels de ces plans délimitent le cristal qui s’est formé ? C’est qu'il s’agit de bien con- sidérer ceci : les divers lignes et plans réticulaires sont remplis de nœuds avec une densité variable. L'expérience montre que le cristal est limité par les plans (les couches) la répartition des nœuds est la plus dense, et que ces plans se coupent selon des arêtes correspondant également à une densité de nœuds maximale.

La figure 2.14 représente une vue du réseau cristallin perpendiculaire à sa face; on a dessiné les traces laissées par un certain nombre de plans réticulaires perpendiculaires au dessin. Il apparaît de tout ceci que le cristal peut donner lieu à des

Fig. 2.14

faces parallèles aux plans réticulaires Z et ZII, mais qu'il n’y aura pas de faces parallèles aux plans ZI à faible densité de nœuds.

A l'heure actuelle, on connaît des centaines de structures cristallines. Nous commencerons par la description des cristaux les plus simples, et d’abord par ceux qui sont construits avec des atomes d’une même sorte.

Les trois réseaux représentés sur la figure 2.15 sont les plus répandus. Les petits ronds repré- sentent les centres des atomes; les lignes qui les réunissent n’ont pas de sens réel. Elles ont été tracées dans le seul but de mieux faire comprendre la disposition spatiale des atomes.

Les figures 2.15, a et 2.15, b représentent des réseaux cubiques. Pour mieux vous les repré- senter, imaginez que vous avez empilé le plus simplement du monde, arête contre arête, face à face, des cubes d'enfants.

Si maintenant vous placez mentalement des points aux sommets et au centre de vos cubes, vous avez le réseau cubique représenté sur le dessin de gauche. Une telle structure est appelée réseau cubique centré. Si vous placez des points aux sommets des cubes et au centre de leurs faces, vous avez le réseau cubique représenté sur la figure du milieu et qui $’appelle réseau cubique à faces centrées.

Le troisième réseau (fig. 2.15, c) est appelé hexagonal compact. Pour comprendre l’origine de ce terme et mieux se représenter la disposition à laquelle il donne lieu, prenons des boules de billard et disposons-les aussi serrées que possible. D'abord, nous constituerons une couche compacte se présentant comme des boules de billard russe disposées en triangle au commencement d’une partie (fig. 2.16). Notons déjà que la boule à l’intérieur du triangle a six voisines avec les- quelles elle est en contact et qui forment un hexa-

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Fig. 2.16

gone. Continuons d’'empiler nos boules. Si on place celles de la couche suivante directement au-dessus des boules de la première couche, l’as- semblage n’est pas compact. Comme nous dési- rons empiler dans le même volume un maximum de boules, nous devrons placer celles de la deuxième couche dans les creux de la première, celles de la troisième couche dans les creux de la deuxième et ainsi de suite. Dans l’assemblage hexagonal compact les centres des boules de la troisième couche se trouvent au-dessus des centres des boules de la première.

Les centres des atomes d’un réseau hexagonal compact sont disposés exactement de la même façon.

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Une multitude d'éléments cristallise dans les trois systèmes décrits:

Système hexagonal compact Be, Co, Hf, Ti, Zn, Zr

Système cubique à faces centrées Al, Cu, Co, Fe, Au, Ge, Ni, Ti

Système cubique centré Cr, Fe, Li, Mo, Ta, Ti, U, V

Indiquons quelques autres structures. Voici sur la figure 2.17 celle du diamant. Ici, l’atome de carbone possède quatre voisins immédiats. Comparons avec ce qui se passe pour les trois structures courantes que nous venons de décrire. D’après les dessins, nous constatons que dans un assemblage hexagonal compact chaque atome a 12 voisins, autant dans un réseau cubique à faces centrées et 8 dans un réseau cubique centré.

Disons aussi quelques mots sur le graphite dont la structure est montrée sur la figure 2.18. La particularité de cette structure saute aux yeux. Effectivement, le graphite se compose de couches d’atomes assemblés de telle sorte que les atomes d’une même couche sont plus forte- ment liés entre eux que les atomes de deux couches voisines. Une telle disposition est due à la valeur

Fig. 2.17 Fig. 2.18

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des distances interatomiques: la distance entre les atomes d’une même couche est 2,5 fois plus petite que la plus courte distance entre deux couches adjacentes.

C'est à la présence de ces couches atomiques faiblement liées que les cristaux de graphite doi- vent se cliver facilement suivant ces couches. Voilà pourquoi le graphite, bien que dur, peut servir de lubrifiant dans les cas il est impos- sible d'utiliser des huiles de graissage, par exem- ple aux températures très basses ou très hautes. Le graphite est donc un lubrifiant solide.

Le mécanisme du frottement de deux corps se ramène grosso modo à ce que les aspérités micro- scopiques de l’un s’imbriquent dans les cavités de l’autre. Comme l'effort nécessaire pour désagré- ger un cristal de graphite microscopique est de beaucoup inférieur aux forces de frottement, un lubrifiant fait de cette matière facilite de beau- coup le glissement d’un corps sur un autre.

Les structures cristallines des combinaisons chimiques sont d’une variété infinie. Le sel gemme et le bioxyde de carbone représentés sur les figures 2.19 et 2.20 en sont des cas extrêmes.

Les cristaux du sel gemme (fig. 2.19) se com- posent d’atomes de sodium (petites billes foncées) alternant le long des axes du cube avec des atomes de chlore (grandes billes claires).

Chaque atome de sodium possède 6 voisins d’une autre sorte tous situés à la même distance. Il en est de même pour le chlore. Mais est la molécule de chlorure de sodium ? Il n’y en a pas. En effet, non seulement il manque dans ce cristal le groupe formé d’un atome de sodium et d’un atome de chlore, mais, d’une façon générale, aucun groupe ne s’y distingue spécialement.

Ainsi, la formule chimique NaCl ne nous per- met pas de dire que telle substance est faite de molécules de NaCI. Elle ne fait qu'indiquer que

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la substance est bâtie d’un même nombre d’atomes de sodium et de chlore.

C'est la structure qui décide du problème d'existence des molécules dans une substance. Si on ne peut y distinguer un groupe d’atomes proches, c’est qu'il n’y a pas de molécules.

Le cristal du gaz carbonique CO, (glace sèche dont se servent les marchands de glaces) est un exemple de cristal moléculaire (fig. 2.20).

Les centres des atomes d’oxygène et de carbone de la molécule de CO, sont situés le long d’une droite (voir fig. 2.2). La distance C—O est égale à 1,3 À, tandis que les atomes d'oxygène de molécules voisines sont distants d'environ 3 À. Nous « reconnaissons » immédiatement la molé- cule à l’intérieur du cristal.

Les cristaux moléculaires représentent des

5—01030 65

Fig. 2.21

assemblages très compacts de molécules. Pour le voir, il faut tracer les contours des molécules, ce qui a été fait sur la figure 2.20.

Toutes les substances organiques donnent des cristaux moléculaires. Les molécules organiques comportent couramment des dizaines et des centaines d’atomes (celles qui en comportent des dizaines de milliers feront l’objet d’un chapitre spécial). Comme il n’est pas possible d’en repré- senter graphiquement l’empilage, le lecteur ne trouvera dans ce livre que des dessins semblables à la figure 2.21. Les molécules de cette substance organique sont composées d’atomes de carbone : les petits traits symbolisent les liaisons de valen- ce. Les molécules donnent l'impression d'être suspendues dans le vide. Mais n'en croyez pas vos yeux: le dessinateur ne les a représentées ainsi que pour qu'on puisse voir la répartition des molécules à l’intérieur du cristal. Par souci de simplification, il n'a même pas représenté les atomes d'hydrogène unis aux atomes extérieurs de carbone (d’ailleurs, c’est une pratique fré- quente chez les chimistes). Encore moins a-t-il jugé utile de tracer le contour de la molécule, de lui conférer une forme. L’aurait-il fait, nous verrions que le principe de l’imbrication des

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molécules, la clé dans le trou de la cellule, fonc-

tionne ici comme dans tous les autres cas sembla- bles.

SUBSTANCES POLYCRISTALLINES

Nous avons déjà signalé que les corps amorphes se rencontrent rarement dans le monde des solides. La majorité des objets qui nous entourent est formée de petits grains cristallins dont les dimensions tournent autour du millième de millimètre.

La structure granuleuse des métaux est une découverte qui date encore du siècle dernier. Les chercheurs l’ont faite à l’aide du microscope le plus ordinaire. Il a suffi de faire en sorte que l'examen ne se fasse pas par transparence, mais par réflexion. C’est ce qu'on fait jusqu’à présent.

Le tableau qui s'ouvre à l’œil est montré sur la figure 2.22. Le dessin des grains apparaît très nettement. En règle générale, on voit à la péri- phérie les accumulations de corps étrangers.

C'est de la grandeur du grain, de ce qui se passe à sa périphérie et de son orientation que dépendent dans une grande mesure les propriétés du matériau. Aussi les physiciens ont-ils con-

Fig. 2.22

5* 67

sacré beaucoup d'efforts à l’étude des corps poly- cristallins. Le fait que chaque grain est un cristal a été prouvé au moyen de l’analyse aux rayons X, une technique dont nous avions promis de parler.

Tout traitement auquel est soumis un métal se répercute immédiatement sur l’état de ses grains. Voici un morceau de métal obtenu par coulage : ses grains sont disposés dans le désordre, leur dimension est assez grande. Mais on se sert de ce métal pour le tréfiler et obtenir du fil de fer. Quel est le comportement des grains cris- tallins? L'étude montre que les modifications de forme que subit un solide au tréfilage ou pour tout autre traitement mécanique, se soldent par la rupture des grains cristallins. Simultanément et sous l’action des forces mécaniques, un certain ordre se fait jour dans leur disposition. Quelle est cette ordonnance, et comment peut-on parler d'ordonnance lorsque les débris résiduels des grains ont perdu toute forme cohérente?

Certes, la forme apparente du fragment de grain peut avoir n'importe quel aspect, mais le fragment de cristal est encore un cristal: les atomes qui constituent son réseau s’imbriquent toujours avec la régularité du cristal aux faces parfaites. C’est dire que pour chaque débris, on peut indiquer la disposition de sa maille cristal- line primitive. Avant traitement, les mailles n’obéissent à un ordre précis qu'à l’intérieur de chaque grain, une ordonnance plus générale est d'ordinaire inexistante. Mais après traitement, les grains se placent de telle sorte que la position de leurs mailles laisse voir un certain ordre géné- ral, qui a reçu le nom de texture; par exemple, les diagonales des mailles de tous les grains se disposent selon une parallèle approximative au sens du traitement.

La figure 2.23 aide à mieux saisir ce qu'est

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Fig. 2.23

la texture. Les rangées de points qu’on voit à l’intérieur des grains symbolisent les plans atomiques. À gauche, il n’y a pas de texture. À droite, l’ordre règne.

À différents procédés de traitement (laminage, forgeage, tréfilage) correspondent divers types de textures. Dans certains cas, les grains s’orien- tent de telle sorte que leurs mailles cristallines s’ordonnent selon la diagonale par rapport au sens du traitement mécanique; dans d’autres cas, en présentant l’arête du cube, et ainsi de suite. De la qualité du laminage ou ‘du tréfilage dépend la qualité de la texture des grains cristal- lins du métal. La texture influe puissamment sur les propriétés mécaniques de l’objet usiné. L'étude de la disposition et des dimensions des grains cristallins dans les objets métalliques a versé la lumière sur la nature du traitement mécanique des métaux et montré quelles sont les meilleures technologies à appliquer.

La restructuration des grains cristallins con- cerne une autre technologie des plus importantes, celle du recuit. Quand on chauffe un métal laminé ou tréfilé, on voit débuter, à une température suffisamment élevée, la croissance de nouveaux cristaux à partir des anciens. Le traitement ther- mique a pour effet de détruire peu à peu la tex-

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ture, les cristaux neufs se disposent dans le dé- sordre. À mesure que la température monte (ou même, en prolongeant le délai du recuit) les nouveaux grains croissent, les anciens disparais- sent, les premiers pouvant atteindre une dimen- sion qui les rend discernables à l'œil nu. Bref, le recuit modifie profondément les propriétés du métal. Celui-ci devient plus plastique et moins dur, ce qui est à la taille majorée des grains et à la disparition de la texture.

CHAPITRE 3

TEMPÉRATURE

THERMOMÈTRE

Si l’on met en contact deux corps de tempé- ratures différentes, le plus chaud se refroidira et le plus froid se réchauffera. On dit que ces deux corps échangent de la chaleur.

Comme nous l’avons vu, l’échange de chaleur est une des formes de transmission de l’énergie. Nous sentons qu’un corps est chaud s’il chauffe notre main, c’est-à-dire lorsqu'il nous transmet de l’énergie. Au contraire, si un corps donne une sensation de froid, cela veut dire qu’il nous em- prunte de l'énergie. Nous disons d’un corps qui cède de la chaleur (c'est-à-dire qui cède de l’éner- gie par échange thermique) que sa température est supérieure à celle du corps qui capte cette chaleur.

L'observation de la température d’un objet mis en présence d’un autre va nous permettre de lui trouver « sa place » dans la rangée des corps réchauffés. La température apparaît ainsi comme une sorte de marque indiquant pour quels corps l’objet qui nous intéresse sera donneur et pour quels corps il sera récepteur de chaleur.

On mesure la température à l’aide d’un ther- momètre.

De multiples propriétés des corps sensibles à la température peuvent servir de point de dé- part à la construction de cet instrument. Le plus souvent on utilise la propriété de certains corps de se dilater lorsque la température s'élève.

Si le corps thermométrique change de volume au contact d'autres corps, cela signifie que ces derniers ont des températures différentes. Une

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dilatation du corps indique que la température de l’objet exploré est supérieure et vice versa.

Les substances les plus variées peuvent servir à confectionner un thermomètre: des liquides, comme le mercure ou l'alcool, des corps solides (des métaux) et gazeux. Comme toutes ces sub- stances se dilatent différemment, les degrés des thermomètres à mercure, à alcool, à gaz, etc., ne cCoïncideront pas. Bien entendu, on pourra toujours marquer sur tous les thermomètres deux points principaux, la température à laquelle fond la glace et celle à laquelle l’eau bout. Ce qui fait que tous les thermomètres indiqueront pareillement et 100 °C. Mais entre ces deux températures la dilatation pourra varier de beau- coup. Un corps peut se dilater rapidement dans l'intervalle de 0 à 50 ° d’un thermomètre à mer- cure et lentement dans l'intervalle de 50 à 100°, alors qu’un autre peut se conduire d’une façon exactement inverse.

Si nous confectionnons des thermomètres uti- lisant différentes substances susceptibles de se dilater, nous constaterons des écarts notables dans leurs indications, bien que celles-ci coïn- cident aux points déjà nommés. Bien plus, un thermomètre à eau nous amènerait à faire la découverte suivante: quand on place un corps refroidi à sur un réchaud électrique, sa « tem- pérature aqueuse » tombe d’abord pour remonter ensuite. C’est que lorsqu'on chauffe l’eau, son volume commence par diminuer et ce n’est qu'’a- près qu'elle commence à se comporter normale- ment, c'est-à-dire qu'elle augmente de volume avec l’échauffement.

Nous voyons qu’un choix irréfléchi du corps thermométrique peut nous mener à l'impasse.

Comment dans ce cas choisir un thermomètre «exact »? Quel est le corps thermométrique

idéal ? 72

Nous en avons parlé ici: se sont les gaz par- faits. Toute interaction de particules étant ab- sente chez ces gaz, l’étude de leur dilatation per- met de suivre le comportement de leurs molé- cules. Cette raison fait qu'un gaz parfait est le corps thermométrique idéal.

Effectivement, on remarque immédiatement que si l’eau se dilate autrement que l'alcool, l’alcool autrement que le verre, le verre autre- ment que le fer, il en va autrement de l’hydrogè- ne, de l’oxygène, de l’azote et de tout autre gaz suffisamment raréfié pour mériter l’épithète « parfait », lesquels se dilatent à l’échauffement d'une façon absolument identique.

C'est donc les variations de volume d’une quantité déterminée d’un gaz parfait qui sont à la base de la détermination des températures en physique. Bien entendu, vu la forte compres- sibilité des gaz, on aura soin de veiller à ce que la pression demeure constante.

Pour étalonner un thermomètre à gaz, nous allons mesurer avec précision le volume du gaz testé à et à 100 °C. Nous diviserons ensuite la différence des volumes Vi00 et V, en 100 parties égales. Autrement . c'est cette variation du

volume du gaz de _. (Vioo Vo) qui corres-

pond à un degré centigrade (1 °C).

Supposons maintenant que notre thermomètre indique un volume V. Quelle température t °C va correspondre à ce volume? On réalise aisé- ment que

&°C— Vo 100,

V:00 ee V100 Vo c'est-à-dire que t°C_ _V—-y, 7400 Vo Vo:

Par cette égalité, nous rapportons chaque volume V à sa température { et obtenons l'échelle des températures utilisée par les physiciens *.

Quand la température s'élève, le volume d’un gaz croît de façon illimitée : il n’y a pas de limite théorique à l'accroissement de la tempé- rature. Âu contraire, les températures basses (situées au-dessous du zéro, selon l'échelle de Celsius) ont une limite.

En effet, qu'arrive-t-il quand la température commence à baisser? Un gaz réel finit par se transformer en liquide, puis, à l'issue d’une nouvelle baisse de la température, en solide. Les molécules sont concentrées en un volume réduit. Et dans le cas de notre thermomètre rempli d’un gaz parfait, que va devenir ce volume? Ses molécules n’agissent pas les unes sur les autres et n’ont pas de volume propre. Cela signifie qu’une baisse de la température va finir par ramener le gaz parfait à un volume nul. Il est

* L'’échelle de Celsius, dans laquelle 0 °C correspond à la température de la glace en fusion et 100 °C à la tem- pérature de l’eau bouillante pression normale de 760 mm de Hg) est très commode. Néanmoins, les Anglais et les Américains utilisent jusqu’à ce jour une échelle thermo- métrique qui nous paraît assez singulière. Comment, par exemple, réagirez-vous à cette phrase tirée d’un roman anglais: « L’été n'était pas chaud, la température sta- tionnait autour de 60-70° ». Une faute d’imprimerie ? Non, l'échelle de Fahrenheit (°F).

En Angleterre, la température descend rarement au-dessous de —20 °C. Fahrenheit choisit un mélange de glace et de sel ayant à peu près cette température et l’adopta pour zéro. Pour 100°, l’auteur dit avoir adopté la température normale du corps humain. Il faut croire que pour établir ce point, Fahrenheit recourut aux ser- vices d’une personne légèrement fiévreuse..., car en réa- lité la température normale du corps humain correspond à 98°F. Toujours d'après cette échelle, l’eau gèle à +32 °F et bout à 212 °F. La formule de transition est

t°C—S (t—32)F.

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parfaitement possible d'approcher, pratiquement autant qu'on le désire, les critères caractérisant un gaz parfait, et en l’occurrence un volume de valeur nulle. Il suffit pour cela de remplir le thermomètre avec un gaz de plus en plus raréfié. Aussi sommes-nous en droit d'admettre qu’à la limite le volume sera égal à zéro.

Selon notre formule, à un volume égal à zéro correspond la plus basse des températures possibles. C’est elle, justement, qui est appelée zéro absolu.

Pour déterminer la position du zéro absolu dans l’échelle de Celsius, nous remplacerons dans la formule indiquée ci-dessus la valeur du volume par zéro, V 0. Finalement, la température du zéro absolu est égale à

___ 41007, V:00 De Vo °

Il s'avère que ce point remarquable corres- pond à une température d'environ 273 °C (plus précisément 273,15 °C).

Ainsi donc, nous n’aurons pas de températures inférieures au zéro absolu, puisqu'elles corres- pondraient à des volumes du gaz négatifs. Parler de températures plus basses n’a pas de sens. Vouloir obtenir des températures inférieures au zéro absolu revient à vouloir fabriquer un fil de fer d’un diamètre inférieur à zéro.

On ne peut plus refroidir un corps ayant la température du zéro absolu, c’est-à-dire qu’on ne peut plus lui ôter de l'énergie. Autrement dit, au zéro absolu les corps et leurs particules sont animés de la plus petite énergie possible. A cette température, donc, l'énergie cinétique est nulle et l’énergie potentielle est à son mini- mum.

Puisque le zéro absolu est la température la plus basse, il est naturel qu’en physique, surtout

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dans les domaines qui touchent aux très basses températures, on utilise l’échelle thermométrique absolue, dans laquelle le point de référence est le zéro absolu. Il est clair que

Tape = (t + 273) °C.

A l'échelle absolue la température ambiante est aux environs de 300°. Cette échelle s'appelle égale- ment échelle Kelvin, d’après le nom de ce savant anglais du XIX® siècle, et au lieu d'écrire Typs on utilise la désignation T K.

La formule du thermomètre à gaz donnant la température T peut s’écrire de façon suivante pour la température absolue:

T = 100 = Te - + 273.

1007,

ide Vo 275,

En se servant de ME

on arrive à un résultat simple: TV 273 Vo”

Ainsi, la température absolue est simplement proportionnelle au volume d'un gaz parfait.

S’il veut une mesure précise des températures, le physicien est obligé de recourir à toute sorte d'astuces. Dans une gamme de températures assez large, les thermomètres à mercure, à alcool (pour les contrées froides) et autres sont étalonnés d'après un thermomètre à gaz. Pourtant, ce dernier, lui aussi, est inutilisable lors des tem- pératures voisines du zéro absolu (au-dessous de 0,7 K), lorsque tous les gaz se liquiéfient, ou pour des températures supérieures à 600 °C, quand ils fuient à travers la paroi de verre. Dans ces deux cas, il faut faire appel à d’autres méthodes de mesure.

Pour ce qui est du moyen pratique de mesurer une température, on en connaît une foule. Les instruments utilisant les phénomènes électriques,

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notamment, sont très utiles. Mais pour l'instant il suffit que nous nous rappelons une chose: dans toute mesure de température, nous devons être certains que la valeur mesurée coïncide avec le résultat qu’on aurait obtenu en mesurant la dilatation d’un gaz raréfié.

Dans les différentes industries, fours et brû- leurs donnent lieu à de hautes températures. Dans le four du pâtissier la température monte à 220-280 °C. La métallurgie nécessite des tempé- ratures plus élevées: 900-1000 °C pour les fours de trempe, 1400-1500 °C pour les fours de forge. Les fours de fusion des aciéries atteignent 2000°.

Les fours à arc électrique autorisent des tem- pératures record, environ 9000 °C. La flamme de l’arc permet de faire fondre les métaux les plus réfractaires.

Et quelle est la température de la flamme d’un bec de gaz? Le cône de flamme bleue inté- rieur ne dépasse pas 300 °C, mais dans le cône extérieur, la température atteint 1800 °C.

Des températures beaucoup plus élevées ac- compagnent l’explosion d’une bombe atomique. D'après des évaluations indirectes, la tempé- rature au centre de l'explosion est de plusieurs millions de degrés.

Tout dernièrement on a tenté d'obtenir de telles températures extra-élevées à l’aide d’ins- tallations de laboratoire spéciales conçues en U.R.S.S. et dans d’autres pays. Pendant un instant extrêmement court, on a observé des tem- pératures de l’ordre de quelques millions de degrés.

Des températures extra-élevées existent aussi dans la nature, mais dans d’autres corps de l’'Uni- vers et non sur la Terre. Au centre des étoiles, en particulier au centre du Soleil, la température atteint plusieurs dizaines de millions de degrés.

Les portions superficielles des étoiles ont une

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température beaucoup plus basse qui ne dépassé pas 20 000°. La surface du Soleil atteint 6000°.

THÉORIE DU GAZ PARFAIT

Les propriétés du gaz parfait, qui nous a donné la définition de la température, sont très simples. A température constante, c'est la loi de Boyle- Mariotte qui joue : le volume ou la pression peu- vent varier, le produit pV reste constant. À pres- sion constante, le quotient V/T reste valable quelles que soient les variations de volume ou de température. Ces deux lois sont aisément réunies. Il est clair que l’expression pV/T reste la même, tant pour une température constante, mais V et p changés, que pour une pression cons- tante, mais V et T changés. Cette expression reste constante de même pour une variation simultanée des trois grandeurs p, V et T. La loi pVIT = const définit l'équation d'état d'un gaz parfait.

Le gaz parfait a été choisi en qualité de corps thermométrique parce que lui seul doit ses pro- priétés uniquement au mouvement (et non à l'interaction) des molécules.

Quel est donc le caractère de la liaison qui existe entre le mouvement des molécules et la température? Pour répondre à cette question, il faut d’abord trouver la liaison entre la pression d'un gaz et le mouvement des molécules dans ce dernier.

Un récipient sphérique de rayon R contient N molécules de gaz (fig. 3.1). Suivons l’une d’entre elles, celle, par exemple, qui se déplace à l’ins- tant donné de gauche à droite le long d’une corde de longueur /. Nous négligerons les collisions éventuelles, celles-ci n'influant pas sur la pres- sion. Parvenue à la limite du récipient, la molé- cule frappera la paroi et avec la même vitesse (le

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choc est élastique) se dirigera dans un autre sens. Dans un cas idéal, ce voyage à l'intérieur du récipient pourrait se poursuivre éternellement. Si v est la vitesse de la molécule, chaque impact aura lieu au bout de //v secondes, c’est-à-dire que chacune des molécules frappera la paroi v/l fois par seconde. Le bombardement continu de la paroi par V molécules constitue une force unique de pression.

D'après la loi de Newton, la force est égale à la variation de l’impulsion en l'unité de temps. Désignons cette variation de l’impulsion à chaque choc par A. Elle a lieu v/l fois par seconde. Chacu-

D]

ne des molécules contribue donc à cette force A d’une valeur de T ‘L.

Sur la figure 3.1, on a tracé les vecteurs des impulsions avant et après l'impact ainsi que le vecteur d’accroissement de l’impulsion A. On tire des triangles semblables apparus à l'issue de la construction: A/l mv/R. L'apport d’une molé-

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cule prend la forme suivante:

o

mUvU*

R e

Etant donné que la longueur de la corde n’en- tre pas dans la formule, on voit qu'indépendam- ment de la corde suivant laquelle elles se dépla- cent, toutes les molécules contribuent d’une valeur égale à la force. Certes, la variation de l'impulsion dans le cas d’un impact oblique sera plus petite, mais les chocs de ce genre seront aussi plus fréquents. Le calcul montre que les deux effets se compensent exactement.

Vu que la sphère contient NV molécules, la force totale sera :

Umoy ESt la vitesse moyenne des molécules. La pression p du gaz, égale à la force divisée par l’aire de la sphère 4xkR?, sera:

1 2 Nmvé y 3 Nm oy Nm oy D RER 4 . 3 ? 3 rAR3

V est le volume de la sphère. Ce qui fait que

pV _ Nmvhoy.

Cette équation a été déduite par Daniel Ber- noulli en 1738.

Il découlait de l’équation d'état d’un gaz parfait que pV = const-7'; on voit de la formule de Bernoulli que pV est proportionnel à Unoy. On a donc

; T .d Umoy ou Umoy VT,

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c'est-à-dire que la vitesse moyenne d’une molécule d’un gaz parfait est proportionnelle à la racine carrée de la température absolue.

LOI D'AVOGADRO

Soit une substance formée d’un mélange de différentes molécules. N'y aurait-il pas une grandeur physique caractérisant le mouvement qui serait la même pour toutes ces molécules, par exemple pour de l’hydrogène et de l’oxygène se trouvant à la même température ?

La mécanique nous donne une réponse. On peut démontrer que ce sont les énergies cinéti- ques moyennes du mouvement de translation MUhoy/2 qui seront les mêmes pour toutes les molécules.

Cela signifie que pour une température don- née, les carrés moyens de la vitesse des molécules sont inversement proportionnels à leur masse:

1 92 SE

Revenons maintenant à l'équation pV = _ Nmvhoy. Vu qu’à une température donnée la valeur muy est la même pour tous les gaz, le nombre de molécules N contenues dans un volu- me donné V, à pression p et à température T déterminées, est aussi le même pour tous les gaz. Cette loi remarquable a été formulée pour la première fois par Avogadro.

Combien de molécules y a-t-il donc dans un centimètre cube ? Il se trouve qu’à 0 °C et 760 mm de Hg, un centimètre cube en contient 2,7-101%, C'est un chiffre énorme. Pour s’en faire une idée, voyons l’exemple suivant. Admettons qu’un gaz s'écoule d’un petit récipient d’un volume de 1 cm° à une vitesse telle que chaque seconde

6—01030 81

s’échappent un million de molécules. Un simple calcul montre que notre récipient ne sera entière- ment vide que dans un million d'années!

La loi d’Avogadro montre qu'à pression et température connues, le rapport V/V du nombre de molécules au volume qui les contient a une valeur qui est la même pour tous les gaz.

Vu que la densité d’un gaz est p Nm/V, le rapport des densités des gaz est égal au rapport de leurs masses moléculaires :

P1/02 = Mi/Mo.

Les masses relatives des molécules peuvent donc être établies par simple pesée des substances gazeuses. Ces mesures ont joué un grand rôle dans le développement de la chimie. Il découle de même de la loi d’'Avogadro que pour une mole de tout corps se trouvant à l’état de gaz parfait, pV = ANAT, k est une constante universelle (elle porte le nom du remarquable physicien autrichien Ludwig Boltzmann) et est égale à 1,38-1071 erg/K. Le produit R = kN\ est dit constante universelle des gaz.

La loi d’un gaz parfait est souvent formulée de la façon suivante:

pV = uRT,

L est la quantité de matière exprimée en moles. Cette formule trouve un usage fréquent dans la pratique.

VITESSES DES MOLÉCULES

La théorie déclare qu’à température identique les énergies cinétiques moyennes des molécules muhoy/2 sont les mêmes.

Etant donné notre définition de la tempéra- ture, cette vitesse cinétique moyenne du mouve- ment de translation des molécules gazeuses est proportionnelle à la température absolue. En

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combinant la formule du gaz parfait et l’équa- tion de Bernoulli, on a:

mu? 3 (+ nos 7 4.

La mesure de la température à l’aide d’un thermomètre rempli de gaz parfait donne à cette mesure un sens tout simple: la tempéra- ture est proportionnelle à la valeur moyenne de l'énergie du mouvement de translation des molé- cules. Et comme nous vivons dans un espace à trois dimensions, nous pouvons dire d’un point se mouvant selon une trajectoire quelconque, qu'il possède trois degrés de liberté. Ainsi, à chaque degré de liberté d’une particule en mouve- ment correspond kXT/2 d'énergie.

Déterminons la vitesse moyenne des molé- cules d'oxygène à la température ambiante que pour des commodités de calcul nous adoptons égale à 27 °C 300 K. La masse d’une molé- cule d'oxygène est égale à 32/(6-10*%). Un simple calcul nous donne moy 4,8-10* cm/s, c’est-à- dire environ 900 m/s. Les molécules d'hydrogène se déplacent beaucoup plus vite. Leur masse

étant 16 fois plus petite, leur vitesse est | 16 4 fois plus grande, c'est-à-dire qu'à la température ambiante elle est de l’ordre de 2 km/s. Voyons maintenant à quelle vitesse thermique se déplace une petite particule visible au microscope. Un microscope ordinaire permet de voir un grain de poussière d’un diamètre de À micron (104 cm). La masse d’une telle particule de den- sité voisine de l’unité sera quelque chose comme 51075 g. Pour sa vitesse, on obtient à peu près 0,5 cm/s. Il n’est pas étonnant que ce mouvement soit parfaitement perceptible.

Mais pour la vitesse d’un minuscule petit pois de masse 0,1 g animé d’un mouvement brow- nien, nous n’aurons plus que 10-5% cm/s. Il est

6* 83

VITESSE DES MOLÉCULES , M/S

Fig. 3.2

évident qu'un tel mouvement brownien reste invisible.

Nous avons parlé des vitesses moyennes d’une molécule. Pourtant, toutes les molécules ne se déplacent pas à la même vitesse; certaines vont plus vite, certaines autres plus lentement. Tout ceci, on peut le calculer, mais nous nous borne- rons ici à indiquer les résultats.

A une température d'environ 195 °C, par exemple, la vitesse moyenne des molécules d'azote est de 500 m/s; 59 % de molécules se déplacent à des vitesses comprises entre 300 et 700 m/s. Lentement, entre 0 et 100 m/s, ne se déplacent que 0,6 % des molécules. Enfin, ce gaz ne contient que 9,4 % de molécules rapides dont la vitesse dépasse 1000 m/s (voir fig. 3.2).

La base de chacune des colonnes du dessin correspond à l'intervalle des vitesses dont il est question, et l’aire est proportionnelle à la part des molécules dont les vitesses se situent dans cet intervalle.

On peut aussi calculer la répartition des mo- lécules selon les différentes valeurs de l'énergie du mouvement de translation.

Le nombre de molécules dont l’énergie dépasse de plus du double l'énergie moyenne est déjà inférieur à 10 %. Le taux de molécules encore

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plus « énergiques » diminue dans un degré crois- sant au fur et à mesure que l'énergie augmente. Ainsi, seulement 0,7 % des molécules ont une énergie quadruple ; 0,06-10-4 % ont une énergie 8 fois et 2.108 % une énergie 16 fois plus grande que la moyenne.

L'énergie d’une molécule d'oxygène qui se déplace à la vitesse de 11 km/s est égale à 23 X xX107%2 erg, et l’énergie moyenne d’une molécule à la température ambiante n’est que de 6-10-4 erg.

Ceci fait que l'énergie de la molécule se dé- plaçant à la vitesse de 11 km/s est au moins 000 fois plus grande que celle d’une molécule ayant la vitesse moyenne. On ne s’étonne donc pas de ce que la part des molécules animées d’une vitesse supérieure à 11 km/s soit extrêmement petite, de l’ordre de 107300,

Mais pourquoi la vitesse de 11 km/s nous intéresse-t-elle tellement ? Dans le livre 4, nous avons dit que seuls les corps animés de cette vitesse pouvaient quitter la Terre. Il en résulte que les molécules montées à une grande altitude peuvent perdre la liaison avec le globe et partir pour un voyage interplanétaire. Mais le taux des molécules aussi rapides est tellement minime que la Terre ne risque pas de perdre son atmosphè- re même d'ici des milliards d'années.

La vitesse de la fuite de l’atmosphère dépend

r r r . . . Mm énormément de l'énergie de gravitation y ni

Si la vitesse cinétique moyenne d’une molécule reste de beaucoup inférieure à l'énergie de gra- vitation, la fuite des molécules est pratiquement impossible. À la surface de la Lune, l'énergie de gravitation est 20 fois plus petite, ce qui donne pour l'énergie « de fuite » d’une molécule d'oxygène une valeur de 1,15:10-1? erg. Ceci ne dépasse la valeur de l'énergie cinétique moyenne de la molécule que de 20 à 25 fois. Le taux des

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molécules capables de quitter la Lune est alors de 10-*7, Ce chiffre est déjà loin des 10-3%, et le calcul montre que l’air fuirait assez rapidement de la Lune dans l’espace interplanétaire. Quoi d'étonnant à ce que cet astre n'ait pas d’atmo- sphère ?

DILATATION THERMIQUE

Si l’on échauffe un corps, le mouvement des atomes (des molécules) devient plus intense. Ils commencent à se pousser mutuellement et occu- pent davantage de place. C'est ce qui explique le phénomène bien connu selon lequel une fois échauffés les corps solides, liquides et gazeux se dilatent.

Il n'y a pas grand-chose à dire sur la dilata- tion thermique des gaz: on se rappelle qu’à la base de notre échelle des températures se trouvait la proportionnalité reconnue entre la température et le volume d'un gaz.

De la formule V es - T', on voit que lorsque la température d’un gaz s'élève de 1 °C, la pres- sion restant constante, son volume augmente de 1/273 (soit 0,0037) par rapport à celui qu'il occupe à la température de 0 °C (c’est la loi de Gay-Lussac).

Dans les conditions ordinaires, i.e. à la température ambiante et à une pression atmosphé- rique normale, la dilatation de la plupart des liquides est de 2 à 3 fois inférieure à celle des gaz.

Nous avons déjà parlé des particularités de la dilatation de l’eau. Lorsqu'on l’échauffe de O0 à 4 °C, son volume se contracte. Cette circons- tance joue un rôle énorme dans la vie sur la Terre. En automne, au fur et à mesure que l’eau se refroidit, les couches supérieures deviennent plus denses et descendent au fond, cédant la place

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à des couches plus chaudes venues d'en bas. Mais ce malaxage n’a lieu aussi longtemps que la température de l’eau n’est pas descendue à 4 °C. Si la température continue à baisser, les couches supérieures cessent de se contracter et donc de s’alourdir et ne descendent plus au fond. A partir de cette température, la couche supérieure se refroidit graduellement et passé gèle.

C’est cette particularité de l’eau qui s'oppose à ce que les rivières gèlent sur toute leur épais- seur. On imagine le désastre qui s’ensuivrait si l’eau venait à perdre brusquement cette pro- priété remarquable.

La dilatation des solides, à son tour de beau- coup inférieure à celle des liquides, est des cen- taines et même des milliers de fois plus petite que celle des gaz.

Dans de nombreux cas, ce phénomène est très gênant. Ainsi, les variations, dues aux change- ments de température, des dimensions des pièces mobiles d’un mécanisme d'’horlogerie perturbe- raient sérieusement sa marche si on n’employait à cet effet un alliage spécial appelé « invar ». L'invar est un alliage d'acier et de nickel large- ment utilisé dans la construction des appareils de précision. Pour une modification de tempé- rature de 1 °C, une tige d’invar ne s’allonge que d’une millionième fraction de sa longueur.

Cette dilatation des solides, qui semblerait négligeable, peut avoir des résultats fâcheux parce qu'il est difficile, par suite de leur faible com- pressibilité, de s’y opposer.

Pour une élévation de température de 1 °C, la longueur d'une tige d'acier augmente tout au plus d’un cent-millième, c’est-à-dire d’une valeur imperceptible. Mais pour supprimer cette dilata- tion et soumettre la tige à une contraction du même ordre, il faut appliquer une force de 20 kgf par cm?. Et cela, pour supprimer l’action

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d’un accroissement de température de 4 °C seule- ment!

Les forces engendrées par la dilatation peu- vent amener des ruptures et des avaries, si on les néglige. C’est pour les neutraliser qu’on mé- nage un jeu entre deux rails de chemin de fer consécutifs. Il faut en tenir compte aussi lors- qu'on manipule des ustensiles en verre qui se brisent facilement lors d’un échauffement non uniforme. Au laboratoire, on utilise des usten- siles en verre de quartz qui n’ont pas ce défaut (le quartz fondu, c’est de l’oxyde de silicium à l’état amorphe). Pour un échauffement identique, ane barre de cuivre s’allongera d’un millimètre, tandis que la longueur d’une même barre en verre de quartz ne changera que d’une valeur imperceptible à l’œil (de 30 à 40 microns). La dilatation du quartz est si faible qu’on peut porter un verre de quartz à plusieurs centaines de degrés et le plonger ensuite sans aucun risque dans de l’eau.

CAPACITÉ CALORIFIQUE ET CHALEUR SPÉCIFIQUE

L'énergie interne d’un corps dépend évidem- ment de la température. Plus nous voulons échauf- fer un corps et plus il nous faudra dépenser d’éner- gie. Pour élever la température d’un corps de T; à T,, il faut lui communiquer sous forme de chaleur une énergie Q égale à

Q = C(T2 Ti),

C est un coefficient de proportionnalité, dit capacité calorifique du corps. La définition de la capacité calorifique découle de la formule: C est la quantité de chaleur nécessaire pour élever la température de 1 °C. La capacité calorifique dépend elle-même de la température : l’échauffe-

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ment de 0 à 1 °C ou de 100 à 101 °C demande des quantités de chaleur quelque peu différentes.

La valeur de C est généralement rapportée à l'unité de masse d’un corps et s’appelle alors chaleur spécifique, désignée par c.

La quantité de chaleur nécessaire pour échauf- fer un corps de masse m s’exprimera par la for- mule :

Q=mc(T; —T,;).

Les chaleurs spécifiques des différents corps varient dans des limites assez larges. Evidem- ment, celle de l’eau, en calories par degré, est par définition égale à l'unité.

La chaleur spécifique de la plupart des corps lui est inférieure. Ainsi, celle de la plu- part des huiles, alcools et autres liquides est voisine de 0,5 cal/(g-K). Celles du quartz, du verte et du sable sont d’environ 0,2. Celles du fer et du cuivre sont de l’ordre de 0,1. Pour les gaz, on a les chiffres suivants : hydrogène 3,4 cal/(g.K), air 0,24 cal/(g-K).

La chaleur spécifique de tous les corps dimi- nue avec la baisse de la température, et aux valeurs voisines du zéro absolu elle est généra- lement insignifiante. Ainsi, celle du cuivre à 20 K n’est que 0,0055, qui est 24 fois inférieur au chiffre enregistré à la température ambiante.

La connaissance des chaleurs spécifiques per- met de résoudre toute sorte de problèmes concer- nant la répartition de la chaleur entre diffé- rents corps.

La différence entre la chaleur spécifique de l’eau et celle du sol est l’une des causes qui sont à l’origine des différences entre un climat mari- time et un climat continental. L'eau, d’une chaleur spécifique presque quintuple de celle du sol, s’échauffe et se refroidit lentement.

En été, l’eau des régions maritimes, en

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s'échauffant plus lentement que le sol, refroidit l’air, et en hiver, la mer, plus chaude, se refroi- dit progressivement en cédant de la chaleur à l’air et en adoucissant le froid. On calcule sans peine que le refroidissement de 1 °C d’un mètre cube d’eau de mer échauffe de 1 °C 3000 d'air. C’est ce qui fait que dans les régions mari- times les fluctuations de température et la diffé- rence entre les températures d'hiver et celles d’été sont moins accentuées que dans les régions à climat continental.

CONDUCTION DE LA CHALEUR

Chaque objet peut servir de «pont» par lequel la chaleur passera d’un corps plus chaud à un corps moins chaud.

Indiquons, à titre d'exemple, une cuillère à thé plongée dans un verre rempli de thé chaud. Les objets métalliques étant bons conducteurs de la chaleur, l’extrémité immergée de la cuillère est déjà chaude au bout d’une seconde.

S'il faut malaxer un mélange chaud, la poignée du malaxeur devra être en bois ou en matière plastique. Ces solides conduisent la chaleur 1000 fois moins bien que les métaux. Nous disons «conduisent la chaleur » comme nous pourrions dire « conduisent le froid ». Car il est clair que le sens du flux de chaleur ne sau- rait influer sur les propriétés d’un corps. Les jours de grands froids, nous prenons garde de ne pas toucher du métal avec la main nue, mais une poignée de bois ne nous inspire aucune crain- te.

Parmi les mauvais conducteurs de la chaleur (on les appelle aussi isolants thermiques) figurent le bois, la brique, le verre, les matières plasti- ques. Ces matériaux servent à faire les murs de nos maisons et les parois des fours.

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Tous les métaux sont de bons conducteurs de la chaleur. Les meilleurs sont le cuivre et l'argent qui transmettent la chaleur deux fois mieux que le fer.

Bien entendu, le «pont» par lequel la chaleur se propage peut être aussi un liquide, bien que les liquides transmettent la chaleur beaucoup moins bien que les métaux. D'après la conductibilité calorifique, les métaux sont des centaines de fois supérieurs aux solides et aux liquides non métalliques.

L'expérience suivante sert à montrer la mau- vaise conductibilité calorifique de l’eau. On fixe un morceau de glace au fond d’une éprouvette d’eau dont on chauffe la partie supérieure à la flamme d’un bec Bunsen. L'eau bout déjà tandis que la glace n’a pas commencé à fondre. Si l’é- prouvette était métallique et ne contenait pas d’eau, le morceau de glace aurait commencé à fondre presque immédiatement. La conductibi- lité calorifique de l’eau est à peu près 200 fois plus mauvaise que celle du cuivre.

Les gaz conduisent la chaleur des dizaines de fois moins bien que les corps non métalliques condensés. La conductibilité calorifique de l’air est de 20 000 fois inférieure à celle du cuivre.

Cette mauvaise conductibilité des gaz permet de prendre dans la main un morceau de glace carbonique dont la température est de —78 °C, et même de tenir au creux de la paume une goutte d'azote liquide dont la température est de —196 °C. Si l’on ne resserre pas ses doigts sur ces corps froids, il n’y aura pas de « brûlure ». Le secret réside en ceci: entrant en un bouil- lonnement très énergique, la goutte de liquide ou le morceau de solide se couvrent d'une sorte de « chemise de vapeur » et la couche de gaz ainsi formée sert de calorifuge.

On a un exemple de caléfaction (c’est le nom

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du phénomène pendant lequel les gouttes sont en- veloppées d’une chemise de vapeur), quand de l’eau tombe sur une poêle très chaude. Par con- tre, une goutte d’eau bouillante tombée sur la main provoque une brûlure cuisante, bien que la différence entre la température de l’eau bouil- lante et celle du corps humain soit inférieure à la différence de températures de la main et de l’air liquide. La main étant plus froide que la goutte, la chaleur quitte celle-ci, le bouillonnement s'arrête et la chemise de vapeur ne se forme pas.

On réalise sans peine que le vide est le meil- leur des calorifuges. Dans le vide, il n’y a pas d'agents de transmission de la chaleur, et la conductibilité calorifique y est réduite au mini- mum.

Il s'ensuit que si nous voulons créer une protection thermique, séparer une substance chaude d’une substance froide ou vice versa, le plus rationnel sera d'aménager une enveloppe à double paroi et de pomper l’air de l’espace inter- médiaire. Pendant cette opération, nous allons constater le curieux phénomène qui suit. Pour peu que l’on surveille les variations de la conduc- tibilité calorifique du gaz au fur et à mesure qu'il se raréfie, on constate que même à un moment la pression n'’atteint que quelques millimètres de mercure sa valeur ne change pra- tiquement pas et que ce n'est qu'à partir d’un certain seuil de vide plus poussé que nos espoirs se réalisent et que la conductibilité calorifique tombe brusquement.

De quoi s’agit-il? Pour comprendre ce phé- nomène nous allons essayer de nous représenter en quoi consiste le transfert de la chaleur dans un gaz.

La transmission de la chaleur d'un point chaud à un point froid a lieu par le transfert d'énergie d’une molécule à l’autre. On conçoit

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que les collisions survenant entre des molécules rapides et des molécules lentes se soldent géné- ralement par l'accélération des secondes et le ralentissement des premières. Cela signifie que le point chaud se refroidira et que le point froid s'échauffera.

Comment la diminution de la pression va-t-el- le donc influer sur le passage de la chaleur? Etant donné qu'elle a pour effet de réduire la densité, le nombre de collisions entre molécules rapides et lentes, collisions donnant lieu au transfert d'énergie, sera plus petit. Ceci devrait diminuer la conductibilité. Mais, d’autre part, la diminution de la pression provoquant un al- longement du libre parcours des molécules, cel- les-ci transportent la chaleur à des distances plus grandes et contribuent à augmenter la conduction. Le calcul montre que les deux effets s’équilibrant, la conductibilité calorifique se maintient un certain temps après le début de l'opération de raréfaction.

Il en est ainsi jusqu'au moment le vide devient assez important pour que la longueur du parcours soit égale à la distance entre les parois du récipient. Dès lors, aucune diminution ultérieure de la pression ne peut plus changer la longueur du parcours des molécules qui font la navette entre les parois, la chute de la densité n’est plus équilibrée et la conductibilité calo- rifique baisse rapidement, proportionnellement à la pression, pour atteindre des valeurs minimes dans un vide poussé. Le principe des bouteilles isolantes n'est pas différent. Extrêmement ré- pandues, ces bouteilles servent à garder les ali- ments au chaud ou au froid et sont aussi en usage dans les laboratoires et l’industrie. Dans ce der- nier cas, on les appelle vases de Dewar, du nom de l'inventeur. Les « Dewar » servent à trans- porter de l'air, de l’azote et de l’oxygène liquides.

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Nous dirons plus tard comment on obtient ces gaz à l’état liquide *.

CONVECTION

Mais si l’eau est un si mauvais conducteur de la chaleur, comment se fait-il qu’elle se chauffe dans une bouilloire? L'air conduit la chaleur encore plus mal; il est alors incompréhensible qu’en hiver la même température s’établisse dans toutes les parties d’une pièce.

L'eau se met à bouillir rapidement dans une bouilloire à cause... de l'attraction terrestre. En s’échauffant, les couches inférieures se dila- tent, deviennent plus légères et montent, rempla- cées par de l’eau froide. Un échauffement rapide n’a lieu que grâce à la convection. Il ne sera pas si facile de faire bouillir de l’eau dans une fusée interplanétaire.

Nous avons déjà parlé d’un cas de convec- tion de l’eau, sans employer ce mot, quand nous expliquions pourquoi les rivières ne gèlent pas jusqu’à fond.

Pourquoi place-t-on les radiateurs du chauîfa- ge central à hauteur de plancher, tandis que les vasistas sont aménagés dans la partie supérieure de la fenêtre? Il serait pourtant plus commode d'ouvrir un vasistas disposé en bas et de placer les radiateurs sous le plafond, ils ne gêne- raient personne.

* Chacun de nous a certainement remarqué que les parois d’une bouteille isolante sont argentées. Pour- quoi? C’est que la conduction n’est pas le seul mode de transfert de la chaleur. Il en existe un autre, le rayonne- ment, dont il sera question dans un livre suivant. Dans les conditions ordinaires ce dernier, quoique beaucoup plus faible que la conduction, est parfaitement percep- tible. C’est pour diminuer le rayonnement que les parois d’une bouteille isolante sont argentées.

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Si nous le faisions, nous aurions vite constaté que le radiateur ne parvient pas à réchauffer la pièce et que l'ouverture du vasistas ne suffit plus à aérer.

Il se passe avec l’air de la chambre la même chose qu'avec l’eau de la bouilloire. Dès que le radiateur est mis en marche, l’air des couches inférieures du local commence à s’échauffer. Il se dilate, devient plus léger et monte sous le plafond. Il est remplacé par des couches plus lourdes d’air froid. Réchauffées, celles-ci, à leur tour, s'élèvent sous le plafond. De cette façon, on voit s'installer dans la chambre un circuit continu, l’air chaud circulant de bas en haut et l’air froid de haut en bas. Quand nous ouvrons un vasistas en hiver, nous laissons entrer un courant d’air froid. Cet air, plus lourd que celui qui se trouve dans le local, se dirige vers le bas en chassant l’air chaud qui monte et s'échappe par le vasistas.

Une lampe à pétrole ne s’allume correctement que si elle est munie d’un verre. N’allons pas croire que ce verre est nécessaire pour protéger la flamme contre le vent. Même dans une atmo- sphère absolument calme l'éclat de la flamme augmente considérablement dès qu’on place le verre. Le rôle du verre consiste à augmenter l’arrivée de l’air, à créer un tirage. L'air conte- nu à l’intérieur du verre s’appauvrit rapidement en oxygène, dépensé pour la combustion, se chauffe et se dirige vers le haut, remplacé par de l’air froid et frais affluant par les ouvertures ménagées à la base du brûleur.

Plus le verre est grand et mieux la lampe brûle. En effet, la vitesse à laquelle l’air froid arrive dans le brûleur dépend de la différence de poids entre la colonne d’air chaud contenue dans la lampe et l’air froid extérieur. Plus la colonne d'air est haute et plus grande sera cette

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différence de poids, et donc la vitesse de bras- sage.

C'est la raison pour laquelle les cheminées d'usines se font si hautes. Les foyers des chau- dières industrielles exigent un puissant afflux d’air frais, un bon tirage, que l’on obtient grâce à de hautes cheminées.

L'absence de convection dans une fusée en état d’apesanteur interdira l’usage d’allumettes, lampes et brûleurs à gaz: les produits de com- bustion étoufferont la flamme.

L'air est un mauvais conducteur de la cha- leur; nous pouvons donc nous en servir pour la conserver, mais à condition d'éviter la convec- tion, le brassage d’air chaud et froid qui réduit à zéro ses propriétés calorifuges.

L'élimination de la convection s'obtient en recourant à différentes matières poreuses ou fibreuses. L'air circule difficilement à l’inté- rieur de ces corps, tous bons calorifuges unique- ment grâce à leur capacité d’en emprisonner une portion. Ceci n'empêche pas que la conduc- tibilité calorifique des substances dont sont faites ces fibres ou les parois des pores peut être assez grande.

Une fourrure à poils touffus protège fort bien du froid. Le duvet d’eider permet de confectionner des sacs de couchage pesant moins de 500 g et ceci grâce à la finesse exceptionnelle de ses fi- bres. Un demi-kilo de ce duvet permet de capter autant d’air qu'une dizaine de kilogrammes de ouatine.

Toujours pour diminuer la convection, on fait des fenêtres doubles. L'air enfermé entre les deux vitres ne participe pas au brassage qui a lieu dans le local.

Au contraire, tout mouvement de l'air ren- force le brassage et accroît le transfert de la chaleur. Pour cette raison, quand nous voulons

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atlénuer la chaleur nous utilisons un éventail ou mettons en marche un ventilateur. Mais si la température de l’air est supérieure à celle de notre corps, le brassage provoque un résultat inverse et nous ressentons le vent comme un souffle chaud.

Le rôle d’une chaudière à vapeur consiste à produire le plus vite possible de la vapeur chauf- fée à la température requise. La convection na- turelle résultant de la pesanteur est tout à fait insuffisante pour ce faire. Aussi la création d’u- ne circulation intense de l’eau et de la vapeur, susceptible de provoquer un brassage des couches chaudes et froides est-elle un des premiers pro- blèmes à résoudre dans la construction des chau- dières à vapeur.

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CHAPITRE 4

ÉTATS DE LA MATIÈRE

VAPEUR DE FER ET AIR SOLIDIFIÉ

N'est-ce pas une combinaison de mots étran- ge? C’est pourtant une réalité: la vapeur de fer et l’air solidifié existent bel et bien, mais dans des conditions inhabituelles.

De quelles conditions s'agit-il? L'état de la matière, nous le savons, découle de deux circons- tances: la température et la pression.

Notre vie s'écoule dans des conditions qui changent relativement peu. La pression de l'air est égale à une atmosphère, à quelques pour cent près; la température de l’air pour la région de Moscou est comprise entre —30 °C et +30 °C. À l'échelle absolue des températures, le zéro correspond à —273 °C, cet intervalle produit une impression moindre: de 240 à 300 K, ce qui équivaut aussi à +10 % de la moyenne.

Il est donc naturel que nous soyons habitués à ces conditions et qu'en disant des choses aussi évidentes que: «le fer est un solide, l'air est un gaz», etc., nous oublions d'ajouter: « sous conditions normales ».

Car si on chauffe le fer, il fond d’abord puis s'évapore, et si on refroidit l’air, il se transforme d’abord en liquide pour se solidifier ensuite.

Même si le lecteur n’a jamais vu de vapeur de fer ni d’air solidifié, il admettra probablement sans difficultés que par des variations de la température on peut arriver à obtenir chaque substance à l’état solide, liquide ou gazeux ou, comme on dit encore, dans sa phase solide, liquide ou gazeuse.

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On l'admettra d'autant plus volontiers qué chacun de nous connaît une substance sans la- quelle la vie sur la Terre aurait été impossible et qui revêt tour à tour la forme de gaz, de liquide et de solide. Il s’agit évidemment de l’eau.

Voyons donc les conditions qui doivent être réunies pour qu'une substance passe d’un état à un autre.

EBULLITION

Plongeons un thermomètre dans l’eau d’une bouilloire placée sur un réchaud électrique, bran- chons le courant et surveillons le mercure. Nous voyons que le niveau du mercure commence immédiatement à monter. Le voici à 90°, à 95° et enfin à 100 °C. L'eau se met à bouillir en même temps que le mercure cesse de monter. L'eau bout déjà depuis plusieurs minutes et le niveau du mercure ne change pas. Tant qu'il restera de l’eau non transformée en vapeur la température ne changera pas (fig. 4.1).

À quoi la chaleur est-elle dépensée, si la température ne change pas? La réponse saute aux yeux: la transformation de l’eau en vapeur requiert une dépense d'énergie.

Comparons l'énergie d'un gramme d’eau à celle d’un gramme de vapeur obtenue à partir de cette eau. Les molécules de la seconde sont plus dispersées que celles de la première. Ceci fait que l'énergie potentielle de l’eau diffère de l'énergie potentielle de la vapeur.

L'énergie potentielle de particules qui s’at- tirent diminue avec leur rapprochement. Pour cette raison, l’énergie de la vapeur est supérieure à celle de l’eau, et la transformation de l'eau en vapeur demande de l'énergie. Cet excédent d'énergie est fourni à l’eau par le réchaud élec- trique.

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L'énergie nécessaire pour transformer de l’eau en vapeur est appelée chaleur de vaporisation. Pour transformer un gramme d’eau en vapeur, il faut 939 cal (chiffre valable pour une tempé- rature de 100 °C).

Si un gramme nécessite 539 cal, une mole demandera 18-539 9700 cal. C’est la quan- tité de chaleur qu'il faut dépenser pour rompre les liaisons intermoléculaires.

En comparant ce chiffre au travail néces- saire pour rompre les liaisons intramoléculaires, on voit que la désintégration d’une mole de vapeur d’eau en atomes exige à peu près 220 000 cal, soit 25 fois plus d'énergie. Voici une preuve directe de la faiblesse des forces qui lient les molécules, comparées à celles qui amalgament les atomes en molécules.

RELATION ENTRE LA TEMPÉRATURE D'ÉBULLITION ET LA PRESSION

Cent degrés est le point d’ébullition de l’eau; on pourrait penser que c’est une propriété

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inhérente à l’eau, et qu’elle entrera toujours en ébullition à 100 °C, quelles que soient les con- ditions ambiantes.

Point du tout, et les habitants de la haute montagne le savent très bien.

Non loin du sommet de l’Elbrouz, il y a un refuge de montagne et une station de recherches. Les néophytes s'’étonnent parfois devant les difficultés qu'ils rencontrent pour faire cuire un œuf ou encore que l’eau bouillante ne provoque pas de brûlure. On leur rappelle alors qu’au sommet de l’Elbrouz l’eau bout à 82 °C.

De quoi s'agit-il? Quel facteur physique est-il intervenu dans le phénomène d’ébullition ? Et quel rôle joue l’altitude ?

Ce facteur physique n’est autre que la pres- sion agissant sur la surface du liquide. Inutile de grimper au sommet d’une montagne pour vérifier la justesse de ce que nous venons de dire.

Si nous plaçons de l’eau chauffée sous une cloche et que nous y refoulons ou en évacuons l’air, nous verrons que le point d’ébullition monte avec la pression et diminue lorsque la pression baisse.

L'eau bout à 100 °C sous une pression bien déterminée de 760 mm Hg (ou 1 atm).

La courbe de la température d’ébullition en fonction de la pression est montrée sur la figu- re 4.2. Au sommet de l’Elbrouz la pression est de 0,5 atm, et à cette pression correspond une température d’ébullition de 82° C.

De l’eau qui bout à 40 ou 15 mm Hg fera un excellent rafraîchissement par temps chaud. À cette pression la température d’ébullition tombe à 10 ou 15 °C.

On peut même avoir de «l’eau bouillante » à la température de l’eau qui gèle. Il suffit pour cela de réduire la pression à 4,6 mm Hg.

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Un phénomène très curieux est observé si l’on place une cuve d’eau sous une cloche dont on extrait l’air. La raréfaction de l'air va faire bouillir l’eau, or, l’ébullition exige de la chaleur. Puisqu'il n’y a pas d’autres sources, l’eau sera obligée de céder sa propre énergie. Le point d’ébullition va commencer à baisser, mais com- me l'évacuation de l’air continue, la pression tombe aussi. L'’ébullition ne s’arrêtera donc pas, mais l’eau continuera à se refroidir jusqu’à finir par geler.

L'eau froide peut bouillir dans d’autres con- ditions également. Par exemple, le travail d'une hélice de navire a pour effet de faire brutale- ment tomber la pression dans la couche d’eau qui se déplace rapidement près de la surface métallique ; l’eau entre en ébullition, c’est-à-dire qu’on y voit apparaître de nombreuses bulles de vapeur. C’est ce qu’on appelle la cavitation (du latin cavitas cavité).

En diminuant la pression, nous abaïssons le point d’ébullition. Et que va-t-il arriver si on l’augmente? Une courbe analogue à celle que nous avons indiquée donne la réponse. Une pression de 15 atm retarde l’ébullition de l’eau jusqu’à 200 °C et une pression de 80 atm jusqu’à 300 °C.

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À une pression extérieure déterminée corres- pond ainsi une température d’ébullition déter- minée. Mais on peut aussi retourner cette affir- mation, en disant qu'à chaque température d’ébullition de l’eau correspond une pression bien déterminée. Cette pression est appelée tension de la vapeur.

La courbe qui représente la température d’ébullition en fonction de la pression est en même temps la courbe de tension de la vapeur en fonction de la température.

Les chiffres portés sur la courbe des tempéra- tures d’ébullition (ou sur la courbe des tensions de la vapeur) montrent que la tension de la vapeur change fortement avec la température. A O°C (soit 273 K) la tension de la vapeur est égale à 4,6 mm Hg; à 100 °C (373 K) elle est de 760 mm Hg, c'est-à-dire qu’elle a augmenté de 165 fois. Quand la température s'élève du double (de C, soit 273 K, à 273 °C, soit 546K) la tension de la vapeur passe de 4,6 mm Hg à presque 60 atm, c’est-à-dire qu’elle augmente d'environ 10 000 fois.

C'est pourquoi la température d’ébullition, au contraire, varie assez lentement en fonction de la pression. Lorsque celle-ci double et passe de 0,5 atm à 1 atm, le point d’ébullition passe de 82°C (soit 355 K) à 100 °C (soit 373 K) et lorsque la pression passe de 1 atm à 2 atm, ce point passe de 100 °C (soit 373 K) à 120 °C (soit 393 K).

La même courbe régit également la conden- sation de la vapeur en eau.

On peut transformer la vapeur en eau soit par compression, soit par refroidissement.

Dans l’ébullition comme dans la condensa- tion, le point ne quitte pas la courbe tant que la transformation de la vapeur en eau ou de l’eau en vapeur ne s'achève pas complètement.

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On peut formuler ceci sous une autre forme: ce n’est qu’à la condition de répondre entière- ment aux paramètres de la courbe que le liquide et la vapeur peuvent coexister. Si, de plus, on n’ajoute ni n’enlève de chaleur, les quantités de vapeur et de liquide contenues dans l’enceinte close resteront les mêmes. On dit alors que la vapeur et le liquide se trouvent en équilibre et la vapeur est appelée vapeur saturante.

La courbe d'ébullition et de condensation, on le voit, a encore un autre sens: c’est la courbe d'équilibre du liquide et de la vapeur. Cette courbe divise le champ du graphique en deux parties. À gauche et en haut (vers les tempéra- tures élevées et les pressions réduites), on a le domaine de la vapeur à l’état stable. A droite et en bas, on a le domaine du liquide à l’état stable.

La courbe d'équilibre vapeur-liquide, c’est- à-dire la courbe de la température d’ébullition en fonction de la pression ou, ce qui revient au même, la courbe de la tension de la vapeur en fonction de la température, est à peu près la même pour tous les liquides. Dans certains cas, le changement peut être un peu plus brusque, dans d’autres, il peut être un peu plus lent, mais toujours la tension de la vapeur croît avec la température.

Nous nous sommes déjà servis à plusieurs reprises des mots « gaz » et « vapeur ». Ces deux mots jouissent à peu près des mêmes droits. On peut dire que la vapeur d’eau est du gaz aqueux ou que l'oxygène est de la vapeur du liquide oxygène. Néanmoins, une certaine habi- tude s’est installée, et comme nous sommes plus souvent en contact avec une certaine gamme de températures relativement modérée nous em- ployons le mot gaz généralement pour les subs- tances dont les vapeurs, à des températures

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ordinaires, ont une tension supérieure à la pression atmosphérique. Au contraire, nous par- lons de vapeur quand à la température ambiante et à la pression atmosphérique normale la subs- tance se montre plus stable sous forme de liquide.

ÉVAPORATION

L'’ébullition est un processus rapide, et très vite l’eau qui bout se volatilise en vapeur.

Mais il existe un autre mode de transforma- tion de l’eau ou de tout autre liquide en vapeur, c'est l’évaporation. L’évaporation se produit à n'importe quelle température et quelle que soit la pression qui, dans les conditions normales, est toujours voisine de 760 mm Hg. A la diffé- rence de l’ébullition, ce processus est très lent. Ün flacon d’eau de Cologne que nous avons oublié de boucher sera vide au bout de quelques jours; une soucoupe d’eau durera un peu plus, mais tôt ou tard elle finira par sécher, elle aussi.

L'air joue ici un rôle important, quoique lui-même n'empêche pas l’eau de s’évaporer. Aussitôt qu’on laisse la surface d’un liquide à l’air libre, les molécules d’eau commencent à gagner la couche d'air adjacente. La densité de la vapeur dans cette couche va augmenter rapidement; au bout d'un temps très court la pression de la vapeur devient égale à la tension caractéristique de la température du milieu ambiant. Ce faisant, la tension de la vapeur reste- ra exactement la même qu’en l'absence d'air.

Le passage de la vapeur dans l’atmosphère ne signifie pas, bien entendu, que la pression s'est accrue. La pression totale dans l’espace qui surplombe le plan d’eau n’augmente pas. Seule augmente la part de cette pression qu’as- sume la vapeur, tandis que diminue d’autant la part de l’air chassé par la vapeur.

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Nous trouvons alors au-dessus de l’eau de la vapeur mélangée d’air et plus haut des cou- ches d'air sans vapeur. Le mélange est inévi- table. La vapeur d’eau va passer sans interrup- tion dans les couches plus élevées, remplacée dans la couche inférieure par de l’air ne conte- nant pas de molécules d’eau. Cette dernière leur offrira donc constamment des places vacantes. L'eau s’évaporera continuellement, en mainte- nant la pression de la vapeur à la surface égale à la tension, et le phénomène se poursuivra jus- qu’au moment l’eau se sera entièrement volatilisée. |

Nous avons commencé par un exemple il était question d’eau de Cologne et d’eau. Tout le monde sait bien qu’elles s’évaporent à des vitesses différentes. L’éther, lui, s’évapore ex- ceptionnellement vite; l’alcool s’évapore assez vite et l’eau beaucoup plus lentement. Nous comprendrons immédiatement de quoi il s’agit quand nous aurons vu dans un tableau la valeur des tensions de leur vapeur à la température ambiante par exemple. Voici ces chiffres: éther 437 mm Hg; alcool 44,5 mm Hg et eau 17,5 mm Hg. Plus la tension est grande, plus il y aura de vapeur dans la couche d’air adjacente et plus l’évaporation sera rapide. Nous savons que la tension de la vapeur augmente avec la tempé- rature. On comprend donc pourquoi la vitesse d’évaporation augmente avec l’échauffement.

Mais il y a encore un moyen d'accélérer le processus. Si nous voulons contribuer à l'éva- poration, il faut faire en sorte que la vapeur s’'évacue plus rapidement, c’est-à-dire accen- tuer le brassage de l’air. Voilà pourquoi l’évapo- ration s’accélère quand on souffle sur un liquide. Bien que la tension de la vapeur d'eau soit relativement faible, l’eau disparaîtra assez vite

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si on en place une soucoupe dans un endroit exposé au vent.

Maintenant, on comprend pourquoi le nageur qui sort de l’eau a froid quand il vente. Le vent accélère le mélange de l’air et de la vapeur, accélère l’évaporation, et le corps humain est obligé de céder de la chaleur.

La sensation de confort est fonction de la quantité de vapeur d’eau contenue dans l’air. L'air trop sec ou trop humide est également désagréable. L’humidité est considérée comme normale lorsqu'elle est égale à 60 %. Cela si- gnifie que la densité de la vapeur d’eau correspond à 60 % de la densité de la vapeur saturante à la même température.

Si l’on refroidit de l’air humide, la pression des vapeurs d’eau finira par devenir égale à leur tension à la même température. La vapeur deviendra saturante, et si la température con- tinue à baisser, elle commencera à se condenser et à donner de l’eau. Le mécanisme de la rosée matinale qui mouille l'herbe et les feuilles des arbres est le même.

A 20°C, la densité des vapeurs d’eau satu- rantes est de l’ordre de 0,00002 g/cm°. La sen- sation de bien-être correspond à une quantité de vapeur d’eau égale à 60 % de ce chiffre, soit un peu plus d’un cent-millième de gramme par cm.

Quoique petit, ce chiffre donne à l’échelle d’une pièce des quantités de vapeur considé- rables. On calcule sans peine qu’une chambre d’une surface de 12 et d’une hauteur sous plafond de 3 m peut ainsi contenir environ un kilogramme d’eau sous forme d’une vapeur saturante.

Donc, si l’on ferme hermétiquement un local de ce volume en ayant soin d’y placer préalable- ment un tonneau d’eau ouvert, quelle que soit

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la capacité du tonneau, il s’en évaporera un litre d’eau.

Il est intéressant de comparer ce résultat avec les chiffres correspondants du mercure. Pour la même température de 20 °C, la densité de la vapeur saturante de mercure est de 108 g/cm. Le local que nous avons décrit précédemment ne contiendra pas plus d’un gramme de vapeurs de mercure.

Il est à noter toutefois que les vapeurs mer- curielles sont très nocives, et qu’un gramme de vapeur de mercure peut sérieusement dété- riorer la santé de l’homme. En travaillant avec du mercure on veillera donc à ne pas en répandre la moindre gouttelette.

TEMPÉRATURE CRITIQUE

Comment transformer un gaz en liquide? La courbe d’ébullition est pour nous répondre. La chose est possible soit en diminuant la tem- pérature, soit en augmentant la pression.

Au XIX® siècle accroître la pression parais- sait plus facile que d’abaisser la température, et tout au début du même siècle le grand physi- cien anglais Faraday parvint à comprimer des gaz à des valeurs correspondant à leurs tensions de vapeur, en liquéfiant ainsi plusieurs (chlore, gaz carbonique et d’autres).

Toutefois, malgré des pressions considéra- bles, certains gaz et notamment l'hydrogène, l’azote et l’oxygène ne se prêtaient pas à la liquéfaction. On en vint à penser que l’oxygène et certains autres gaz ne pouvaient exister à l’état liquide, et on les classa dans la catégorie des vrais gaz ou gaz permanents.

En réalité, ces échecs étaient dus à l’incom- préhension d’une circonstance fort importante.

Examinons un liquide et sa vapeur en état

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Fig. 4.3

Poinwr CRITIQUE

d'équilibre et pensons à ce qui se passe quand le point d'ébullition croît avec un accroissement correspondant de la pression. Autrement dit, imaginons que ce point se déplace vers le haut en suivant la courbe. Il est clair qu’à chaque élévation de la température le liquide se dilate et sa densité diminue. En ce qui concerne la vapeur, l’accroissement de la température d’ébul- lition contribue bien sûr à la faire dilater, mais nous savons déjà que la pression de la vapeur saturante croît beaucoup plus vite que la tem- pérature d'’ébullition. Aussi la densité de la vapeur ne diminue pas, mais augmente rapide- ment avec l'élévation de la température d’ébul- lition.

Puisque la densité du liquide diminue et celle de la vapeur augmente, notre progression sur le diagramme va finir par nous conduire inévitablement en un point les densités du liquide et de la vapeur s’égalisent (fig. 4.3).

En ce point remarquable, qui est appelé point critique, la courbe d’ébullition se rompt. Vu que toutes les particularités qui distinguent un gaz d'un liquide découlent d’une différence de densités, au point critique leurs propriétés deviennent les mêmes. Chaque substance possède ainsi sa température critique et sa pression cri- tique propres. Pour l’eau, le point critique cor-

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Fig. 4.4

LIQUIDE

VAPEUR

respond à une température de 374 °C et à une pression de 218,5 atm.

Si l’on comprime un gaz se trouvant à une température inférieure au point critique, le processus de sa compression sera représenté par une flèche qui vient couper la courbe d’ébullition (fig. 4.4). Cela signifie qu’à l'instant la pres- sion atteint une valeur égale à la tension de la vapeur (point d’intersection de la flèche et de la courbe) le gaz commence à se condenser. Si notre enceinte était transparente, on verrait naître une couche de liquide sur le fond. À pres- sion constante, cette couche augmente jusqu'à ce que le gaz se transforme entièrement en liqui- de. Une compression ultérieure demanderait un accroissement de la pression.

Il en va tout autrement lors de la compres- sion d’un gaz dont la température est supérieure au point critique. De nouveau, on peut repré- senter le processus de compression sous la forme d'une îlèche dirigée de bas en haut, mais main- tenant cette flèche ne coupe plus la courbe d’ébul- lition. Cela veut dire qu’au lieu de condenser la vapeur, la compression aura pour effet de la rendre de plus en plus dense.

À une température supérieure au point criti- que, il n’est plus possible de voir coexister un

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liquide et un gaz distincts. Même aux plus fortes compressions, nous aurons toujours sous le piston une substance homogène dont il sera difficile de dire si elle est un gaz plutôt qu’un liquide et inversement.

La présence d’un point critique montre qu’il n’y a pas de différence de principe entre l’état liquide et l’état gazeux. De prime abord, il pourrait paraître que ce n’est vrai que dans les cas il s’agit de températures supérieures à la température critique. C’est une erreur. L’exis- tence du point critique montre qu'il est pos- sible de transformer un liquide, un vrai liquide, susceptible d’être versé dans un verre, en gaz sans rien qui ressemble à une ébullition.

La technique de cette transformation est indiquée sur la figure 4.4. Le liquide connu com- me tel est marqué d’une croix. Si l’on diminue légèrement la pression (flèche dirigée vers le bas), il va bouillir. Il bouillira également si l’on élève légèrement la température (flèche dirigée vers la droite). Mais nous allons agir tout autre- ment. Comprimons le liquide très fortement, de façon à obtenir une pression supérieure au point critique. Le point qui décrit l’état du liquide va monter à la verticale. Chauffons ensuite le liquide, processus représenté par une ligne ho- rizontale. Maintenant que nous nous retrouvons à droite de la température critique, rabaissons la pression à sa valeur initiale. Si l’on réduit désormais la température, on obtient la plus authentique vapeur que le même liquide pou- vait donner par une méthode plus simple et plus courte.

Ce qui fait qu'il est toujours possible, en modifiant la pression et la température de manière à éviter le point critique, d'obtenir de la vapeur directement à partir du liquide ou d'obtenir un liquide à partir de la vapeur. Une

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telle transformation continue ne demande ni ébullition ni condensation.

Les premières tentatives de liquéfaction de gaz comme l'oxygène, l’azote et l'hydrogène essuyèrent un échec parce qu’on n'avait aucune idée de l’existence d’une température critique. Or, pour ces gaz, elles sont très basses: —147 °C pour l'azote; —119 °C pour l’oxygène ; —240 °C ou 33 K pour l'hydrogène. L'’hélium, avec une température critique de 4,3K, bat tous les records. Il n’y a qu’un moyen de liquéfier ces gaz, c'est d’abaisser leur température à une valeur inférieure à celle ‘indiquée.

OBTENTION DE BASSES TEMPÉRATURES

Plusieurs procédés permettent d’abaisser subs- tantiellement la température. Mais l’idée sur laquelle ils sont fondés est toujours la même: il s’agit d'’obliger le corps que nous voulons refroidir à céder son énergie interne.

Comment y parvenir? Un des moyens consis- te à faire bouillir le liquide sans lui fournir de chaleur. Nous savons maintenant qu'il faut pour cela réduire la pression et l’amener à la valeur de la tension de la vapeur. La chaleur dépensée à l’ébullition sera empruntée au li- quide, et la température du liquide et de la vapeur ainsi que la tension de celle-ci diminue- ront. Pour que l’ébullition ne s'arrête pas et pour qu'elle soit plus rapide, il faut évacuer continuellement l’air du récipient contenant le liquide.

Toutefois, la diminution de la température finit par avoir une limite: la tension de la va- peur devient finalement négligeable, et les meilleures pompes seront impuissantes à créer la dépression requise.

Pour continuer d’abaisser la température on

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peut, en refroidissant le gaz par le liquide obte- nu, le transformer en un liquide à température d'ébullition plus basse. Maintenant, on répète l'opération avec cette deuxième substance. Cette technique d'obtention de basses températures en cascade pourra être prolongée autant qu'il le faut.

C'est d’ailleurs ainsi qu'on faisait à la fin du siècle dernier; la liquéfaction était réalisée par degrés: on transformait successivement en liquide l’éthylène, l’oxygène, l'azote, l’hydro- gène substances à températures d'’ébullition de —103 °C, —183 °C, —196 °C et —253 °C respectivement. En disposant d'hydrogène liqui- de, on pouvait liquéfier l’hélium, gaz au point d’ébullition le plus bas (—269 °C). Le voisin de « gauche » aidait à obtenir le voisin de « droite ».

Cette méthode des cascades a près d’un siècle d'âge. En 1877, elle donna l’air liquide, entre 1884 et 1885, l'hydrogène liquide. Enfin, Ka- merlingh Onnes obtint en 1908 à Leyde, en Hollande, de l’hélium liquide.

Longtemps le Laboratoire du Froid de Leyde demeura le seul en son genre. Aujourd’hui, il a sa réplique dans tous les pays, sans compter des usines entières qui produisent de l’air, de l’azote, de l’oxygène et de l’hélium liquides pour les besoins de l’industrie.

La méthode des cascades n’est que rarement employée maintenant. L'industrie utilise aujour- d’hui un autre procédé de diminution de l’éner- gie interne. On oblige le gaz à se détendre brus- quement et à accomplir un travail aux dépens de cette énergie.

Si, par exemple, on introduit de l’air com- primé à plusieurs atmosphères dans un déten- deur, le travail qu'il exécutera pour déplacer le piston ou faire tourner la turbine aura pour effet de le refroidir si brusquement qu'il se

8—01030 113

transforme en liquide. De même le jet d’une bouteille de gaz carbonique se transforme ins- tantanément en « glace ».

Les gaz liquéfiés sont largement employés dans de nombreuses branches de l’industrie. L’oxygène liquide est utilisé comme explosif, comme comburant dans les moteurs à réaction.

La liquéfaction de l’air est aussi utilisée pour séparer les gaz dont il se compose.

Le froid procuré par l’air liquide est, lui aussi, très utilisé. Mais pour de nombreuses recherches de physique, il est déjà insuffisant. En effet, si l’on traduit la température de l’air liquide mesurée en degrés Celsius à l'échelle absolue, on verra qu’elle équivaut à peu près au tiers de la température ambiante.

Les températures de l’hydrogène, soit entre 14 et 20 K, et surtout les températures de l’hé- lium présentent pour les physiciens un intérêt beaucoup plus grand. La plus basse tempéra- ture obtenue par épuisement de l’hélium liquide est de 0,7 K.

Les physiciens sont parvenus d’ailleurs beau- coup plus près du zéro absolu. On a obtenu des températures n'en différant que de quelques millièmes de degré seulement. Mais ces tempé- ratures extra-basses résultent de méthodes qui ne ressemblent en rien à celles que nous avons décrites.

Depuis quelques années, la physique des basses températures a engendré une industrie spécialement destinée à fabriquer des installa- tions permettant de maintenir des volumes consi- dérables à des températures proches du zéro ab- solu ; on dispose de câbles de force dont les con- ducteurs fonctionnent à une température infé- rieure à 10 K.

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VAPEUR SOUS-REFROIDIE ET LIQUIDE SURCHAUFFÉ

Au-delà du point d’ébullition la vapeur doit se condenser, se transformer en liquide. Or, on constate que lorsqu'elle n’est pas en contact avec le liquide et qu’elle est très pure, on peut obtenir de la vapeur sous-refroidie ou sursaturée, vapeur qui devrait s'être liquéfiée depuis long- temps.

La vapeur sursaturée est très instable. Il suffit parfois d’un imperceptible choc ou d’un grain pour que la condensation retardée se déclenche immédiatement,

L'expérience montre que la condensation des molécules de vapeur est rendue beaucoup plus facile quand on y introduit des particules étran- oères. Dans un air poussiéreux, la sursaturation de la vapeur d’eau n’a pas lieu. Il est possible de provoquer la condensation par des bouffées de fumée, puisque celle-ci se compose de petites particules solides. En pénétrant dans la vapeur, ces particules attirent les molécules et devien- nent des noyaux de condensation.

Donc, quoique dans un équilibre instable, la vapeur peut exister dans la région des tempé- ratures réservées aux liquides.

Et un liquide, peut-il dans les mêmes con- ditions exister dans la région réservée à la va- peur? Autrement dit, peut-on surchauffer un liquide ?

Mais parfaitement. Il faut pour cela faire en sorte que les molécules du liquide ne se sépa- rent pas de sa surface. Un moyen radical consiste à supprimer la surface libre, c’est-à-dire à placer le liquide dans une enceinte il serait enserré de tous les côtés par des parois solides. On arrive ainsi à obtenir une surchauffe de quelques degrés, autrement dit, à faire déplacer le point

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représentatif de l’état des liquides à droite de la courbe d’ébullition (fig. 4.4).

Surchauffer un liquide équivaut à le déplacer dans la région réservée à la vapeur, aussi ceci s'obtient soit par apport de chaleur, soit par diminution de pression.

Cette dernière méthode donne des résultats étonnants. L’eau ou tout autre liquide soigneu- sement libéré des gaz qu'il contient en solution (ce qui n’est pas facile à faire) est placé dans un cylindre comportant un piston touchant à la surface du liquide. Le cylindre et le piston doi- vent être mouillés. Si maintenant on amène le piston vers soi, l’eau qui adhère à sa surface va le suivre. La couche d’eau qui adhère au piston entraînera la suivante, celle-ci en entraînera une troisième, en définitive le liquide va s’étirer.

La colonne d’eau finira par se rompre (oui, c’est la colonne qui se rompt et non pas l’eau qui se détache du piston), mais cela se passera quand la force par unité de surface aura atteint plusieurs dizaines de kilogrammes. Autrement dit, nous avons créé dans le liquide une pression négative de quelques dizaines d’atmosphères.

L'état gazeux d’une substance est déjà stable à de faibles pressions positives. Un liquide, par contre, peut donner lieu à une pression négative. Il est difficile de trouver un exemple de surchauf-

fe plus frappant.

FUSION

Il n'est pas de solide qui puisse résister indéfiniment à une élévation de température. Tôt ou tard, il se transforme en liquide; il est vrai que dans certains cas on n’a pasle loisir d’ar- river à la température de fusion, une décomposi- tion chimique survenant entre-temps.

Au fur et à mesure que la température s'élève,

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Fig. 49

FUSION

le mouvement des molécules se fait plus intense. Il arrive, enfin, un moment il devient impos- sible de maîtriser les molécules fortement « ébran- lées »: le solide fond. C’est le tungstène qui possède la plus haute température de fusion, 3380 °C. L'or fond à 1063 °C, le fer à 1539 °C. D'autres métaux, au contraire, sont très fusibles, et on sait que le mercure fond à —39 °C. La température de fusion des substances organiques est assez basse. La naphtaline fond à 80 °C, le toluène à —94,5 °C.

Il est très facile de mesurer la température de fusion d’un corps, surtout si celui-ci fond dans un intervalle de températures que l’on peut évaluer à l’aide d’un thermomètre ordinaire. Ce faisant, inutile de surveiller le corps en fusion: il suffit d'observer la colonne mercurielle (fig. 4.5), Aussi longtemps que la fusion n’a pas commencé la température s'élève, mais dès qu'elle se déc- lenche, la progression cesse et la température reste invariable tout le temps que dure le pro- cessus.

Tout comme la transformation d’un liquide en vapeur, celle d’un solide en liquide demande une certaine quantité de chaleur, dite chaleur latente de fusion. Par exemple, la fusion d’un kilogramme de glace demande 80 grandes calo- ries,

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La glace fait partie des corps demandant une grande chaleur de fusion. Qu'on en juge: sa fusion requiert 10 fois plus d'énergie que celle d’une même masse de plomb. Il s’agit évidem- ment de la fusion proprement dite, et nous ne disons pas qu'avant de parvenir à son point de fusion le plomb doit être porté à la température de +327 °C. Cette grande chaleur de fusion de la glace à pour effet de ralentir la fonte des neiges. Imaginons ce qui se passerait si elle était, mettons, 10 fois plus petite: les crues de printemps provoqueraient chaque année des ca- tastrophes inimaginables.

Cette grande chaleur de fusion de la glace devient petite (7 fois moins) si on la compare aux 940 grandes calories par kilogramme de sa chaleur de vaporisation. Cette différence, d’ail- leurs, est naturelle. Pour transformer un liquide en vapeur, nous devons séparer les molécules les unes des autres, tandis que dans le cas de la fusion, il suffit de perturber l’ordre des molécules, tout en les laissant presque aux mêmes distances. Il est évident que cette dernière opération re- quiert moins de travail.

L'existence d’un point de fusion déterminé est une caractéristique importante des corps cristallins. Grâce à elle, précisément, on les distingue aisément des autres solides, dits corps amorphes ou verres. Les verres se rencontrent tant parmi les substances inorganiques que parmi les substances organiques. Le verre à vitre est généralement fabriqué avec des silicates de sodium et de calcium. Sur un bureau on pla- cera plutôt du verre organique (appelé encore ple- xiglas).

Contrairement aux cristaux, les substances amorphes n’ont pas de point de fusion fixe. Le verre se ramollit. Lorsqu'on chauffe un morceau de verre, il commence par devenir pâteux et se

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prête alors facilement au pliage ou à l’allonge- ment. À une température plus élevée, le morceau de verre va se déformer sous son propre poids, puis, si on continue à le chauffer, sa masse vis- queuse et épaisse épouse la forme du récipient qui le contient. D'abord dense comme du miel, cette masse va ressembler à de la crème fraîche pour devenir enfin fluide comme de l’eau. Malgré toute notre bonne volonté, nous ne pourrons pas arrêter une température annonçant le passage de l’état solide à l’état liquide. Ceci est à une différence de structure radicale entre le verre et les corps cristallins. Nous avons déjà dit que les atomes des substances amorphes sont disposés sans aucun ordre apparent. Cette structu- re rappelle celle des liquides. Dans un verre froid et donc rigide, les molécules sont déjà dis- posées en désordre. Un accroissement de la tem- pérature ne fait qu'augmenter l’amplitude de leurs oscillations en leur fournissant une liberté de déplacement de plus en plus grande. Voilà pourquoi le verre se ramollit progressivement et ne présente pas le seuil solide-liquide, qui carac- térise le passage des molécules d’une ordon- nance régulière à une disposition désordonnée.

Quand nous parlions de la courbe d’ébulli- tion, nous avons dit qu’un liquide et une vapeur peuvent exister, quoique dans un état d’instabi- lité, dans la région qui leur est étrangère: la vapeur peut être sous-refroidie et amenée à gauche de la courbe d’ébullition, le liquide peut être surchauffé et déplacé à droite de cette courbe.

Des phénomènes analogues auraient-ils place en ce qui concerne un cristal et un liquide ? Oui, mais l’analogie n’est pas complète.

Si l’on chauffe un cristal, il commence à fondre à sa température de fusion. Jamais on ue parviendra à le surchauffer. Au contraire, en

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refroidissant un liquide on peut, en prenant certaines précautions, « sauter » assez facilement le point de fusion. Certains liquides donnent lieu à de grands sous-refroidissements. Il y en a même qui se prêtent facilement à ce traite- ment, mais qu’il est difficile de faire cristalliser. En refroidissant, un liquide de ce genre devient de plus en plus visqueux et finit par se solidifier sans cristalliser. Tel est le verre.

L'eau peut être aussi sous-refroidie. Même par grands froids les gouttelettes de brouillard peuvent ne pas geler. Mais si on jette dans un liquide sous-refroidi le moindre cristal de cette substance en guise de germe cristallin, la cris- tallisation commence immédiatement.

Enfin, il y a de nombreux cas une cristal- lisation retardée se déclenche à la suite d’une secousse ou de quelque autre circonstance fortui- te. On sait, par exemple, que la glycérine cris- tallisée fut obtenue accidentellement pendant un transport en chemin de fer. Le verre après

D]

un long repos peut aussi se mettre à cristalliser.

COMMENT FAIRE POUSSER UN CRISTAL

Il n’y a pratiquement pas de corps qui ne puis- se, dans des conditions adéquates, donner de cristaux. On peut obtenir des cristaux à partir d’une solution ou d’un bain de fusion du maté- riau choisi, ou encore de sa vapeur (par exemple, les cristaux rhomboïques noirs de l’iode sont aisément déposés par sa vapeur, à la pression normale et sans passage intermédiaire par l’état liquide).

Nous vous proposons de dissoudre dans de l’eau une cuiller de sel ou de sucre. A la tempé- rature normale (20 °C), vous ne ferez fondre dans votre verre qu'environ 70 grammes de sel: vous pouvez en ajouter autant que vous vordrez,

le supplément refuse obstinément de se dissoudre et va se déposer au fond. Une solution dans la- quelle on ne peut plus faire fondre un corps est dite saturée. Mais si l’on modifie la tem- pérature, le degré de solubilité des corps se modi- fie également. Tout le monde sait que la plupart des matières que l’on fait fondre dans l’eau, s’y dissolvent beaucoup plus facilement quand l’eau est chaude.

Imaginez maintenant que vous disposez d’une solution saturée de sucre à la température de 30 °C et que vous commencez à la refroidir jusqu’à 20 °C. À 30 °C vous avez réussi à faire fondre dans 100 grammes d’eau 223 grammes de sucre, et vous savez qu’à 20 °C, ils n’en feront que 205. I1 suffit donc de refroidir le verre de 30 à 20 °C et les 18 g en sus vont déposer au fond. Autre- ment dit, l’un des modes possibles d'obtention des cristaux consisle à refroidir une solution saturée.

Mais on peut agir autrement et préparer une solution saturée de sel qu’on laisse reposer dans le verre non fermé. Au bout d’un certain moment, on constate que de petits cristaux apparais- sent. Pour quelle raison? L'observation atten- tive montre que simultanément à la formation des cristaux, s’est produit un autre changement, la quantité d’eau a diminué. En effet, l’eau s’est évaporée, et la solution s'est avérée lestée d’un surplus de matière. Nous voyons donc que la vaporisation d’une solution est un autre mode possible de formation des cristaux.

Comment la formation des cristaux se dé- roule-t-elle ?

Nous avons dit que les cristaux se déposent dans la solution ; est-ce à dire que pendant toute une semaine, mettons, il n'y a pas de cristal, et que tout à coup, il apparaît sans crier gare? Pas du tout, et tout ce temps-là les cristaux

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ont poussé. Et naturellement, on ne discerne pas à l’œil nu la toute première phase de la crois- sance. Pour commencer, un petit nombre de molécules ou d’atomes en mouvement désordon- du corps dissous s'associent dans l’ordre ap- proximatif indispensable à la formation du réseau cristallin. Ce groupe d’atomes ou de molé- cules s’appelle le germe cristallin.

La pratique montre que le germe cristallin se forme le plus volontiers lorsque des grains minuscules de matières étrangères sont présents dans la solution. Quant à la cristallisation pro- prement dite, elle débute le plus vite et aisément lorsqu'on place dans la solution saturée un petit cristal servant d’amorce de cristallisation. Dans ce cas, la production des matières à partir de la solution se fait non pas par formation de nouveaux cristaux, mais par croissance de l’amorce.

Naturellement, la croissance du germe ne se distingue pas de celle de l’amorce. L'intérêt de l’utilisation de l’amorce tient à ce qu’elle « prend en charge » la matière qui se forme et fait obs- tacle à la formation simultanée d’un grand nombre de germes. Car s’il y a beaucoup de ger- mes, ils se gênent mutuellement et nous inter- disent d'obtenir de gros cristaux.

Comment se répartissent à la surface du germe les portions d’atomes ou de molécules dégagés par la solution ?

L'expérience montre que la croissance du germe ou de l’amorce s’opère sous la forme d’une sorte de translation des faces parallèlement à elles-mêmes et selon la perpendiculaire. Les angles formés par les faces restent constants (nous savons déjà que la constance des angles est une des caractéristiques essentielles du cristal, découlant de sa structure réliculaire).

On a sur la figure 4.6 trois exemples de la

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Fig. 4.6

configuration que peut prendre le cristal d’une même matière pendant sa croissance. Naturelle- ment, ceci ne peut se voir qu’au microscope. Pour le cristal de gauche, le nombre de faces se conserve identique à lui-même. Le dessin du milieu fournit un exemple une face nouvelle apparaît (en haut et à droite) puis disparaît.

Il importe de faire observer que la rapidité de la croissance des faces, c’est-à-dire la rapi- dité de leur translation parallèlement à elles- mêmes, varie selon les faces. Et ce sont les faces qui se déplacent le plus vite, par exemple la face inférieure gauche du cristal du milieu, qui se résorbe le plus sûrement. Au contraire, les faces à croissance lente s’avèrent les plus larges, les plus développées.

On le voit fort nettement sur le dernier cris- tal. Le débris informe initial prend la même configuration que les autres cristaux, précisé- ment à cause de l’anisotropie de la vitesse de croissance. Certaines faces bénéficient d’une croissance beaucoup plus favorable au détriment des autres et restituent au cristal sa forme caracté- ristique.

Des formes transitoires particulièrement bel- les sont observées quand on prend pour amorce une boule, et que la solution est soumise à re-

123

froidissement et réchauffement alternés. Lors- qu'on chauffe, la solution cesse d’être saturée, il y a dissolution partielle de l’amorce. Inverse- ment, un refroidissement se solde par la satura- tion de la solution et la croissance de l’amorce. Et dans ce cas, les molécules déposent selon un mode différent, comme si elles optaient de pré- férence pour certains endroits privilégiés. De la sorte, la matière est transportée de certaines zones de la boule vers d’autres.

Au début, on voit se former à la surface de la boule de petites faces adoptant la forme de cer- cles. Les cercles s’élargissent graduellement et, venant à se toucher, ils se juxtaposent selon des arêtes rectilignes. La boule se mue en polyèdre. Ensuite certaines faces prennent de vitesse sur d’autres faces, une partie est résorbée, le cristal acquiert sa forme caractéristique (fig. 4.7).

Pour celui qui observe la croissance des cris- taux, l’aspect le plus surprenant de ce phéno- mène est la translation parallèle des faces. En somme, le tableau est le suivant: la matière produite par la solution génère les faces par cou-

Fig. 4.7

124

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Fig. 4.8

ches successives, et tant qu’une couche n'est pas terminée, la suivante doit attendre.

Sur la figure 4.8, on a représenté un assem- blage d’atomes resté «inachevé ». Question: pour quelle position désignée par les lettres un atome supplémentaire venant s’agréger au cristal peut le faire le plus solidement? Indu- bitablement, en Æ, car à cet endroit il subit l'attraction de ses voisins de trois côtés, tandis qu’en L, l'attraction ne se fait sentir que de deux côtés et en M, d’un seul. Voilà pourquoi le cristal commence par terminer la rangée, puis toute la face, après quoi seulement il entreprend la pose de la couche suivante.

Dans de nombreux cas, les cristaux se forment à partir d’une masse fondue, d'un bain de fusion. Dans la nature, le phénomène s’opère à une échelle gigantesque, puisque c’est à partir du magma de feu que se sont constitués les basaltes, les granites et beaucoup d’autres roches.

Mettons à chauffer un corps cristallin quel- conque, par exemple du sel gemme. Jusqu'à 804 °C, les cristaux de sel gemme ne subisse guère de changement: ils ne font que s’élargir vague- ment, et le corps reste un solide. Mais le ther- momètre accuse une nouvelle croissance de la température. A 804°C, nous constatons l’ap-

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parition de deux phénomènes liés entre eux: le corps commence à fondre, la température cesse de monter. Elle ne longe plus jusqu’à ce que toute la matière se soit liquéfiée et quand la tempéra- ture reprend son ascension, c’est déjà le liquide qui se réchauffe. Tous les corps cristallins possè- dent une température de fusion fixe. La glace fond à O0 °C, le fer à 1527 °C, le mercure à —39 °C, etc.

Comme nous le savons déjà, dans tout cristal, les atomes ou les molécules de matière consti- tuent un assemblage ordonné et accomplissent de faibles oscillations autour de leur position moyen- ne. À mesure que la température monte, la vitesse des particules oscillantes augmente, ainsi que l'amplitude de l’oscillation. Cette accélération du mouvement des particules en fonction de la température accrue constitue l’une des lois prin- cipales de la nature, et qui se rapporte à la ma- tière dans n'importe lequel de ses états: solide, liquide ou gazeux.

Lorsqu'on atteint une certaine température, suffisamment élevée, les oscillations des parti- cules constituantes du cristal deviennent si vigoureuses que lesdites particules ne sont plus en mesure de s’agréger soigneusement et dans l’ordre voulu: le cristal fond. Quand la fusion débute, cela veut dire que l’afflux de chaleur, au lieu d'augmenter la vitesse des particules, détruit le réseau cristallin. Aussi, la température cesse-t-elle de monter. Dès qu’elle reprend son ascension, cela veut dire que l’augmentation de vitesse concerne maintenant les particules du liquide.

Dans le cas qui nous intéresse de la cristalli- sation à partir d'un bain de fusion, les phénomè- nes décrits plus haut sont observés dans l’ordre inverse: à mesure que le liquide refroidit, ses particules ralentissent le mouvement chaotique ;

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lorsqu'on atteint une certaine température, sui- fisamment basse, leur vitesse est déjà si faible que certaines particules, sous l'effet de l’attrac- tion, commencent à s’agréger les unes aux autres, formant des germes cristallins. La température reste constante aussi longtemps que toute la matière ne s’est pas cristallisée. En règle géné- rale, c’est la même température que celle de fusion.

Si l’on ne prend pas de précaution, la cris- tallisation à partir d’un bain de fusion débute simultanément en plusieurs endroits. Les petits cristaux poussent sous forme de polyèdres régu- liers, caractéristiques de la matière, et absolument de la même façon que décrit plus haut. Encore que la croissance sans entrave ne dure guère: en orossissant, les cristaux se heurtent les uns aux autres, leur poussée cesse aux endroits ils entrent en contact, et le corps devenu dur reçoit une structure granulaire. Ce grain n'est autre que le cristal qui n’a pas réussi à acquérir sa forme régulière.

En fonction de nombreuses conditions, mais avant tout de la rapidité du refroidissement, un solide peut posséder des grains plus ou moins gros. Plus le refroidissement se fait lentement, plus le grain est gros. La dimension des grains des corps cristallins varie d’un millionième de centimètre à plusieurs millimètres. Dans la majorité des cas, la structure en grain cristal- lin peut s’observer au microscope. Ladite struc- ture cristalline fine concerne d'ordinaire les solides.

Techniquement, le refroidissement des métaux est un phénomène du plus grand intérêt. Les événements auxquels donnent lieu la coulée et le refroidissement du métal dans un moule ont été étudiés par les physiciens avec le plus grand soin.

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Souvent, on voit se former pendant la soli- dification des monocristaux ayant l'aspect d’ar- borisations et qu'on appelle pour cette raison dendrites. Quelquefois les dendrites s’orientent au hasard, quelquefois elles le font en respectant le parallélisme.

Sur la figure 4.9, nous avons trois phases successives de la croissance de la même den- drite. Dans cette situation, la dendrite peut se résorber dès avant de rencontrer une voisine analogue. Notre lingot sera dépourvu de den- drites. Mais les événements peuvent suivre un autre cours: les dendrites peuvent se rencontrer et s’imbriquer les unes dans les autres (les bran- ches de l’une venant se placer dans l'intervalle des branches de l’autre), tant qu’elles sont encore jeunes.

On a alors des lingots dont les grains (on les voit sur la figure 2.22) offrent la structure la plus variée. Or le caractère de cette structure influe substantiellement sur la qualité du métal. Et l’on peut contrôler son comportement à la solidification en modifiant la vitesse de refroidis- sement et le système d'évacuation de Ia cha- leur.

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Mais maintenant, voyons comment faire pour former un gros monocristal. D'’emblée, il va falloir prendre des mesures pour que le cristal croisse à partir d’un seul foyer. Mais si plu- sieurs petits cristaux sont déjà apparus, on ne favorisera la croissance que de l’un d'eux.

Voici, par exemple, comment on procède pour faire pousser des cristaux de métaux ayant une basse température de fusion. Le métal est fondu dans une éprouvette de verre dont l'extrémité est ensuite étirée. L’éprouvette, suspendue à un fil à l’intérieur d’un four cylindrique vertical, est lentement abaissée. L’extrémité étirée sort graduellement du four et se refroidit. La cris- tallisation débute. On voit d’abord se former plusieurs petits cristaux; ceux qui poussent latéralement rencontrent la paroi de l’éprou- vette et leur croissance se ralentit. Seul le cristal qui pousse suivant l’axe de l’éprouvette, c’est-à- dire vers le fond de la masse fondue, se trouve dans des conditions favorables. L’éprouvette descend et de nouvelles portions de métal en- trent dans la zone de basses températures et alimentent ce cristal unique. Finalement, il est le seul qui subsiste, et au fur et à mesure que l'éprouvette descend il continue à pousser bien le long de son axe. Au bout du compte tout le métal fondu se solidifie sous la forme d’un uni- que cristal.

La même idée est à la base de la génération des cristaux réfractaires du rubis. Une fine poudre de substance est projetée à travers une flamme. Les particules fondent ; en gouttes in- fimes, elles tombent sur un support réfractaire de très faible surface et engendrent un grand nombre de cristaux. La pluie de gouttes conti- nuant, tous les cristaux poussent, mais, encore, seul va prospérer le cristal qui se trouve dans la position la plus favorable.

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À quoi servent les grands cristaux ?

L'industrie et la science en sont de grands consommateurs. Les cristaux de sel de Seignette et de quartz, qui ont la propriété remarquable de transformer la pression en une tension électri- que, sont notamment d’une grande importance.

L'industrie de l’optique a besoin de grands cristaux de calcite, de sel gemme, de fluorite, etc.

L'industrie horlogère utilise des cristaux de rubis, de saphir et de quelques autres pierres précieuses. N'oublions pas que certaines pièces d’une montre ordinaire font jusqu’à 20 000 os- cillations par heure. Une telle vitesse demande qu’on se montre particulièrement exigeant envers la qualité des tourillons et des paliers. L’usure sera minimale si on utilise en guise de palier pour un tourillon dont le diamètre est compris entre 0,07 à 0,15 mm un rubis ou un saphir. Les cristaux artificiels de ces substances sont fort résistants, et l’acier les use très peu. Il est à noter que les pierres artificielles sont de meilleure qualité que les pierres naturelles.

Toutefois, l’industrie s'intéresse surtout à la génération de monocristaux de semiconducteurs, silicium et germanium.

INFLUENCE DE LA PRESSION SUR LA TEMPÉRATURE DE FUSION

Si l’on modifie la pression, la température de fusion change également. Nous avons déjà rencontré ce phénomène lorsque nous avons parlé de l’ébullition. Plus la pression est grande, plus la température d’ébullition est élevée. En règle générale, la même chose est valable pour la fusion. Il y a cependant un petit nombre de subs- tances qui se comportent d’une façon anormale, leur température de fusion diminuant avec l'accroissement de la pression.

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De fait, la plupart des corps solides sont plus denses que leurs liquides. Font exception à cette règle les substances dont la température de fu- sion se conduit anormalement quand la pression varie, l’eau par exemple. La glace est en effet plus légère que l’eau et son point de fusion baisse quand la pression augmente.

La compression contribue à former un état plus dense. Si un corps est plus dense à l’état solide qu’à l’état liquide, la compression va contribuer à sa solidification et entraver sa fusion. Or, si nous disons que la fusion est con- trecarrée par la compression, cela signifie que la substance demeurée solide aurait déjà fon- dre à cette température; autrement dit, un ac- croissement de la pression a pour effet d'élever la température de fusion. Dans le cas anormal, le corps est plus dense à l’état liquide qu’à l’état solide et la pression contribue à la formation du liquide, c’est-à-dire qu’elle abaisse la température de fusion.

La pression influe sur la température de fu- sion infiniment moins que sur le point d’ébulli- tion. Un accroissement de pression de plus de 100 kgf/em? n’abaisse la température de fusion de la glace que de 1 °C.

Mais pourquoi donc les patins ne glissent-ils bien que sur la glace, et refusent de le faire sur un parquet non moins lisse ? L’unique explication tient apparemment à ce que dans le premier cas, il se forme de l’eau, laquelle sert de lubrifiant. Pour comprendre la contradiction, il suffit se rappeler que des patins aux lames emoussées glissent très mal sur la glace. Il faut aiguiser le fer, afin qu’il coupe la glace. Dans ce cas, le fer ne pèse sur la glace que par le fil de la lame. La pression sur la glace atteint des dizaines de milliers d’atmosphères, la glace fond.

D* 131

ÉVAPORATION DES CORPS SOLIDES

Quand on dit qu’une « substance s’évapore », on présume qu'il s’agit d’un liquide. Mais les solides aussi peuvent s’évaporer. Ce phénomène est appelé sublimation.

Ainsi, la naphtaline est un corps solide qui dégage des vapeurs. Elle fond à 80 °C mais se sublime à la température ambiante. C’est cette propriété qui fait que nous l’utilisons pour la destruction des mites. Une fourrure saupoudrée de naphtaline s’imprègne des vapeurs de cette substance et crée une ätmosphère fatale à ces insectes. Tout corps solide odorant est le siège d'une sublimation énergique. L’odeur, en effet, est due aux molécules arrachées à la substance qui viennent exciter le système olfactif. Mais il est plus fréquent de rencontrer des sublimations si modérées qu'elles ne peuvent être détectées par les recherches les plus minutieuses. En prin- cipe, tout solide (même le cuivre ou le fer) se sublime. Si nous n’en décelons pas la trace, cela signifie simplement que la densité de la vapeur saturante est très faible.

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On peut constater que de nombreuses substan- ces ayant une odeur prononcée à la température ambiante la perdent à une température plus basse.

La densité d’une vapeur saturante en état d'équilibre avec le solide augmente rapidement avec l'élévation de la température. Nous avons illustré ce comportement par la courbe valable pour la glace, sur la figure 4.10. Il est vrai que la glace n’a pas d’odeur.…

Dans la majorité des cas, il n’est pas possible d'augmenter dans une proportion sensible la densité de la vapeur saturante d’un corps solide pour la simple raison qu’il aura fondu avant.

La glace aussi s’évapore et les ménagères, qui mettent leur linge à sécher à la fenêtre à l’exté- rieur par temps froid, le savent bien. L'eau commence par geler, la glace s’évapore ensuite et le linge sèche.

POINT TRIPLE

Il est donc des conditions sous lesquelles la vapeur, le liquide et le cristal peuvent coexister deux par deux en équilibre.

Mais ces trois états d’une substance, peuvent- ils s'équilibrer ? Oui, nous avons sur le diagramme pression-température un point appelé point tri- ple cet équilibre s'établit. Voyons il se trouve.

Si dans un récipient fermé on verse de l’eau à O0 °C mêlée de glaçons, des vapeurs d’eau (et de glace) commencent à envahir son atmosphère. À la pression de 4,6 mm Hg l’évaporation cesse et la saturation commence. Les trois phases glace, eau et vapeur sont maintenant en état d'équilibre. Nous avons le point triple. Le diagramme de l’eau présenté sur la figure 4.11 montre bicu la relation entre les trois états.

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Fig. 411

On peut tracer un diagramme de ce genre pour n'importe quel corps.

Nous connaissons déjà les courbes représen- tées. Ce sont les courbes d'équilibre de la glace et de la vapeur, de la glace et de l’eau, de l’eau et de la vapeur. Comme toujours nous portons la pression verticalement et la température hori- zontalement.

Les trois courbes se coupent au point triple et divisent le diagramme en trois régions respecti- vement réservées à la glace, à l’eau et à la vapeur d'eau.

Le diagramme d'état est une sorte de mémento concis. Il nous donne instantanément l’état dans lequel un corps est stable à une pression et une température données.

Si on place de l’eau ou de la vapeur dans les conditions qui correspondent à la région de gauche, elles se transformeront en glace. Si l’on place un liquide ou un solide dans la région inférieure, on obtiendra de la vapeur. Dans la région de droite, la vapeur se condensera et la glace fondra.

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Le diagramme permet de préciser immédiate- ment ce qui va arriver à une substance si on la chauffe ou si on la comprime. Un échauffement à pression constante sera représenté par une ligne horizontale sur laquelle le point figuratif de l’état du corps se déplacera de gauche à droite.

Des deux lignes indiquées ci-dessus, l’une représente l’échauffement à pression normale. Cette ligne se trouvant au-dessus du point triple, elle coupera d’abord la courbe de fusion, puis, hors des limites de la figure, celle d’évaporation. À pression normale la glace fondra à la tempéra- ture de 0 °C et l’eau ainsi formée bouillira à 100 °C.

Il en ira autrement pour de la glace chauffée à très faible pression, mettons un peu moins de o mm Hg.

L'échauffement sera alors représenté par une ligne passant au-dessous du point triple, ne coupant pas les courbes de fusion et d’ébullition. À une pression si réduite, l’échauffement provo- quera une transformation directe de la glace en vapeur.

Sur la figure 4.12, le même diagramme décrit le très curieux phénomène qui se produit quand on comprime de la vapeur d’eau à l’état marqué d’une croix sur le dessin. La vapeur va d’abord

Fig. 4.12

se transformer en glace pour fondre ensuite. Le dessin nous permet de dire immédiatement à quelle pression commencera la croissance du cristal et quand aura lieu la fusion.

Les diagrammes d'état de toutes les substan- ces se ressemblent beaucoup. Des différences qui peuvent sembler assez grandes n'’apparais- sent que parce que l’emplacement du point triple varie considérablement selon les substances.

Or, notre existence se passe aux alentours de « conditions normales », c'est-à-dire en premier lieu à une pression voisine d’une atmosphère. La position du point triple d’une substance par rapport à la ligne de pression normale a donc pour nous une grande importance.

Si la pression au point triple est intérieure à la pression atmosphérique, nous classons': la substance parmi les corps fusibles. Lorsque la température augmente, elle se liquéfie d’abord, puis commence à bouillir. Dans le cas contraire, quand la pression au point triple est supérieure à la pression atmosphérique, un échauffement ne donnera pas de liquéfaction, la substance solide se transformant directement en vapeur. C'est ce qui se passe avec la glace sèche, et qui fait très bien l’affaire des marchands de glaces. Ceux-ci peuvent faire alterner les ice-creams avec des morceaux de glace sèche sans craindre de mouiller la marchandise. La glace sèche est le nom vulgaire du gaz carbonique solidifié CO. Le point triple de cette substance se trouve à 73 atmosphères, aussi un échauffement déplace- t-il le point représentant son état suivant l’hori- zontale qui ne coupe que la courbe d’évaporation du solide (exactement comme pour la glace ordi- naire sous une pression d'environ 5 mm Hp).

Nous avons déjà vu comment on procède pour déterminer la valeur d’un degré de température à l'échelle de Kelvin, ou désormais, dans le

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système SI, d’un kelvin. Toutefois, il était alors question du principe qui préside à la mesure de la température. Les instituts de métrologie ne possèdent pas tous des thermomètres à gaz idéaux. Aussi déterminent-ils l'échelle de température en recourant au point d'équilibre entre les di- vers états de la matière fixés par la nature.

En ce domaine, un rôle spécial revient au point triple de l’eau. Le degré kelvin est défini actuellement comme la 273,16-e partie de la température thermodynamique du point triple de l’eau. Le point triple de l'oxygène est adopté comme égal à 54,361 K. La température de so- lidification de l’or l’est à 1337,58 K. Grâce à ces points repères, on est en mesure de graduer n'importe quel thermomètre.

MÊMES ATOMES, CRISTAUX DIFFÉRENTS

Le graphite noir, mat et doux dont nous fai- sons des crayons et le diamant brillant et dur qui sert à couper le verre se composent des mêmes atomes de carbone. Pourquoi donc les propriétés de ces deux substances de composition identique sont si différentes ?

Rappelez-vous le réseau du graphite strati- fié, dont chaque atome a trois voisins immédiats et celui du diamant, dont l’atome en a quatre. Cet exemple montre nettement comment la disposition réciproque des atomes détermine les propriétés des cristaux. Le graphite sert à fabri- quer des creusets réfractaires résistant à des températures de 2000 à 3000”, tandis que le dia- mant brûle à plus de 700 °C; la densité du dia- mant est de 3,5 et celle du graphite de 2,3; le graphite conduit le courant électrique, le dia- mant ne le conduit pas, etc.

Cette propriété de donner des cristaux diffé- rents n’est pas spéciale au carbone. Presque tous

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les éléments chimiques et même toutes les subs- tances chimiques peuvent ainsi revêtir les as- pects les plus différents. On connaît six variétés de glace, neuf variétés de soufre, quatre variétés de fer.

Dans notre étude du diagramme d'état d’un corps, nous avons fait abstraction des différents types de cristaux et nous avons tracé une région réservée aux solides entièrement homogène. Or, pour de nombreuses substances, cette région se divise en secteurs correspondant chacun à une certaine sorte de corps solide ou, comme on dit, à une phase solide (une variété cristalline) déter- minée.

Chacune de ces phases possède la région d'état stable délimitée par un certain intervalle de pressions et de températures. Les lois qui pré- sident à la transformation d’une variété cristal- line en une autre sont les mêmes que pour la fusion et la vaporisation.

Pour chaque pression on peut indiquer une température à laquelle deux types de cristaux coexisteront. Qu'on élève la température et le cristal d’une sorte se transforme en un cristal de l’autre. Qu'on l’abaisse et c’est la métamor- phose inverse qui a lieu.

Pour qu'à pression normale du soufre rouge se transforme en soufre jaune, il faut une tem- pérature inférieure à 110 °C. Au-dessus de cette valeur et jusqu’au point de fusion, l’arrangement atomique caractéristique du soufre rouge reste stable. Lorsque la température baisse, les oscilla- tions des atomes diminuent et à partir de 110 °C la nature trouve une ordonnance plus convenable. C'est la métamorphose.

Personne n’a cherché un nom pour les six dif- férentes variétés de glace. On se contente de dire: glace un, glace deux, ..., glace sept. Mais pardon, pourquoi sept, s’il n’y en a que six

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sortes ? C’est que la glace quatre, après la premiè- re série d'expériences, n’a jamais pu être obte- nue. De l’eause trouvant à une température d’en- viron soumise à une compression de l’ordre de 2000 atmosphères donne la glace cinq et à une compression de l’ordre de 6000 atmosphères la glace six. La glace deux et la glace trois sont stables à des températures inférieures à 0 °C.

La glace sept est une glace chaude; elle se forme lorsqu'on soumet de l’eau chaude à une pression de l’ordre de 20 000 atmosphères.

Toutes ces glaces, l’ordinaire exceptée, sont plus lourdes que l’eau. On a ce paradoxe: la glace obtenue dans des conditions extérieures normales se comporte de façon anormale, la glace résultant de conditions anormales se com- portant tout à fait normalement.

Nous disons qu’à chaque variété cristalline correspond une région d'existence déterminée. Comment se fait-il alors que le graphite et le diamant existent dans les mêmes conditions?

Pareille «illégalité » se rencontre souvent dans le monde des cristaux. Cette capacité qu'ils ont d'empiéter sur le domaine des voisins est presqu' une règle. Si le transfert d’une vapeur ou d’un liquide dans un autre état requiert tou- jours différents stratagèmes, on n’arrive presque jamais, au contraire, à maintenir un cristal dans les limites que la nature lui a alouées.

Les phénomènes de surchauffe et de sous- refroidissement auxquels les cristaux donnent lieu s'expliquent par la difficulté qu'il y a à transformer leurs arrangements internes dans les conditions d’étroitesse extrême qui sont les leurs. À 95,5 °C le soufre jaune doit se transfor- mer en soufre rouge. Mais grâce à un échauffe- ment plus ou moins rapide nous allons « sauter » ce point critique et faire passer le point de fusion du soufre à 113 °C.

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C'est en mettant les cristaux en contact que l’on déterminera le plus facilement la vraie température de transformation. Si on les main- tient étroitement serrés à la température de 96 °C, le soufre jaune est absorbé par le soufre rouge, mais à 95 °C c’est le soufre rouge qui est absorbé par le jaune. A la différence de la trans- formation cristal-liquide, la transformation cris- tal-cristal est généralement retardée, en sous- refroidissement comme en surchauffe.

Dans certains cas, nous avons affaire à des états de la substance qui devraient se présenter sous des températures totalement différentes.

En théorie, l’étain blanc se transforme en étain gris quand la température s’abaisse à +13 °C. Or, l'usage de ce métal est généralisé et nous savons qu'en hiver rien ne lui arrive. De fait, il supporte couramment des refroidisse- ments de l’ordre de 20 à 30°. Néanmoins, si le froid est intense, l’étain blanc se transforme bel et bien en étain gris. L’ignorance de ce fait est l'une des causes qui fut à l’origine de la tragédie de l'expédition de Scott au pôle Sud (1912). Le carburant que l'expédition avait emporté se trouvait dans des récipients soudés à l’étain. Les très grands froids provoquèrent la réaction, la soudure des bidons se désagrégea et le carbu- rant se répandit. Ce n’est pas par hasard que l'apparition de taches grises sur de l’étain blanc est appelée vulgairement peste de l’étain.

Exactement comme pour le soufre, l’étain blanc peut être réduit en étain gris à un peu moins de 13 °C si un grain de ce dernier prend contact avec un objet en étain blanc.

Le fait qu'il existe plusieurs variétés d’une même substance et que leurs transformations réciproques peuvent être retardées est d’une importance primordiale pour la technique.

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À la température ambiante, les atomes du fer forment un réseau cubique centré dont ils occupent les sommets et le centre. Chaque atome a huit voisins. A haute température, ils forment un assemblage plus compact chacun a douze voisins. Dans le premier cas, le fer est doux et dans le deuxième, il est dur. Or, il se trouve qu’on peut avoir du fer de la deuxième variété à la température ambiante. Ce mode de fabrication, la trempe, est largement utilisé dans la métal- lurgie. |

La technique de la trempe est très simple: la pièce métallique portée au rouge est plongée dans un bain d’eau ou d’huile. Le refroidissement a lieu avec une telle rapidité que le retour à la structure de basses températures n’a pas le temps de s'effectuer. Ceci fait que celle de hautes températures se conservera indéfiniment long- temps dans des conditions qui ne sont pas les siennes: la recristallisation en structure stable se fait avec une telle lenteur qu'on ne la remar- que pas.

En parlant de la trempe du fer, nous avons admis une incorrection. C’est en effet l’acier qu’on trempe, c’est-à-dire du fer à très faible teneur en carbone, quelques fractions de pour cent. La présence de ces minuscules additions de carbone retarde la transformation du fer dur en fer doux et permet la trempe. En ce qui concerne le fer totalement pur, il ne se prête pas à cette techni- que, la transformation de la structure ayant le temps de s’opérer même lors des refroidissements les plus brusques.

En fonction du diagramme d'état et en chan- geant la pression ou la température, on obtient donc les métamorphoses les plus variées.

Une simple modification de pression donne lieu à maintes transformations cristal-cristal. C’est le cas, notamment, pour le phosphore noir.

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Fig. 413

kof/cm 2 DIAMANT

GRAPHITE

VAPEUR

0 1000 3000 5000 T K

La transformation du graphite en diamant, par contre, requiert à la fois de hautes tempéra- tures et de grandes pressions. La figure 4.13 représente le diagramme d'état du carbone. A des pressions inférieures à 10 000 atmosphères et à des températures inférieures à 4000 K, la forme stable est le graphite. Ainsi, le diamant empiète en territoire étranger, et il n’est pas difficile de le transformer en graphite. Or, c’est le problème inverse qui présente un intérêt pra- tique, et l’on n'arrive pas à transformer le gra- phite en diamant par une simple augmentation de la pression. Il est probable qu'à l’état solide le changement de phase s'opère trop lentement. L'aspect du diagramme d'état nous suggère alors la solution: accroître la pression tout en chauf- fant. Nous obtenons du carbone en fusion (angle droit du diagramme). En le refroidissant à haute pression, nous devons arriver dans la région du diamant.

Théoriquement, cette méthode fut démontrée en 1955 et à l'heure actuelle le problème est considéré comme techniquement résolu.

UN LIQUIDE SINGULIER

Lorsqu'on abaisse la température d’un corps, tôt ou tard il se solidifie et acquiert une structure

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cristalline. La valeur de la pression à laquelle le refroidissement a lieu n’a pas d’importance. Cette circonstance paraît être naturelle et con- forme aux lois de la physique que nous connais- sons maintenant. En effet, en abaïssant la tem- pérature nous diminuons l’intensité du mouve- ment thermique. Lorsque le mouvement molé- culaire devient tellement faible qu'il cesse de s'opposer aux forces d'interaction des molécules, ces dernières s’ordonnent régulièrement et for- ment un cristal. Si l’on continue à abaisser la température, le refroidissement va emprunter toute l’énergie du mouvement moléculaire, et au zéro absolu la matière devra exister sous forme de molécules en repos disposées en un réseau régulier.

L'expérience montre que ce comportement est celui de toutes les substances à une exception près, celle de l’hélium.

Nous avons déjà dit quelques mots de ce gaz qui bat tous les records pour la valeur de sa température critique. Pas une substance n’a une température critique inférieure à ses 4,3 K. Pourtant en lui-même ce record ne signifie en- core rien. Une autre chose nous frappe: quand nous refroidissons l’hélium au-dessous de sa température critique, nous n'obtenons pas d’hé- lium solide même au zéro absolu; l’hélium reste liquide.

Ce comportement de l’hélium est absolument inexplicable du point de vue des lois du mouve- ment que nous avons exposées plus haut; on a un avertissement quant à la validité de certai- nes lois de la nature qui paraissaient universelles.

Si un corps est liquide, ses atomes sont en mouvement. Mais puisque nous l'avons refroidi à la température du zéro absolu, nous lui avons pris toute l’énergie de mouvement. On est donc obligé d'admettre que l’hélium possède une éner-

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gie de mouvement qui ne peut pas lui être en- levée. Une pareille déduction est incompatible avec la mécanique dont nous nous sommes occupés jusque-là. Selon cette mécanique, il est toujours possible de freiner un corps jusqu’à l’arrêt com- plet en lui retirant toute son énergie cinétique ; d’une façon identique on peut stopper les molé- cules en leur ôtant leur énergie lors des collisions des molécules avec les parois du récipient réfri- géré. De toute évidence, cette mécanique-là ne convient pas à l’hélium.

L’« étrange » comportement de l’hélium nous fait entrevoir un fait d’une importance énorme. Pour la première fois, nous nous sommes trouvés dans l’impossibilité d'appliquer au monde des atomes les lois fondamentales de la mécanique, établies à l’issue de l'étude directe du mouve- ment des corps visibles, lois qui paraissaient être le fondement immuable de la physique.

Entre le fait que l’hélium refuse de cristal- liser au zéro absolu et la mécanique que nous avons étudiée jusqu’à présent, il y a divorce absolu. Et cette première contradiction rencon- trée sous la forme d’un refus d’obéissance du monde des atomes aux lois de la mécanique n’est que le premier maillon de la chaîne des contra- dictions encore plus frappantes que nous allons trouver en physique. Ces contradictions obli- gent à réexaminer les principes de la mécanique atomique. La révision est très profonde et modi- fie toutes nos conceptions de la nature.

Toutefois, cela ne signifie nullement qu'il faut rayer de l’usage les lois de la mécanique que nous connaissons déjà. Il serait trop injuste d’obliger le lecteur à s’initier à des choses inu- tiles. La vieille mécanique reste entièrement valable dans le monde des grands corps. Voilà qui suffit déjà pour porter le respect qui se doit aux chapitres correspondants de la physique.

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Fig. 414

HÉLIUM I

LIQUIDE

Il n’est pas moins important que bien des lois de la vieille mécanique passent sans changements dans la nouvelle. C’est le cas, en particulier, de la loi de conservation de l’énergie.

Pour en revenir à notre sujet, l'existence d’une énergie « inaliénable » à la température du zéro absolu n’est pas une propriété particu- lière à l’hélium. On constate que toutes les subs- tances ont une énergie « zéro ». Mais pour l’hé- lium, cette énergie est suffisante pour empêcher les atomes de former un réseau cristallin régu- lier. Et n’allons pas penser que l’hélium ne peut pas se trouver à l’état cristallin. Pour le cristal- liser il suffit de porter la pression à quelque 25 atmosphères. Un refroidissement opéré au-des- sus de cette pression provoque la formation de l’hélium solide cristallisé, aux propriétés absolu- ment ordinaires. Rappelons que l’hélium forme un réseau cubique à faces centrées.

Sur la figure 4.14, on a le diagramme d'état de l’hélium. Ce diagramme diffère radicalement de celui de toutes les autres substances par l’ab- sence du point triple. On voit que les courbes de fusion et d’ébullition ne se coupent pas.

Ce diagramme d'état possède une autre par- ticularité: il existe en effet deux liquides d’hélium différents. En quoi consiste cette dit- férence, nous le saurons plus loin (p. 180).

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CHAPITRE 5

SOLUTIONS

QU'EST-CE QU'UNE SOLUTION ?

Si l’on jette un peu de sel dans un bouillon et qu’on mélange avec une cuillère, le sel dispa- raît sans laisser de trace. Il ne faut pas penser que les grains de sel simplement ne sont plus visibles à l’œil nu. Nul moyen ne permet de détec- ter les cristaux du sel pour la simple raison qu’ils se sont dissous. Si l’on ajoute du poivre, on n'ob- tient pas de solution. On peut agiter le bouillon autant qu’on voudra, les particules noires sub- sisteront.

Mais que signifie: «la substance s’est dis- soute »? Les atomes ou les molécules dont elle est formée pourraient-ils disparaître sans laisser de trace? Bien sûr que non, et personne ne le soutient. Le mécanisme de la dissolution ne fait disparaître que le grain de la substance, le cristal, l’accumulation de molécules d'une même sorte. La dissolution consiste donc en un brassage des particules d’un mélange tel que les molécules d’une substance se répartissent entre celles de l’autre. Une solution est un mélange de molécules ou d’atomes de différentes substances.

Une solution peut contenir différentes quan- tités de la substance dissoute. La composition d’une solution est caractérisée par sa concentra- tion, par exemple par le rapport du nombre de grammes de la substance dissoute au nombre de litres de la solution.

Au fur et à mesure qu’on rajoute de la subs- tance soluble la concentration de la solution augmente, mais pas indéfiniment. Tôt ou tard,

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celle-ci se sature et cesse de s’incorporer la substance soluble. La concentration d’une solu- tion saturée, c’est-à-dire la concentration limite de la solution, est appelée solubilité.

La quantité de sucre que l’on peut dissoudre dans de l’eau chaude est étonnante. À une tem- pérature de 80 °C, un verre d’eau absorbe 720 g de sucre. Cette solution saturée sera dense et visqueuse, ce qu’on appelle sirop de sucre. Le chiffre que nous avons indiqué pour le sucre cor- respond à un verre d’une capacité de 0,2 litre. Il s'ensuit que la concentration du sucre dans l’eau à 80 °C est de 3600 g/l (grammes par litre).

La solubilité de certaines substances dépend beaucoup de la température. A la température ambiante de 20 °C, celle du sucre dans l’eau tombe à 2000 g/l. Quant à la solubilité du sel, elle ne varie que très faiblement avec la tempé- rature.

Si le sucre et le sel se dissolvent bien dans l’eau, la naphtaline y est pratiquement insoluble. Les diverses substances se comportent différemment selon des solvants.

On utilise des solutions pour faire pousser les cristaux simples. Voici comment on procède: on suspend dans une solution saturée un petit cristal de substance dissoute ; au fur et à mesure que le solvant s’évapore cette substance se dépose à la surface du cristal. Ce faisant, les molécules observent une stricte ordonnance, et le petit cristal grandit en demeurant simple.

SOLUTION DE LIQUIDES ET DE GAZ

Peut-on dissoudre un liquide dans un autre liquide? Evidemment. Par exemple, la vodka est une solution d’alcool dans de l’eau (ou si l’on veut une solution d’eau dans de l’alcool, selon la proportion). La vodka est une véritable

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solution, les molécules d’eau et d'alcool sont intégralement mélangées.

Mais le mélange de deux liquides ne donne pas toujours ce résultat.

Essayez donc de verser du pétrole dans de l’eau. Mélangez autant que vous voudrez, jamais vous n'aurez de solution homogène, c'est aussi irréalisable que de dissoudre du poivre dans un bouillon. Dès que le malaxage s’arrête, les deux liquides se séparent en couches distinctes: l’eau, plus lourde, est en bas; le pétrole, plus léger, surnage. Le pétrole et l’eau et l’alcool et l’eau sont deux systèmes contraires en ce qui concerne leurs propriétés de solubilité.

Mais on trouve aussi des cas intermédiaires. Si l’on mélange de l’éther et de l’eau, on voit nettement dans le récipient deux couches dis- tinctes. La première pensée est que l’éther se trouve en haut et l’eau en bas. En réalité, et la couche inférieure et la couche supérieure sont des solutions : en bas on a de l’eau ayant dissous une partie de l’éther (concentration de 25 g d’éther par litre d’eau) et en haut de l’éther con- tenant une quantité notable d’eau (60 g/l).

Voyons maintenant les solutions de gaz. On conçoit que tous les gaz se dissolvent l’un dans l’autre en quantités illimitées. Deux gaz se mélangent toujours de façon que les molécules de l’un s’intercalent entre les molécules de l’au- tre. Les molécules gazeuses agissent peu les unes sur les autres, et chacun des gaz, pour ainsi dire, ne prête pas attention à son voisin.

Les gaz peuvent se dissoudre aussi dans les liquides, mais seulement en quantité limitée, tout comme les substances solides. Chaque gaz le fait à sa manière, et ces différences peuvent être considérables. L’eau dissout très bien de grandes quantités d’ammoniac (environ 100 g dans un demi-verre d’eau froide), d'hydrogène

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sulfureux et d'acide carbonique. On peut aussi y dissoudre un peu d'oxygène et d’azote (0,07 et 0,03 g par litre d’eau froide). On voit donc qu'un litre d’eau froide ne contient guère qu’un centième de gramme d'air. Cette modeste quanti- joue pourtant un rôle éminent pour la vie sur la Terre, puisqu'elle procure aux poissons l’oxy- gène qui leur est nécessaire.

Plus la pression d’un gaz est grande et plus on peut en dissoudre dans un liquide. Si le volu- me de gaz dissous n’est pas très grand, il y a relation directe entre ce volume et la pression des gaz au-dessus de la surface du liquide.

Qui n’aime à se désaltérer avec de l’eau de Seltz bien fraîche? Eh bien, sa préparation est rendue possible par cette corrélation entre le vo- lume de gaz dissous et la pression. Du gaz carbo- nique contenu dans des bouteilles spécialement résistantes est injecté sous pression dans l’eau. Quand on se verse un verre d’eau, la pression retombe à la valeur de la pression atmosphéri- que, et l’eau dégage le gaz excédentaire sous forme de bulles.

Compte tenu de ces phénomènes, la remontée des scaphandriers à la surface ne doit pas s’ef- fectuer trop rapidement. Par suite de la grande pression, le sang d’un scaphandrier immergé dissout une quantité d’air complémentaire. S’il remonte trop vite, la pression tombe brutale- ment, l’air commence à se dégager sous forme de bulles et peut obstruer les vaisseaux sanguins,

SOLUTIONS SOLIDES

On utilise généralement le mot « solution » en parlant des liquides. Pourtant, il existe aussi des mélanges solides dont les atomes ou les molé- cules donnent une combinaison homogène. Com- ment obtenir une telle solution? L'usage d’un

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mortier n'y fera rien, aussi va-t-on d’abord liquéfier les substances, c’est-à-dire les faire fondre pour ensuite mélanger les liquides et permettre au mélange de se solidifier. On peut user d’une autre technique: dissoudre les deux substances à mélanger dans un liquide, puis faire évaporer le solvant. On peut obtenir ainsi des solutions solides. Obtenir ou non, car les réus- sites sont rares. Jetons dans de l’eau salée un morceau de sucre; il s’y dissout. Faisons évapo- rer l’eau; nous retrouvons au fond de la tasse de minuscules cristaux de sel et de sucre. Le sel et le sucre ne donnent pas de solutions solides.

On peut faire fondre dans le même creuset du cadmium et du bismuth. Après refroidisse- ment le microscope nous montre un mélange de cristaux de cadmium et de bismuth. Ces deux substances non plus ne forment pas de solution solide.

La condition nécessaire, bien qu'insuffisante, à la formation de solutions solides est celle-ci. La forme et les dimensions des molécules et des atomes des substances à mélanger doivent être du même ordre. Ce n’est que dans ce cas quand le mélange gèle, on voit se former une seule sorte de cristaux. Les nœuds du réseau de chaque cris- tal contiennent généralement les atomes (ou les molécules) de différentes sortes disposés en désordre.

Les alliages métalliques, dont l'importance pour la technique n’est pas à souligner, repré- sentent souvent des solutions solides. L’addi- tion d’une faible quantité de corps étranger suffit à changer considérablement les propriétés d’un métal. L'exemple le plus frappant est celui de l’acier, matériau universel par excellence. Ce métal est une solution solide de petites quan- tités de carbone (de l’ordre de 0,5 p. cent en poids, soit un atome de carbone pour 40 atomes

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de fer) dans le fer, les atomes du carbone venant se placer en désordre entre ceux du fer.

On ne peut dissoudre dans le fer qu’un petit nombre d’atomes de carbone. Mais d’autres solutions solides admettent les mélanges en des proportions quelconques. Nous indiquerons ici l’alliage or-cuivre. Les cristaux de l’or et du cuivre appartiennent au même système cubique à faces centrées. L’alliage du cuivre et de l’or est donc aussi de ce système. On aura une image de la structure de l’alliage que donne un ac- croissement progressif de la part de cuivre en retirant mentalement du réseau des atomes d’or et en les remplaçant par des atomes de cuivre. Ce mécanisme s’opère d’une façon désordonnée, les atomes de cuivre se répartissant plus ou moins irrégulièrement dans les nœuds du réseau. On peut dire que les alliages du cuivre et de l’or sont des solutions de substitution et l’acier une solution d'insertion.

Dans la plupart des cas, néanmoins, les solutions solides ne se forment pas et, comme nous l’avons dit, après solidification le micro- scope montre que la substance se compose d’un mélange de fins cristaux des deux substances,

COMMENT GÉLENT LES SOLUTIONS

Si l’on refroidit une solution aqueuse d’un sel quelconque, on constate que la température de congélation a baissé. Bien que le zéro soit dépassé, la solidification n'intervient pas. Ce n'est qu'à la température de plusieurs degrés au-dessous de zéro que les premiers cristaux apparaissent. Ce sont des cristaux de glace pure, car le sel ne se dissout pas dans de la glace solide.

La température de congélation dépend de la concentration de la solution. En augmentant la concentration nous réduisons la température de

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cristallisation. Le point de congélation le plus bas est celui d’une solution saturée. L’abaisse- ment obtenu n'est pas négligeable: ainsi, une solution saturée de sel de cuisine gèle à —21 °C. D'autres sels donnent un abaissement encore plus grand ; le chlorure de calcium, notamment, permet d’abaisser la température de solidifi- cation d’une solution jusqu’à —55 °C.

Examinons maintenant comment se déroule la congélation proprement dite. Après apparition des premiers cristaux de glace la concentration de la solution va augmenter. Les molécules étran- gères deviennent proportionnellement plus nom- breuses, la résistance à la cristallisation s’ac- croît et le point de congélation s’abaisse. Si on n'a pas soin d’abaisser aussi la température, la cristallisation s’arrête. On continue donc d’abaisser la température, et les cristaux de glace (du solvant) continuent à se dégager. En- fin, la solution est saturée. Tout enrichissement ultérieur en substance dissoute devient impos- sible, et la solution se solidifie d’un seul coup. A l'examen microscopique le mélange congélé laisse voir des cristaux de glace et des cristaux de sel.

Une solution gèle donc autrement qu’un li- quide ordinaire, le processus de sa congélation s'étale sur un grand intervalle de températures.

Qu’arrivera-t-il si nous saupoudrons de sel une surface quelconque recouverte de glace ? La réponse est bien connue de tous les concier- ges. Dès que le sel entre en contact avec la glace, cette dernière se met à fondre. Mais pour que ce phénomène se produise, il faut évidemment que la température de congélation de la solu- tion saturée de sel soit inférieure à la tempéra- ture de l'air. Cette condition étant assurée, le mélange glace-sel empiète sur une région étran- gère à son état, en l’occurrence celle de la stabi-

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lité de la solution. Aussi il se transforme en solution, c’est-à-dire que la glace fond et le sel se dissout. En définitive, toute la glace va fondre ou bien on verra se former une solution d’une concentration telle que sa température de con- gélation sera égale à la température ambiante.

Supposons que la surface d’une cour de 400 est couverte d’une croûte de glace de 1 cm d’épais- seur, ce qui donne le poids assez respectable d’en- viron une tonne. Calculons combien de sel il nous faut pour nettoyer la cour s’il fait —3 °C. Cette température est celle du point de cristalli- sation (de fusion) d’une solution aqueuse de sel à concentration de 45 g/l. Un litre d’eau corres- pondant à peu près à un kilogramme de glace, pour faire en fondre une tonne à la température de —3 °C il nous faut 45 kg de sel. Pratiquement, il en faut beaucoup moins, car on ne cherche pas à faire fondre toute la glace.

Lorsqu'on mélange de la glace avec du sel, la glace fond et le sel se dissout dans l’eau. Or, la fonte demande de la chaleur, et la glace la prélève au milieu ambiant. Ce qui fait qu’une addition de sel à la glace provoque une baisse de température.

Nous sommes habitués maintenant à manger de la glace en provenance d’un glacier spécialisé. Mais du temps de nos grands-parents la glace se faisait à la maison et en guise de réfrigérateur on utilisait un mélange de glace et de sel.

ÉBULLITION DES SOLUTIONS

Le phénomène de l’ébullition des solutions a beaucoup de points communs avec celui de la congélation.

Exactement comme pour la cristallisation, la présence dans le solvant d’une substance dissoute rend l’ébullition plus difficile. Dans

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les deux cas les molécules étrangères luttent, pour ainsi dire, pour la conservation d’une solu- tion aussi diluée que possible. Autrement dit, elles stabilisent l’état de la substance de base (c'est-à-dire contribuent à la sauvegarder) qui peut les dissoudre.

Voilà pourquoi elles entravent Ia cristalli- sation du liquide et en abaissent, par conséquent, la température de cristallisation. Analogique- ment, les molécules étrangères entravent l’ébul- lition du liquide, c’est-à-dire qu'elles en élèvent la température d'’ébullition.

Circonstance curieuse, jusqu’à certaines li- mites de concentration (assez faibles) l’abaisse- ment du point de cristallisation ou l'élévation du point d'’ébullition ne dépendent nullement des propriétés de la substance dissoute et ne sont déterminés que par le nombre de molécules de cette dernière. On utilise cette singularité pour déterminer la masse moléculaire de la substance dissoute. La chose se fait à l’aide d’une formule remarquable (que nous ne pouvons pas indiquer ici) reliant la température de congélation ou d’ébullition au nombre de molécules par unité de volume de la solution (et à la chaleur de fu- sion ou d’ébullition).

La température d’ébullition d’une solution aqueuse s'élève à peu près trois fois moins que ne s’abaisse sa température de congélation. Aïnsi, de l’eau de mer comprenant environ 3,5 % de sel a un point d’ébullition de 100,6 °C, tandis qu'elle gèle à —2 °C.

Chez un liquide qui bout à une température plus élevée qu’un autre la tension de vapeur est moindre (pour une même température). Il en résulte que la tension des vapeurs d’une solu- tion est inférieure à celle du solvant pur. On peut juger de cette différence d’après les chiffres suivants: la tension de la vapeur d’eau à 20 °C

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est égale à 17,5 mm Hg, tandis que le chiffre correspondant d’une solution saturée de sel de cuisine à température identique est de 13,2.

Une vapeur à tension de 15 mm Hg, non sa- turante pour l’eau, sera sursaturée pour une solution de sel saturée. En présence d’une telle solution la vapeur commence à se condenser et à s’y ajouter. Bien entendu, la vapeur d’eau sera absorbée indifféremment par une solution de sel et par du sel en poudre. En effet, dès la première goutte d’eau le sel se transforme en so- lution saturée.

L’absorption par le sel de la vapeur d’eau contenue dans l’atmosphère fait que le sel de- vient humide. Toutes les ménagères le savent bien. Mais ce phénomène de diminution de la tension de vapeur au-dessus d’une solution présente aussi des avantages: on l'utilise dans les laboratoires pour sécher l’air. Voici comment on procède : l’air est soufflé à travers une couche de chlorure de calcium, substance qui bat tous les records pour l’absorption de l’humidité. Si pour une solution saturée de sel de cuisine la tension de vapeur est de 13,2 mm Hg, pour le chlorure de calcium le chiffre est de 5,6. C'est à cette valeur que va s’abaisser la tension de la vapeur d’eau lorsqu'on la fait filtrer à travers une quantité suffisante de chlorure de calcium (dont { kg « absorbe » environ 1 kg d’eau). Cela cor- respond à une humidité infime et l’air peut être considéré comme sec.

COMMENT ON PURIFIE LES LIQUIDES

L'un des moyens les plus en usage pour dé- barrasser les liquides des impuretés est la distil- lation. On fait bouillir le liquide et on dirige la vapeur dans un réfrigérant. En refroidissant, la

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vapeur se transforme de nouveau en liquide, plus pur que l’'initial.

La distillation permet d'éliminer facilement les substances solides en solution dans un liquide. Les molécules de ces substances sont pratique- ment absentes dans la vapeur. On obtient ainsi de l’eau distillée, eau pure, absolument sans saveur et privée d’additions minérales.

Mais la vaporisation permet aussi de se dé- barrasser des impuretés liquides ou encore de fractionner un mélange constitué par deux ou un plus grand nombre de liquides. On utilise alors le fait que deux liquides formant un mélan- ge entrent en ébullition avec une facilité inégale.

Nous allons voir comment vont se comporter à l’ébullition deux liquides, par exemple de l’eau et de l’alcool éthylique, mélangés en pro- portion égale (vodka à 50°).

À pression normale, l’eau bout à 100 °C et l'alcool à 78°C. Le mélange en question va bouillir à une température intermédiaire égale à 81,2 °C. L'alcool bouillant plus facilement, sa tension de vapeur est plus grande; pour un mélange initial de 50 % la première fraction de vapeur contiendra 80 % d'alcool.

On peut diriger la fraction obtenue dans un réfrigérant et recueillir un liquide enrichi en alcool. On peut aussi continuer le fractionne- ment. Toutefois, il est clair qu’une telle méthode n’est guère satisfaisante, car chaque nouvelle distillation fournit de moins en moins de subs- tance. Pour éviter ce travail à perte on fait usage de colonnes à plateaux.

Le principe de cet appareil très intéressant est le suivant. Imaginons une colonne verticale dont la partie inférieure renferme le mélange li- quide. La chaleur est amenée en partie basse, tandis que le refroidissement se fait par le haut. La vapeur issue de l’ébullition monte et se conden-

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se ; le liquide qui en résulte s'écoule vers le bas. Lorsque la chaleur est amenée de façon continue en partie basse et évacuée de même par le haut, l'enceinte fermée est le siège de courants con- traires, la vapeur se dirigeant vers le haut et le liquide s’écoulant vers le bas.

Voyons ce qui se passe dans une section hori- zontale quelconque de la colonne. À la hauteur de cette section le liquide s'écoule et la vapeur monte sans qu'aucune des substances faisant partie du mélange liquide ne s’y attarde. Si notre colonne est remplie d’un mélange d’alcool et d’eau, les quantités d’alcool et d’eau, circu- lant de bas en haut et de haut en bas, seront les mêmes. Vu que c’est le liquide qui descend tan- dis que la vapeur monte, à n'importe quelle hauteur de la colonne la composition du liquide et de la vapeur est la même.

Or, comme nous l’avons constaté tout à l'heure, l’équilibre liquide-vapeur d’un mélange de deux substances demande, au contraire, que la phase liquide et la phase gazeuse soient de composition différente. C’est donc qu'à une hauteur quelconque de la colonne, nous avons une transformation du liquide en vapeur et inversement. C’est la partie du mélange qui bout à haute température qui se condense alors, et c'est le constituant qui bout à basse température qui passe du liquide en vapeur.

Par conséquent, le courant de vapeur ascen- dant va prélever à toutes les hauteurs le cons- tituant qui bout à basse température, et le courant de liquide descendant sera constamment enrichi par le constituant qui bout à haute tempé- rature. La composition du mélange changera avec la hauteur: plus on monte et plus le taux du constituant qui bout à basse température sera grand. À la limite, on aura en haut une cou- che pure du constituant à point d’ébullition peu

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élevé et en bas une couche pure du constituant à point d'ébullition élevé.

Il ne nous reste plus maintenant qu’à prélever, aussi lentement que possible, afin de ne pas perturber le tableau parfait que nous venons de brosser, en haut la substance qui bout à faible température et en bas celle qui bout à haute température.

Dans la pratique, il faut, pour que ce frac- tionnement ou rectification s’accomplisse cor- rectement, veiller à ce que les courants de vapeur et de liquide qui circulent à la rencontre l’un de l’autre se mélangent aussi parfaitement que possible. À cette fin, on les retient à l’aide des plateaux se surplombant à la verticale et com- muniquant par des tubes. Le liquide qui déborde peut ainsi s’écouler de plateau en plateau. Quant à la vapeur qui monte en un courant rapide (de 0,3 à 4 m/s), elle se fraie un chemin à travers les minces couches successives du liquide. Le schéma d’une colonne à plateaux est donné sur la figu- re 9.1.

Il n’est pas toujours possible de rectifier to- talement un liquide. Certains mélanges possèdent une propriété assez désagréable: pour une cer- taine composition, le rapport des constituants des molécules qui s’évaporent est le même que le rapport des constituants du mélange liquide. Dans ce cas, il est clair que l’épuration par la méthode décrite devient impossible. Tel est le mélange qui comprend 96 % d’alcool et 4 % d’eau: il donne des vapeurs d’une même com- position. Pour cette raison, l’alcool à 96 % est le meilleur que l’on puisse obtenir par la méthode d'évaporation.

La rectification (ou distillation) des liquides est une opération très importante de la techno- logie chimique. Cette technique permet entre

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autres d'obtenir de l’essence à partir du pétrole.

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Fig. 5.1

Il est à noter qu'elle est aussi la méthode la moins onéreuse d'obtention de l’oxygène. Bien entendu, on aura préalablement liquéfié l’air, après quoi la rectification permet de le fraction- ner en azote et oxygène presque purs.

PURIFICATION DES CORPS SOLIDES

On lit toujours sur les bocaux contenant des produits chimiques, à côté de la désignation chimique, les lettres « P», « PA» ou « PS ». Ces lettres désignent conventionnellement! la pureté de la substance: « P » correspond à un degré de pureté fort modeste, la substance admet- tant environ 14 % d’impuretés; « PA » signifie « substance pure pour analyse » et celle-ci ne

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contient plus que quelques dixièmes de pour cent d’impuretés ; « PS » signifie « substance spectra- lement pure » qui n’est pas facile à obtenir si l’on songe que l'analyse spectrale permet de déceler des fractions d’impuretés de l’ordre du millième. L'inscription « PS » autorise l'espoir que le degré de pureté du produit correspond au moins à quatre 9, c’est-à-dire que la teneur en substance de base est d’au moins 99,99 %.

Les besoins en substances solides pures sont considérables.

De nombreuses propriétés physiques sont mises en question par la présence dans le corps de quelques millièmes de pour cent d’impuretés. Or, dans une industrie spéciale qui intéresse au plus haut point les techniques modernes, à sa- voir la production des semi-conducteurs, on exige une pureté correspondant à sept 9 ! Cela veut dire que la solution des problèmes techniques est menacée par la présence d’un atome inutile sur 10 millions d’atomes utiles ! Pour obtenir de telles substances extra-pures, on doit faire appel à des méthodes spéciales.

Le germanium et le silicium extra-purs (ce sont les principaux représentants des semi-con- ducteurs) peuvent s’obtenir par lent étirage d’un cristal croissant dans la masse en fusion. On met en contact avec la surface du silicium (ou du germanium) en fusion une tige à l’extrémité de laquelle on a fixé un germe cristallin. On commence ensuite à remonter lentement la tige ; le cristal qui sort de la masse en fusion est formé par les atomes de la substance de base, tandis que les atomes des impuretés demeurent dans le creuset.

La méthode dite de fusion par zone est plus courante. On confectionne avec l’élément à pu- rifier une tige d’une longueur quelconque et de quelques millimètres de diamètre. Le four cy-

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lindrique embrassant la tige va se déplacer dans le sens de sa longueur. La température étant suffisante à assurer la fusion, le tronçon de métal qui se trouve à l’intérieur du four fond. On déplace ainsi le long de la tige une petite zone de métal en fusion.

Les atomes d’une impureté se dissolvent géné- ralement plus facilement dans un liquide que dans un solide. Aussi à la limite de la zone en fusion voit-on les atomes de l’impureté émigrer des sec- teurs solides dans cette zone, le mouvement in- verse n’ayant évidemment pas lieu. La zone en fusion entraîne, pour ainsi dire, les atomes de l'impureté avec la matière fondue. En fin de course le four est débranché, reconduit au point de départ et l'opération est répétée à plusieurs reprises. Au bout d’un nombre de cycles suffi- sant, il ne reste qu’à découper l'extrémité polluée de la tige. Tous ces matériaux extra-purs sont élaborés sous vide ou dans une atmosphère de gaz inerte.

Quand le pourcentage des atomes étrangers est grand, la fusion par zone et l’étirage des cris- taux depuis la matière fondue ne sont employés que pour la purification définitive.

ADSORPTION

Les gaz se dissolvent rarement dans les corps solides, autrement dit, ils pénètrent rarement à l’intérieur des cristaux. En revanche, il existe un autre mode d'absorption des gaz par des so- lides. Dans ce cas, les molécules de gaz s’accu- mulent à leur surface et cette fixation est appelée adsorption (ne pas confondre avec absorption). Ainsi, l’adsorption se produit lorsqu'une molé- cule, incapable de pénétrer à l’intérieur du corps, se fixe à sa surface.

L’adsorption est l’absorption par la surface.

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Un tel phénomène peut-il jouer un rôle d'une importance quelconque ? Que l’on songe qu’une couche épaisse d’une molécule, portée sur un objet même très grand, ne pèsera qu’une infime fraction de gramme...

Calculons plutôt. La surface d'une molécule moyennement petite est d'environ 10 angstrôms carrés, soit 10-15 cm°?. Cela veut dire que chaque cm? peut recevoir 1015 molécules. Ce nombre de molécules, mettons d’eau, pèse fort peu, 3-10"$ g. Sur un mètre carré on aura en tout et pour tout 0,0003 g d’eau.

Des quantités notables de substance ne se formeront que sur les surfaces de plusieurs cen- taines de mètres carrés. Sur 100 on a déjà 0,03 g d’eau (102! molécules).

A-t-on affaire à de si grandes surfaces dans les laboratoires? allez-vous dire. On conçoit pourtant que parfois de très petits corps, que l’on peut placer sur le bout d’une cuillère à thé, ont des surfaces atteignant plusieurs centaines de mètres carrés.

Un cube d’arête égale à À cm a une surface totale de 6 cm°. Nous le coupons en 8 cubes égaux ayant des arêtes de 0,5 cm. Les faces de ces nou- veaux cubes ont chacune une aire de 0,25 cm°. L’aire totale de ces faces au nombre de 6 X 8 48 est donc de 12 cm°. La surface a été dou- blée. |

Ainsi, toute division d’un corps en augmente la surface. Divisons maintenant notre cube d'un centimètre d’arête en particules de 1 micron. Un micron 107% cm. Le grand cube peut donc être divisé en 10! particules. Chaque particule (pour simplifier les choses, admettons qu'elle aussi est cubique) a une surface de 6 microns carrés, soit 6-108 cm°. La surface totale est de 6-104 cm°, c'est-à-dire 6 m°, et la division à l'échelle du micron n'est pas une limite.

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Finalement, on comprend parfaitement que la surface spécifique (c’est-à-dire la surface d’un gramme de substance) puisse s'exprimer par des chiffres énormes.

Elle croît excessivement vite en proportion du degré de broyage de la substance. La surface de chaque grain ne diminue-t-elle pas proportion- nellement au carré de la dimension, tandis que le nombre de grains dans une unité de volume augmente comme le cube de la dimension? Un gramme d’eau versé au fond d’un verre a une surface de quelques centimètres carrés. Le même gramme d'eau sous forme de gouttes de pluie a une surface de quelques dizaines de centimè- tres carrés. Et un gramme de gouttelettes de brouillard a une surface de plusieurs centaines de mètres carrés.

Du charbon broyé est capable de fixer par adsorption de l’ammoniac, de l’acide carbonique et de nombreux gaz nocifs d'autant mieux que le broyage est plus fin. Cette propriété lui vaut d’être employé dans les masques à gaz. Le char- bon se prête facilement au broyage et les dimen- sions linéaires de ses particules peuvent être réduites à une dizaine d’angstroms. (Ceci fait qu’un gramme de charbon spécialement traité a une surface de plusieurs centaines de et qu’il permet à un masque à gaz d’absorber des dizaines de litres de gaz.

L’adsorption est largement utilisée dans l’in- dustrie chimique. Les molécules des différents gaz, en se fixant par adsorption sur une surface, entrent en contact intime et participent plus facilement aux réactions chimiques. En vue d’ac- célérer les processus chimiques, on utilise sou- vent le charbon ou des métaux finement broyés tels que nickel, cuivre, etc.

Les substances qui ont la propriété d'accélérer les réactions chimiques sont appelées catalyseurs.

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OSMOSE

Il existe parmi les tissus vivants des mem- branes qui possèdent la propriété de laisser passer les molécules de l’eau tout en restant imperméa- bles aux molécules des substances qui y sont dis- soutes.

Les propriétés de ces membranes sont à l'ori- gine de phénomènes physiques dits osmotiques (ou simplement osmose).

Imaginez qu’une paroi semi-perméable de ce genre sépare en deux compartiments un tube en forme de Ü. Dans une branche du tube on verse une solution et dans l’autre de l’eau ou tout autre solvant. Après avoir rempli les deux branches d’une même quantité de liquide, nous constatons avec surprise que bien que les niveaux soient égaux il n’y a pas d'équilibre. Au bout d’un certain temps les niveaux des liquides pré- sentent une différence, et la branche contenant la solution offre un niveau plus élevé. L'eau sépa- rée de la solution par une paroi semi-perméable tend à diluer la solution. Ce phénomène est ap- pelé osmose et la dénivellation, pression osmo- tique.

Quelle est donc l’origine de la pression osmo- tique ?

Dans la branche droite de notre tube (fig. 5.2) la pression résulte de l’eau seule. Dans celle de gauche la pression totale se compose de la pres- sion de l’eau et de la pression de la substance dissoute. Mais l’eau seule a droit au passage et l'équilibre de part et d’autre de la cloison semi- perméable s'établit non pas lorsque la pression dans la branche de gauche égale celle de la bran- che de droite, mais quand la pression de l’eau pure équivaut à la pression de la part «eau» de la solution. La différence de pressions totales est égale à la pression de la substance dissoute.

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Cet excédent de pression n’est autre que la pression osmotique. Comme le montrent expé- riences et calculs, la pression osmotique est égale à la pression d’un gaz composé de la substance dissoute qui occuperait le même volume. On ne s'étonne donc pas que la pression osmotique soit plus qu'honorable. La pression osmotique qui apparaît dans un litre d’eau dans lequel on a dissous 20 g de sucre, équilibrerait une colonne d’eau haute de 14 m.

Malgré le risque évident de provoquer chez le lecteur des souvenirs désagréables, voyons main- tenant comment l’action laxative des solutions de certains sels est liée à la pression osmotique. Les parois de l'intestin sont semi-perméables à un certain nombre de solutions. Mais si le sel ne passe pas à travers ses parois (par exemple le sel de Glauber), il se déclare une pression osmoti- que qui a pour effet d’aspirer l’eau, contenue dans les tissus de l’organisme, dans l'intestin.

Pourquoi une eau très salée ne désaltère pas ? encore la pression osmotique est coupable.

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Les reins ne peuvent pas sécréter d'urine à pres- sion osmotique supérieure à la pression qui règne dans les tissus. C’est ce qui fait que l’organisme qui a absorbé une certaine dose d’eau de mer salée non seulement n’en alimente pas les liqui- des interstitiels, mais, au contraire, restitue avec l’urine de l’eau prise aux tissus.

CHAPITRE 6

MÉCANIQUE MOLÉCULAIRE

FORCES DE FROTTEMENT

Ce n’est pas la première fois que nous parlons du frottement. Pouvait-on, en effet, ne pas le mentionner en parlant du mouvement? Presque chaque mouvement des corps qui nous entourent s'accompagne de frottement. Une automobile dont le conducteur a coupé les gaz s'arrête; un pendule après avoir accompli de nombreuses oscillations fait de même; une bille métallique jetée dans un bocal d'huile de tournesol s’en- fonce lentement. Qu'est-ce qui force les corps qui se déplacent sur une surface à s'arrêter, quel- le est la cause de la lente immersion de la bille dans l’huile ? Nous répondons: ce sont les forces de frottement qui naissent lorsqu'un corps se déplace au contact d’un autre. Et ces forces ne se manifestent pas seulement à l’occasion d’un mouvement.

Il vous est certainement arrivé de déplacer les meubles dans votre appartement. Vous savez à quel point il est difficile de bouger une lourde armoire. La force qui s'oppose à vos efforts est appelée frottement statique.

Des forces de frottement apparaissent aussi lorsque nous faisons glisser un objet et lorsque nous le faisons rouler. Ce sont deux phénomènes physiques différents. Aussi distingue-t-on le frotte- ment de glissement et celui de roulement. Le second est des dizaines de fois inférieur au premier.

Il est vrai que dans certains cas le glissement est rendu très aisé: par exemple, un traîneau sur de la neige ou, encore mieux, des patins sur de la glace.

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Voyons donc de quoi dépendent les forces de frottement.

Le frottement d’un solide contre un autre dépend peu de la vitesse du déplacement et est proportionnel au poids du corps déplacé. Si le poids d’un corps double, il sera deux fois plus difficile de le bouger et de le traîner. Nous admet- tons une petite imprécision: le poids importe moins que la force qui serre le corps contre la surface. Si le corps est léger, mais que nous le pressons fortement de la main, nul doute que cela va se répercuter sur la force de frottement. Si l’on désigne la force qui applique le corps contre la surface (dans la plupart des cas c’est le poids) par P, la force de frottement F,.,. est donnée par une formule très simple:

Ftrot kP.

Et comment tenir compte des propriétés des surfaces ? Il est bien connu que le même traîneau glisse de manière différente selon que ses patins ont des garnitures de fer ou non. Ces propriétés sont prises en considération par un coefficient de proportionnalité 4 appelé coefficient de frot- tement. Pour le métal sur le bois il est de 0,5. Pour déplacer une plaque métallique de 2 kg sur une table lisse en bois il nous faudra appliquer une force de 1 kgf. Le coefficient de frottement de l'acier sur la glace, en revanche, ne dépasse pas 0,027. On pourra déplacer la même plaque sur de la glace en se contentant d’une force de 54 gf.

L'une des premières tentatives connues d’abais- ser le coefficient de frottement est représentée sur la paroi d’un tombeau égyptien daté d’envi- ron 1650 av. J.-C. (fig. 6.1). On y voit un esclave versant de l'huile sous les patins du traîneau qui sert à déplacer une statue géante.

L’aire de la surface ne figure pas dans la formule indiquée : la force de frottement, en effet,

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Fig. 6.1

ne dépend pas de l’aire des surfaces de contact des corps. Il faut appliquer une force identique - pour déplacer ou traîner à une vitesse invariable

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une large tôle d’acier d’un kilogramme et un poids marqué d’un kilogramme ne s'appuyant sur la surface que par une aire fort réduite.

Et une autre remarque sur le frottement de glissement. Il est plus difficile de bouger un corps que de le traîner: la force à vaincre au départ (frottement statique) dépasse de 20 à 30 % les valeurs suivantes du frottement.

Que peut-on dire du frottement de roulement, par exemple dans le cas d’une roue? Comme le frottement de glissement, il est d’autant plus grand que la force qui applique la roue contre la surface est plus grande. De plus, la force du frottement de roulement est inversement pro- portionnelle au rayon de la roue. On le conçoit: plus la roue est grande et moins les aspérités de la surface de roulement entrent en compte.

Si l’on compare les forces qu'il faut vaincre pour faire glisser un corps et pour le faire rouler, on voit que la différence est considérable. Par exemple, pour traîner sur une route goudronnée un lopin d’acier d’une tonne, il lui faut appliquer une force de 200 kgf, chose dont n’est capable qu'un athlète; mais un enfant pourra véhiculer le même lopin sur un chariot, car il suffit pour cela une force d’à peine 10 kgf.

Il n’est donc pas étonnant que le frottement de roulement ait supplanté partout le frotte- ment de glissement. Et depuis longtemps les hommes utilisent la roue.

Le remplacement du patin par la roue n’est pas encore une victoire totale sur le frottement de glissement. C’est que la roue doit être ajustée sur un essieu. À première vue, il semble impos- sible d'éviter le frottement de l’essieu contre le palier. C’est ce qu’on pensait durant des siècles, aussi n’a-t-on cherché qu’à le diminuer à l’aide de divers lubrifiants. L'amélioration apportée par ceux-ci est grande: le frottement de glisse-

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Fig. 6.2

ment diminue de 8 à 10 fois. Mais même avec un lubrifiant, le frottement de glissement demeure souvent si important qu'il finit par revenir cher. À la fin du dernier siècle cette circonstance freina beaucoup le développement de la technique. C'est alors que naquit l’idée remarquable qui consiste à remplacer le frottement de glissement dans le palier par un frottement de roulement. Le roulement à billes était né. Des billes vinrent s'interposer entre l’essieu et le moyeu. Lorsque la roue tourne, les billes roulent sur le moyeu et l’essieu sur les billes. La figure 6.2 montre l’aspect de ce mécanisme. Ce procédé permit de remplacer le frottement de glissement par celui de roulement et les forces de frottement diminuèrent des di- zaines de fois.

On ne saurait surestimer le rôle des paliers à roulement dans la technique moderne. Il y en a à billes, à rouleaux cylindriques, à rouleaux coni- ques. Presque toutes les machines en sont dotées. Il est des roulements à billes dont les dimensions ne dépassent pas un millimètre et d’autres, desti- nés à de grandes machines, qui pèsent plus d’une tonne. Les billes de roulement (vous les avez cer- tainement vues dans les vitrines de magasins spé- cialisés) sont des diamètres les plus variés, depuis

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quelques dixièmes de millimètre jusqu’à plu- sieurs centimètres.

FROTTEMENT VISQUEUX DANS LES LIQUIDES ET LES GAZ

Jusqu’à présent nous avons parlé du frotte- ment « sec », c’est-à-dire du frottement qui appa- raît lors de la mise en contact de corps solides. Mais les corps qui flottent ou volent sont éga- lement sollicités par des forces de frottement. Ici, la source change, et le frottement sec est rem- placé par un frottement « fluide ».

La résistance rencontrée par un corps qui se déplace dans l’eau ou dans l’air est régie par des lois qui diffèrent considérablement de celles du frottement sec dont nous avons parlé tout à l’heu- re.

En ce qui concerne le frottement, le comporte- ment d’un liquide et d’un gaz est identique, aussi tout ce que nous dirons de l’un sera valable pour l’autre. Si, pour abréger, nous parlerons des fluides, la même chose se rapportera également aux gaz et aux liquides.

L'une des différences fondamentales entre les frottements fluide et sec consiste en l’absence de frottement statique, et on peut bouger un objet flottant dans l’eau ou dans l’air en appliquant une force aussi petite qu'on veut. Pour ce qui est de la force de frottement que rencontre le mobile, elle dépend de la vitesse de déplacement, de la forme et des dimensions du corps et des propriétés du fluide. L'étude du mouvement des corps dans les liquides et les gaz a montré qu'il n’y a pas de loi unique du frottement fluide, mais il existe deux lois différentes dont l’une s’ap- plique aux petites vitesses et l’autre aux gran- des. Un tel état de chose implique qu'aux gran- des et aux petites vitesses la façon dont les liqui-

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des et les gaz contournent un mobile solide est différente.

À de faibles vitesses la force de résistance est proportionnelle à la vitesse et aux dimensions du COTPS :

F = vL.

Comment faut-il comprendre cette proportion- nalité aux dimensions, si l’on ne dit pas de quelle forme il s’agit? Elle signifie que dans le cas de deux corps entièrement semblables de forme (soit des corps dont les dimensions se trouvent dans les rapports identiques) les forces de résis- tance se rapportent l’une à l’autre comme les dimensions linéaires de ces corps.

La valeur de la résistance dépend énormé- ment des propriétés du fluide. En comparant les forces de frottement auxquelles sont soumis des corps identiques doués des mêmes vitesses et se déplaçant dans des milieux différents, nous voyons que la force de résistance est d'autant plus grande que le milieu est plus visqueux. Pour cette raison, ce frottement pourrait être appelé frottement visqueux. On conçoit que l'air crée un frottement visqueux assez faible, environ 60 fois plus petit que celui de l’eau. Les liquides peuvent être « clairs » comme l’eau, et très visqueux, comme la crème fraîche ou le miel.

On juge du degré de viscosité d’un liquide d’après la vitesse d'immersion d’un corps solide dans ce liquide ou d’après sa vitesse d'écoulement à travers des orifices calibrés.

L'eau s'écoule d’un entonnoir d’un demi- litre en quelques secondes. Un liquide très vis- queux fera la même chose en plusieurs heures, sinon plusieurs jours. On peut citer des liquides encore plus visqueux. Les géologues ont remarqué dans les amas de lave accumulés sur la pente des

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cratères de certains volcans des formations de forme sphérique. De prime abord, on ne comprend pas comment une telle sphère de lave a pu se former. On ne le comprend pas, si l’on considère la lave comme un corps solide. Mais si elle se comporte comme un liquide, elle va s’écouler de l’entonnoir du cratère goutte à goutte, comme tout autre liquide. Simplement, chaque goutte ne se forme pas en une fraction de seconde, mais durant des décennies. Quand la goutte devient trop lourde, elle se détache et tombe au fond du cratère.

Cet exemple montre qu’on ne saurait mettre un signe d'égalité entre les vrais solides et les corps amorphes, lesquels, nous le savons, res- semblent plus à un liquide qu'aux cristaux. La lave, précisément, est un corps amorphe parais- sant solide alors qu’en réalité il s’agit d’un liqui- de très visqueux.

A votre avis, la cire est-elle un solide? Pla- cez deux bouchons au fond de deux tasses. Dans l’une des tasses versez un sel fondu (du salpêtre, par exemple) et dans l’autre de la cire. Les deux liquides vont se solidifier et emprisonner les bouchons sur le fond. Rangez les deux tasses dans une armoire et oubliez-les pour quelques mois. Au bout de ce temps vous verrez la différence entre la cire et le sel. Le bouchon noyé dans le sel est toujours au fond de la tasse. Le bouchon noyé dans la cire a réapparu à la surface. Comment cela a-t-il pu arriver? Tout est très simple: le bouchon a regagné la surface exactement com- me dans de l’eau. Il n’y a qu’une différence de temps: quand les forces de frottement visqueux sont petites, le bouchon émerge presque instan- tanément, tandis que dans un liquide très vis- queux la remontée dure des mois.

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FORCES DE RÉSISTANCE AUX GRANDES VITESSES

Mais revenons aux lois du frottement fluide. Comme nous l’avons dit, aux vitesses réduites la résistance dépend de la viscosité du fluide, de la vitesse du déplacement et des dimensions linéai- res du corps. Maintenant, examinons les lois qui interviennent aux grandes vitesses. Mais, au préalable, il nous faut dire quelles sont les vitesses que l’on considère comme petites et celles que l’on peut appeler grandes. Ce qui nous intéresse, ce n’est pas tant la valeur absolue de la vitesse que de savoir si elle est suffisamment petite pour que la loi du frottement visqueux reste valable.

L'examen montre qu’on ne peut pas fixer un nombre de mètres par seconde tel que pour toute vitesse inférieure les lois du frottement vis- queux s’appliquent automatiquement. La limite à partir de laquelle joue la loi que nous avons étu- diée dépend des dimensions du corps, de la vis- cosité et de la densité du fluide.

Pour l’air, les « petites vitesses » sont des vitesses inférieures à

"7 em/s, pour l’eau, des vitesses inférieures à 0,05 7 cms, et pour des liquides visqueux dans le genre du miel des vitesses inférieures à 100 TT cm/s.

On voit donc que les lois du frottement vis- queux ne conviennent guère pour l'air et surtout pour l’eau: même pour de faibles vitesses de l’or- dre de 1 cm/s, elles ne seront valables que pour des corps minuscules dont les dimensions ne dé-

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passent pas le millimètre. La résistance rencontrée par un homme qui plonge dans l’eau n’est donc en aucun cas justiciable de cette loi. Comment alors expliquer qu'avec la varia- tion de la vitesse change aussi la loi qui décrit la résistance du milieu? Les causes seront recherchées dans les modifications du caractère de l’écoule- ment du fluide autour du mobile. La figure 6.3 représente deux cylindres se déplaçant dans un fluide (l’axe des cylindres est perpendiculaire au dessin). Quand le mouvement est lent, le fluide contourne sans à-coups l’objet, et la résistance que celui-ci doit vaincre correspond à la force du frottement visqueux (fig. 6.3, a). Quand la vitesse devient grande, on voit apparaître dans le sillage du mobile des turbulences complexes

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(fig. 6.3, b). Les filets fluides forment des figures bizarres, des anneaux, des tourbillons pour dispa- raître ensuite. Le tableau change sans arrêt. L'apparition de ce mouvement dit « turbulent » modifie totalement la loi de la résistance.

Le comportement de la résistance turbulente selon la vitesse et les dimensions du mobile ne ressemble plus du tout à celui de la résistance visqueuse : elle est proportionnelle au carré de la vitesse et aux carrés des dimensions linéaires. La viscosité du fluide passe au second plan et c’est la densité qui devient la propriété la plus im- portante. La résistance lui est directement pro- portionnelle. Ce qui fait que pour la force F de la résistance turbulente est valable la formule

F = pv*L?, v est la vitesse du déplacement, Z les dimen- sions linéaires de l’objet et p la densité du milieu. Le coefficient numérique de proportionnalité, que nous n'avons pas écrit, revêt diverses va- leurs en fonction de la forme du corps.

FORME AÉRODYNAMIQUE

Un mouvement aérien est donc presque tou- jours « rapide », c’est-à-dire que le rôle princi- pal est tenu par la résistance turbulente. Les avions, les oiseaux, les parachutistes sont soumis à une résistance turbulente. Quand un parachu- tiste tombe en chute libre, au bout d’un certain temps sa vitesse devient uniforme (la force de la résistance équilibre le poids) quoique considé- rable de l’ordre de 50 m/s. L'’ouveriure du parachute provoque un ralentissement brutal et le même poids va être maintenant équilibré par la résistance de la voilure du parachute. Etant donné que la résistance est proportionnelle à la vitesse de la chute et aux dimensions de l’objet,

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la vitesse va diminuer en raison inverse des di- mensions du corps qui tombe. Le diamètre d'un parachute est d'environ 7 mètres, le « diamètre » d’un homme d’environ un mètre. La vitesse de chute va tomber à 7 m/s. A cette vitesse on peut atterrir en toute sécurité.

Il est à noter qu’il est beaucoup plus facile d'augmenter la résistance que de la diminuer. Diminuer la résistance de l’air rencontrée par une automobile ou un avion ou la résistance de l’eau rencontrée par un sous-marin sont des problèmes techniques aussi importants que délicats.

Or, une simple modification de la forme per- met de diminuer considérablement la résistance turbulente. Le problème consiste à réduire au minimum les remous à l’origine de cette résis- tance. La chose s'obtient en donnant à l’objet une forme spéciale, dite aérodynamique.

De ce point de vue, quelle va être la forme optimale? La première idée venant à l'esprit est de conférer au corps une forme effilée dans le sens du mouvement. Une telle forme semblerait la plus apte à « fendre » l'air. Or, on constate qu'il est moins important de le fendre que de le pertur- ber pour qu'il contourne le corps régulièrement. Et le meilleur profil pour un corps qui se déplace dans un liquide ou dans un gaz est une forme ob- tuse à l’avant et effilée à l'arrière *. Le fluide s'écoule sans remous le long du bout effilé, et la turbulence est minimale. En aucun cas le bord d’attaque ne sera eîftilé parce qu'un profil aigu engendre au contraire des remous.

La forme aérodynamique d’une aile d'avion est conçue de façon à assurer à la fois une résis- tance minimale et une force ascensionnelle ma- ximale lorsque le plan contourné attaque le mou-

* Les étraves tranchantes des barques et des navi-

res de mer servent à couper les vagues, c’est-à-dire seule- ment lorsque le mouvement se fait en surface.

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Fig. 6.1

[ FORCE ASGENSIONNELLE PRESSION

a S < RES ne

vement sous un angle incliné. Tout en s’écoulant le long de l’aile, l’air fait naître une pression orientée principalement dans un sens perpendi- culaire à son plan (fig. 6.4). Il est clair que pour une aile inclinée cette force est dirigée vers le haut.

S'il est vrai que la force ascensionnelle croît avec l’ouverture de l’angle, un raisonnement fon- uniquement sur des facteurs géométriques nous conduirait à la déduction fausse selon laquelle

il est souhaitable d’avoir un angle d'attaque aussi grand que possible. En réalité, à mesure que l’an- gle augmente, l’air a de plus en plus de difficulté à contourner le plan et pour une certaine valeur de l’angle, comme cela se voit sur la figure 6.5, une forte turbulence apparaît. La résistance aug- mente brusquement et la force ascensionnelle tombe.

DISPARITION DE LA VISCOSITÉ

Très souvent nous expliquons un phénomène ou décrivons le comportement de tel ou tel corps en renvoyant le lecteur à des exemples familiers. Il est compréhensible, disons-nous, que cet objet se déplace de cette façon, puisque d’autres corps se déplacent selon les mêmes règles. Dans la plupart des cas, une explication qui ramène le phénomène nouveau à ce que nous avons déjà rencontré se révèle entièrement satisfaisante. Aussi n’avons-nous pas rencontré de difficultés particulières en expliquant au lecteur les lois du déplacement des liquides; par exemple cha- cun sait comment l’eau s'écoule et les lois de ce mouvement nous paraissent tout naturelles.

Mais il existe un liquide étonnant qui ne res- semble à aucun autre et qui se déplace d’après des lois spéciales qui lui sont propres. C’est l’hé- lium liquide.

Nous avons déjà dit que l’hélium liquide se conserve tel même au zéro absolu. Pourtant, l’hé- lium à une température supérieure à 2 K (plus précisément 2,19 K) et l’hélium à une tempé- rature inférieure à 2 K sont des liquides totale- ment différents. Dans le premier cas, les pro- priétés de l’hélium ne diffèrent pas de celles des autres liquides. Dans le second, il devient un li- quide proprement merveilleux auquel on donne le nom d’hélium II.

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La plus étonnante des propriétés de l’hélium IT est la suprafluidité, c’est-à-dire l’absence to- tale de viscosité. Cette propriété a été découverte par P. Kapitsa en 1938.

Pour pouvoir observer la suprafluidité on confectionne un récipient dont le fond comprend une fente très étroite, large d’un demi-micron. Un liquide ordinaire ne passe pour ainsi dire pas à travers une telle fente et l’hélium, à tem- pérature supérieure à 2,19 K, ne la traverse pas non plus. Mais sitôt que la température devient inférieure à 2,19 K la vitesse d'écoulement de l'hélium augmente brusquement des milliers de fois. L'’hélium II passe par cette fente extra- fine presque instantanément, c’est-à-dire qu'il perd entièrement sa viscosité. Cette supraflui- dité de l’hélium est à l’origine d’un phénomène encore plus étrange. L’hélium IT est en effet ca- pable de «sortir » du verre ou de l’éprouvette dans laquelle il a été versé. On place une éprou- vette remplie d’hélium IT dans un vase de Dewar lui-même fixé au-dessus d’un bain d’hélium. Sans la moindre cause apparente le liquide « gra- vit» la paroi de l’éprouvette sous forme d’une pellicule extra-fine imperceptible et déborde; des gouttes se détachent du iond de l’éprou- vette.

Souvenons-nous ici que grâce aux forces capil- laires dont nous avons parlé à la page 44 les molé- cules de tout liquide mouillant la paroi d’un ré- cipient montent sur cette dernière et forment une pellicule extra-fine, épaisse d’environ 10% cm. Cette pellicule cest invisible à l'œil nu et ne se manifeste d’ailleurs d'aucune façon lorsqu'il s’agit d’un liquide visqueux ordinaire.

Le tableau change complètement lorsque nous avons affaire à de l’hélium II. Nous avons vu qu’une fente étroite n’empêchait pas l’hélium su- prafluide de s’écouler ; or, une très fine pellicule

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superficielle est en tout point analogue à la fente. Le liquide sans viscosité fuit en une couche d’une finesse extrême. Passant par le bord du verre ou de l’éprouvette, la pellicule forme un siphon qui fait déborder l’hélium.

On comprend maintenant qu’un liquide ordi- naire ne donne rien de pareil. Le liquide de vis- cosité normale est incapable de « passer » par un siphon d’une épaisseur aussi infime. Sa pro- gression est tellement lente que le débordement demanderait des millions d'années.

Donc, l’hélium II a perdu toute viscosité. Il semblerait qu’un corps solide s’y déplace sans engendrer de frottement. Voyons cela. Immer- geons dans de l’hélium liquide un disque retenu par un fil et tordons le fil. En abandonnant ce dispositif peu compliqué à lui-même, nous créons quelque chose comme un pendule, et le fil au disque va osciller, s’enroulant périodiquement tantôt d’un côté, tantôt de l’autre. S’il n’y a pas frottement, on doit s’attendre à ce que le disque tourne infiniment. Or, nous n'’observons rien de semblable. Au bout d’un temps assez court, le même à peu près que pour de l’hélium [I nor- mal (c’est-à-dire de l’hélium à température supé- rieure à 2,19 K) le disque s'arrête. De quoi s’agit- il ? En passant par la fente l’hélium s’est comporté comme un liquide dénué de viscosité et voici que par rapport à un corps immergé il se conduit comme un liquide visqueux ordinaire. N'est-ce pas le comble de l'étrange et de l’incompréhen- sible ?

Il ne reste maintenant qu’à nous souvenir de tout ce qui a été dit sur le fait même que l’hé- lium ne se solidifie pas au zéro absolu. Car il est question ici de l’impasse aboutissent les notions habituelles sur le mouvement. Si l'hélium reste liquide « illégalement », quoi d'étonnant que ce liquide se comporte aussi de manière illégale ?

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On ne comprendra le comportement de l’hé- lium liquide qu’à la lumière d’une nouvelle con- ception du mouvement, connue sous le nom de mécanique quantique. Nous allons essayer d’ex- poser ici dans les termes les plus généraux la façon dont la mécanique quantique explique les anomalies de l’hélium liquide.

La mécanique quantique est une théorie ma- licieuse, d'accès difficile, aussi que le lecteur ne s'étonne-t-il pas si l'explication paraît encore plus singulière que les phénomènes eux-mêmes. Il se trouve que chaque particule d’hélium liquide participe simultanément à deux mouvements dont l’un, suprafluide, abolit la viscosité et l’autre est ordinaire.

L’hélium IT se comporte comme s’il était com- posé d’un mélange de deux liquides qui se dépla- ceraient en toute indépendance « l’un à travers l’autre ». Un de ces liquides est normal, c’est-à- dire doué d’une viscosité ordinaire, l’autre est suprafluide.

Lorsque l’hélium s'écoule par la fente ou dé- borde du verre, nous avons affaire à la supraflui- dité. Et quand nous y faisons osciller le disque immergé, le frottement l’arrête parce que dans la portion normale de l’hélium il est inévi- table.

Cette capacité de l’hélium de participer À deux mouvements différents lui confère des pro- priétés de conduction de la chaleur tout à fait inhabituelles. Comme nous l’avons dit, les li- quides en général conduisent assez mal la chaleur et l’hélium I ne fait pas exception à la règle. Mais dès qu'il se transforme en hélium II, sa conductibilité calorifique augmente brusquement d’un milliard de fois ! Ce qui fait que l’hélium II conduit la chaleur infiniment mieux que les meil- leurs conducteurs ordinaires, tels que le cuivre ou l’argent.

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Le fait est que le mouvement suprafluide de l’'hélium ne participe pas au transfert de la cha- leur. Pour cette raison, dès qu’il s'établit une différence de températures, deux courants ap- paraissent dirigés en sens opposés et l’un d’eux, le courant normal, véhicule la chaleur. Voilà qui ne ressemble plus du tout à la conductibilité calorifique ordinaire, la chaleur est transmise par les chocs moléculaires. Dans l’hélium Il, la chaleur s'écoule avec la partie ordinaire de l’hé- lium, et elle s'écoule comme un liquide. Cette fois le terme « flux de chaleur » est entièrement justifié. Aussi bien ce mode de transfert est-il à l’origine d’une conductibilité calorifique excep- tionnelle.

Cette explication de la conductibilité calori- fique de l’hélium peut paraître suffisamment étrange pour que le lecteur se refuse à y croire. Pourtant, une expérience très simple permet de à convaincre de la justesse de tout ce qui a été

it.

Un vase de Dewar rempli d’hélium baigne dans une cuve du même liquide. Les deux réci- pients communiquent entre eux à l’aide d’un appendice capillaire. L’hélium du Dewar est chauffé par un filament électrique, mais la cha- leur ne se transmet pas à l’hélium environnant, les parois du vase étant calorifugées.

À l'embouchure du capillaire on place une ailette suspendue à un fil ténu. Si la chaleur s'écoule comme un liquide, elle doit écarter l’ailette. En effet, c’est ce qui se passe. Ce faisant la quantité d’hélium contenu dans le vase n’a pas diminué. Comment expliquer cette merveille ? D'une seule manière : l’échauffement fait naître un courant entraînant la partie normale du li- quide de la zone chauffée vers la zone froide, ainsi qu’un courant de la partie supraîfluide dirigé en sens inverse. La quantité d’hélium en cha-

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que point ne change pas, mais puisqu’avec le transfert de la chaleur la partie normale du li- quide se déplace, le frottement visqueux de celle- ci écarte l’ailette qui reste déviée aussi longtemps que dure l’échauffement.

Du fait que le mouvement suprafluide ne vé- hicule pas de chaleur il s’ensuit une seconde dé- duction. Nous avons dit tout à l’heure que l’hé- lium débordait d’un verre. Or, c’est la partie suprafluide qui déborde, alors que la partie nor- male reste. La chaleur est liée uniquement à cette dernière et n’accompagne pas la partie supra- fluide dans sa fuite. Il en résulte qu’au fur et à mesure que l’hélium quitte le vase la même quantité de chaleur va se rapporter à une quantité d’hélium de plus en plus petite, l’hélium devant s’échauffer. C’est ce que l’expérience confirme.

Les masses d’hélium donnant lieu aux mou- vements suprafluide et normal ne sont pas identi- ques. Leur rapport dépend de la température : plus la température est basse et plus la partie suprafluide est grande. Au zéro absolu tout l’hé- lium devient suprafluide. Dès que la tempéra- ture s'élève, une partie de plus en plus grande de l’hélium commence à se comporter normale- ment et à 2,19 K tout le volume devient « nor- mal» et acquiert les ‘propriétés d’un liquide ordinaire.

Mais nous entendons déjà le lecteur nous po- ser une foule de questions: qu'est-ce donc que cet hélium suprafluide, comment une particule de liquide peut-elle participer simultanément à deux mouvements, comment expliquer le fait même qu'une seule particule soit caractérisée par deux mouvements ?.. Malheureusement, dans ce livre toutes ces questions resteront sans ré- ponse. La théorie de l’hélium II est trop com- plexe, et pour la comprendre il faut savoir beau- coup de choses.

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PLASTICITÉ

On appelle élasticité la capacité d’un corps de retrouver sa forme après que la force qui le sollicitait a cessé d’agir. Si on suspend à un fil d'acier d’un mètre de long et d’un millimètre carré de section un poids d’un kilogramme, le fil va s’allonger. Bien que très petit (il ne dépasse pas 0,5 mm), l’allongement est parfaitement per- ceptible. Le poids ôté, le fil se rétracte des mê- mes 0,5 mm, et si l’on a pris soin de faire un re- père, celui-ci revient à sa position initiale. Une déformation de ce genre est dite déformation élastique.

Notons qu’un fil métallique de 1 mm° de section soumis à une force de 1 kgf et un fil de 1 cm? soumis à une force de 100 kgf se trouvent dans des conditions identiques de contrainte mécanique. Pour cette raison, la description du comportement d’un matériau se fera tou- jours par référence non pas à la force (ce qui n’a pas de sens si la section du corps est inconnue) mais à la contrainte, c'est-à-dire à la force agis- sant par unité de surface. Des corps ordinaires comme le métal, le verre, la pierre admettent un alongement élastique de quelques pour cent au maximum. Le caoutchouc, par contre, possède des propriétés d'’élasticité exceptionnelles. On peut allonger un élastique dans la proportion de 100 à 200 ou 300 % (c'est-à-dire doubler et tripler sa longueur initiale) et, après qu'on l'ait abandonné à lui-même, le voir revenir à son état initial.

Tous les corps sans exception sont élastiques lorsqu'ils ne sont soumis qu’à des forces réduites. Mais la limite d’élasticité intervient pour cer- tains corps plus tôt et pour d’autres beaucoup plus tard. Dans le cas d’un métal mou comme le plomb il suffit pour l’atteindre de suspendre à

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l'extrémité d’un fil métallique de 1 millimètre de section une charge de 0,2 ou 0,3 kgf. Pour des matériaux durs comme l’acier cette limite est 100 fois supérieure, c’est-à-dire voisine de 25 kgf.

Par rapport à des forces plus considérables, supérieures à la limite d’élasticité, les corps peu- vent être divisés en gros en deux classes: corps du type du verre, c’est-à-dire fragiles, et corps du type de l'argile, c’est-à-dire plastiques.

Si nous appliquons notre pouce sur un mor- ceau d'argile, il laisse une empreinte reprodui- sant avec exactitude les plus complexes circon- volutions de la peau. Lorsqu'on frappe avec un marteau un morceau de fer doux ou de plomb, l'impact laisse une trace. L'action a cessé, la déformation reste: aussi l’appelle-t-on défor- mation plastique ou permanente. Jamais on n’obtiendra la même chose avec du verre: si on s’obstine à le frapper, il casse. Certains métaux et alliages (la fonte, par exemple) sont tout aussi fragiles. Un seau en fer frappé au marteau se bosselle, une marmite en fonte se brise. Les chif- fres suivants permettent de juger de la résistance mécanique des corps fragiles. Pour transformer un morceau de fonte en poudre il faut développer une force comprise entre 90 et 80 kgf par mm° de surface. Pour de la brique ces chiffres tombent à 1,9-3 kgf.

Comme toute classification la division des corps en fragiles et plastiques est assez conven- tionnelle. Tout d’abord un corps fragile à faible température peut devenir plastique à une tem- pérature plus élevée. Le verre se prête très bien à toutes les opérations admises par les matériaux plastiques, si on le chauffe à une température de plusieurs centaines de degrés.

Les métaux mous, tel le plomb, peuvent être forgés à froid ; en revanche, les métaux durs ne le seront que sous une température élevée, à

187

l’état incandescent. L’élévation de la tempéra- ture accroît considérablement la plasticité des matériaux.

L'une des particularités capitales des mé- taux, qui en a fait des matériaux de construction irremplaçables, est leur dureté à la température ambiante et leur plasticité aux températures élevées: les métaux chauffés au rouge épousent facilement la forme requise alors qu’à la tempé- rature ambiante la même chose demande des forces considérables.

La structure interne d’un matériau a une grande influence sur ses propriétés mécaniques. On conçoit que toute fissure ou soufflure affai- blit le corps et le rend plus fragile.

Les corps plastiquement déformables ont la propriété remarquable de pouvoir devenir plus résistants. Un cristal métallique simple, au sortir de la masse en fusion génératrice, est assez mou. Pour certains métaux, on peut même le tordre avec les doigts, mais .… il ne faut pas com- pter le redresser ! Il s’est produit un accroissement de la résistance. Désormais, l’échantillon n’ad- mettra une nouvelle déformation plastique que si nous lui appliquons une force beaucoup plus grande. Nous voyons ainsi que la plasticité est à la fois une propriété du matériau et une pro- priété due au traitement.

Et pourquoi fabrique-t-on les outils par for- geage plutôt que par coulage? La raison en est simple : un métal travaillé par forgeage (ou lami- nage ou étirage) est beaucoup plus résistant qu'un métal coulé. On peut forger un métal autant qu'on voudra, sa résistance ne dépassera pas un certain seuil appelé limite d’élasticité. Pour l’acier cette limite est comprise entre 30 et 50 kgf/mm°.

Voilà ce que signifie ce chiffre. Si on suspend à un fil de { mm de section un poids de 16 kg (chiffre inférieur à la limite d’élasticité), le fil

188

va commencer à s’allonger et devenir plus ré- sistant. Aussi l'allongement s’arrêtera-t-il très vite et le poids restera tranquillement au bout du fil. Si on suspend au même fil un poids d’une cin- quantaine de kilogrammes (chiffre supérieur à la limite d’élasticité), le tableau change. Le fil va s’allonger sans arrêt et finira par se rompre. Nous soulignons encore une fois que le comportement mécanique d’un corps n’est pas déterminé par la force, mais par la contrainte. Un fil d’une section de 100 microns carrés s’écoule sous l’action d’une charge de 30 à 50-1074 kgf, soit de 3 à 9 gf.

DISLOCATIONS

Démontrer que la déformation plastique est un phénomène d’une immense portée pratique, c’est vouloir enfoncer une porte ouverte. Forgeage, estampage, laminage, tréfilage, toutes ces tech- niques reposent sur des phénomènes d’une même nature.

Nous ne pourrions rien comprendre à la dé- formation plastique si nous tenions les cristal- lites dont est constitué le métal pour les débris idéaux des réseaux tridimensionnels.

La théorie des propriétés mécaniques du cris- tal parfait a été créée dès le début du siècle. Ce qu'elle prévoyait s’écartait de l'expérience dans la proportion de 1 à 1000 environ. Si te cristal avait été vraiment parfait, sa résistance à la rupture aurait être de plusieurs ordres supé- rieure à celle qu’on observait, et la déformation plastique aurait exigé d'énormes efforts.

En fait, les hypothèses ont dévancé l’accu- mulation des faits. Les chercheurs voyaient clai- rement que l’unique façon de concilier théorie et pratique était d'admettre la présence de défauts au sein des cristallites. Evidemment, les sup- positions les plus diverses pouvaient être avancées

189

Sois, |

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quant au caractère de ces défauts. Ce n’est que lorsque les physiciens purent disposer des tech- niques les plus raffinées d'investigation de la structure de la matière, que le tableau s’est cla- rifié quelque peu. Il s’est avéré que le fragment de réseau idéal (un bloc) a des dimensions de l’ordre de quelques millionièmes de centimètre. Dès qu’on passe aux secondes ou aux minutes d’arc, les blocs sont désorientés.

A la fin des années 20, de multiples observa- tions ont conduit à établir, et ceci est cardinal, que le défaut principal (mais non le seul) du cristal réel tient à un phénomène normal de dé- calage, qu’on a appelé dislocation. La dislocation simple (ou dislocation-coin) est illustrée par le modèle de la figure 6.6. Comme on le voit, le dé- faut consiste en ce qu’il y a au sein du cristal des endroits contenant un plan atomique en trop, pour ainsi dire. La ligne tracée en pointillé au milieu du cristal sur la figure 6.6, a fait le partage entre deux blocs. La partie supérieure du cristal est comprimée, celle du bas est étirée. La dislo- cation se résorbe rapidement, comme indiqué sur la figure 6.6, b, donnant une vue «d'en haut » sur le dessin de gauche.

190

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Fig. 6.7

D'autres types de dislocation souvent ob- servés dans les cristaux sont dits dislocations-vis. Leur schéma est montré sur la figure 6.7. En l’occurrence, le réseau est réparti en deux blocs dont l’un donne l’apparence d’avoir glissé d’une période par rapport à l’autre. Les plus fortes distorsions se concentrent autour de l’axe. Ce secteur, précisément, est dénommé dislocation-vis.

Nous sommes mieux à même de comprendre la nature de la distorsion en nous reportant au sché- ma de la même figure l’on a représenté deux plans atomiques voisins, tels qu'ils se présentent de part et d'autre du plan de coupe (fig. 6.7, b). Par rapport au dessin volumétrique, c’est la vue que l’on a sur le plan du côté droit. L’axe de la dislocation-vis est le même que celui du dessin volumétrique. En trait plein on a représenté le plan du bloc de droite, en pointillé celui du bloc de gauche. Les cercles blancs sont en retrait par rapport aux cercles noirs. Ainsi qu’il appa- raît du schéma, la dislocation-vis représente un autre type de distorsion, qui diffère de la distor- sion simple. Il n’y a pas de plan atomique en sus. La distorsion consiste en ce que les rangées d’ato- mes situées au voisinage de l’axe de dislocation

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changent de voisins immédiats, c’est-à-dire qu'el- les s’infléchissent et viennent se ranger auprès des voisins de l'étage inférieur.

Pourquoi ce type de dislocation s’appelle-t-il dislocation-vis ? Imaginez (après vous être réduit au préalable à une dimension subatomique) que vous êtes en train de marcher sur les atomes avec l'intention bien arrêtée de faire le tour de l’axe de dislocation. On constate aisément qu'en commençant le périple par le plan inférieur, cha- que tour complet nous amène à l’étage qui suit, et que l’on débouche finalement sur la surface supérieure du cristal, exactement comme si nous avions gravi un escalier en colimaçon. Sur notre dessin, l’ascension à partir du bas se fait dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Si le glissement des blocs était inversé, le voyage s’effectuerait dans le sens des aiguilles d’une montre.

Et nous voilà en mesure de nous expliquer comment se produit la déformation plastique.

Supposons que nous désirions faire subir à la moitié supérieure du cristal un glissement égal à une distance interatomique par rapport à la moitié inférieure. On voit qu'il faut pour cela faire se chevaucher toutes les rangées d’atomes situées dans le plan de glissement. Il en va tout

Cosesel

1234

différemment lorsque la force de glissement sol- licite un cristal à dislocation.

Sur la figure 6.8, nous avons un empilement dense de boules (on n’a indiqué que les boules extrêmes des rangées atomiques) donnant lieu à une dislocation simple. Commençons à décaler vers la droite le bloc supérieur. Pour mieux sai- sir ce qui se passe, dotons les boules de numéros ; les boules de la couche comprimée reçoivent des chiffres affectés de la prime. À un certain mo- ment initial, la « lézarde » se trouvait entre les rangées 2 et 3; la compression concernait les couches 2" et 3.

Dès que la force opère, la rangée 2 se décale dans la lézarde ; à présent la boule 8’ peut « res- pirer », mais c’est la boule 7’ qui doit se com- primer. Que s'est-il passé? Toute la dislocation s’est déplacée vers la gauche, et ce mouvement se poursuivra identique à lui-même jusqu’à ce que la dislocation ne s'échappe hors du cristal. Il s’en suivra un décalage d’une rangée d’atomes, soit le même résultat qu’au décalage d’un cristal parfait.

Il est clair que le décalage de dislocation demande une force beaucoup plus faible. Dans le premier cas, il faut vaincre l'interaction des ato- mes, faire se chevaucher toutes les rangées ato- miques; dans le second cas, le chevauchement, à chaque instant donné, ne concerne qu’une seule et unique rangée d'atomes.

La résistance du cristal qui serait affecté de décalage sans dislocation, serait de cent fois supérieure à celle qu’on observe en réalité.

Toutefois, il se dresse une difficulté: com- me on le voit sur le dessin, la force exercée sur les blocs « chasse » la dislocation au dehors. C’est donc que plus augmente la déformation qui affecte le cristal, plus sa résistance doit croître, jusqu’à ce que le cristal, au moment la dernière des

13—01030 193

dislocations sera éliminée, atteigne, conformé- ment à la théorie, unc résistance d'environ cent fois supérieure à celle du cristal régulier parfait. Or, s’il est vrai que le cristal gagne en solidité à mesure que la déformation augmente, les cent fois prévues sont loin d’être atteintes. La situa- tion n'est sauvée que par les dislocations-vis. En effet (mais il faut que le lecteur nous croie sur parole, car illustrer la chose sur le dessin s'avère problématique), il n’est pas simple du tout de chasser hors du cristal les dislocations- vis. De surcroît, le décalage du cristal peut inter- venir sous l'effet des dislocations des deux types. Finalement, la théorie des dislocations explique de façon satisfaisante les particularités des phé- nomènes touchant au décalage des plans cristal- lins. Un mouvement du désordre le long des axes du cristal, voilà ce que représente, du point de vue des connaissances les plus récentes, la dé- formation plastique des cristaux.

DURETÉ

La résistance et la dureté ne vont pas toujours de pair. Une corde de chanvre, un morceau de tissu, un fil de soie peuvent être très solides et nécessiter un effort considérable pour se rompre. Pourtant, personne ne dira que la corde et le tissu sont des matériaux durs. Et, au contraire, la ré- sistance du verre est réduite bien que le verre soit un matériau dur.

La notion de dureté telle qu’elle est en usage dans la technique est empruntée à la pratique courante. La dureté, c’est la résistance à la péné- tration. Un corps est dur s’il est difficile de le rayer, d'y laisser une empreinte. Ces définitions peuvent paraître assez vagues. Nous sommes habi- tués, en effet, à ce que les notions de physique

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soient exprimées par des chiffres. Comment le faire en ce qui concerne la dureté?

Les minéralogistes utilisent depuis longtemps une méthode aussi fruste qu'’efficace. On dispose d’une échelle de 10 minéraux dûment choisis. En tête de file figure le diamant suivi du corin- don puis, successivement, du topaze, du quartz, du feldspath, de l’apatite, du spath fluor, du spath d'Islande, du gypse et du talc. Voici com- ment l'échelle a été choisie. Le diamant raye tous les autres minéraux sans qu'aucun d’eux ne le raye. Le diamant est donc le minéral le plus dur, et sa dureté est évaluée à 10. Le co- rindon est plus dur que tous les autres minéraux qui le suivent dans la série. Sa dureté est donc 9. Le topaze, le quartz et le feldspath sont évalués respectivement à 8, 7 et 6. Chacun d'eux est plus dur que tous les autres minéraux venant derriè- re et plus tendre que les minéraux qui le pré- cèdent. Enfin le talc, qui est le minéral le plus tendre, a une dureté égale à l’unité.

La « mesure » (nous sommes obligés d'écrire ce mot entre guillemets) de la dureté à l’aide de cette échelle consiste à trouver la place du miné- ral qui nous intéresse parmi les dix minéraux standards choisis.

Si un minéral inconnu peut être rayé par le quartz, tandis qu'il raye lui-même le feldspath, son coefficient de dureté est égal à 6,5.

Les métallurgistes utilisent un autre procédé. Une force standard (généralement 3000 kgf) ap- pliquée à une bille d'acier d’un centimètre de diamètre imprime une empreinte dans le maté- riau à essayer. Le rayon de l’empreinte est adopté comme nombre de dureté.

La dureté à la rayure et la dureté à la péné- tration ne coïncident pas obligatoirement, et le même matériau peut se montrer plus dur dans un cas et plus doux dans l’autre.

13% 1495

Nous voyons ainsi qu'il n’y a pas de notion universelle de dureté indépendante de la mé- thode d'essais. Et la notion de dureté, pour cette raison, se rapporte à la technique et non à la physique.

VIBRATIONS ET ONDES SONORES

Nous avons déjà fourni au lecteur un grand nombre de renseignements sur les oscillations. Un des chapitres du livre 1 a été consacré aux oscillations d’un pendule, d’une bille suspendue à un ressort, aux lois des vibrations d’une corde. Nous n’avons rien dit toutefois sur ce qui se passe dans l’atmosphère ou dans tout autre milieu lors- que le corps qui s’y trouve effectue des oscilla- tions. Il est hors de doute que le milieu ne peut rester indifférent dans ce cas. Le corps oscillant trouble l'atmosphère, déloge les particules d’air des positions occupées auparavant. On conçoit également que la chose ne peut pas se limiter à une influence sur la seule couche voisine de l’air. Le corps comprime la couche adjacente, celle-ci exerce une pression sur la couche suivante et de cette facon couche après couche, particule après particule, toute l’atmosphère ambiante se met en branle. Nous disons que l’air est entré en vibration ou encore qu'il est le siège de vibrations sonores. |

Certes, nous appelons ces oscillations du mi- lieu des vibrations sonores, mais cela ne veut pas dire que nous les entendons toutes. La physique use de cette notion dans un sens beaucoup plus large. Quelles sont les vibrations sonores que nous entendons, cela, nous le dirons plus tard.

Nous n'avons commencé à parler de l’air que parce que le son est le plus souvent transmis par cet agent. Mais il est clair que l'air n’a aucune qualité spéciale qui lui donne droit à quelque mo-

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nopole en ce domaine. Les vibrations sonores pren- nent naissance dans n'importe quel milieu capa- ble de se contracter, et puisque la nature ne con- naît pas de corps incompressibles, les particules de n’importe quel matériau peuvent se trouver dans ces conditions. La partie de la physique qui traite de ces vibrations est généralement ap- pelée acoustique.

Lors des vibrations sonores chaque particule d’air demeure en moyenne sur place: elle ne fait qu'osciller autour de la position d'équilibre. Dans le cas le plus simple la particule accom- plira des oscillations harmoniques, lesquelles, nous nous en souvenons, sont de caractère sinu- soïdal. De telles oscillations sont caractérisées par leur écart maximal depuis la position d’équi- libre, c’est-à-dire l’amplitude, et par leur période, c’est-à-dire le temps nécessaire pour accomplir une oscillation complète.

Mais pour décrire les propriétés des vibra- tions sonores on préfère souvent à la période la notion de fréquence. La fréquence v = est une grandeur inverse de la période. Son unité est donc l'inverse de la seconde (s-?). Mais le terme ne s’est pas répandu. On parle de secondes à la puissance moins un ou de hertz (Hz). Si la fré- quence des vibrations est de 100 st, cela veut dire qu’en une seconde la particule d’air accom- plit 100 vibrations complètes. Comme en phy- sique on a souvent affaire à des fréquences beau- coup plus élevées que l’hertz, on use fréquem- ment du kilohertz (1 kHz 10% Hz) et du méga- hertz (1 MHz = 106 Hz).

Au passage de la position d'équilibre la vitesse de la particule vibrante est maximale. Au con- traire, aux positions extrêmes sa vitesse est évidemment nulle. Nous avons déjà dit que si le déplacement de la particule est soumis à la loi

197

de l’oscillation harmonique, la variation de la vi- tesse de vibration obéit à la même loi. Si l’on désigne l’amplitude de l'écart par 5, et celle de la

: S : vitesse par v,, on à Vo 2H soit VU, 2H VS.

Une conversation à haute voix fait vibrer les particules d’air avec une amplitude de quelques millionièmes de centimètre à peine. La valeur maximale de la vitesse est alors de l’ordre de 0,02 cm/s.

Une autre grandeur physique importante qui varie avec le déplacement et la vitesse de la par- ticule est la pression effective, appelée aussi pression acoustique. La vibration sonore de l’air consiste en alternance périodique d’un état de compression et de dépression en chaque point du milieu. La pression de l’air en tout lieu est tour à tour supérieure ou inférieure à celle que l’on avait en l’absence de son. C’est cet excédent (ou défaut) de pression qui est appelé pression acous- tique. La pression acoustique représente une fraction fort réduite de la pression normale de l'air. Dans l’exemple d’une conversation à haute voix, son amplitude est à peu près égale au mil- lionième d’une atmosphère. La pression acousti- que est proportionnelle à la vitesse de vibration de la particule et le rapport de ces grandeurs physiques ne dépend que des propriétés du milieu. Par exemple, à une pression acoustique dans l’air égale à 1 dyne/cm? correspond une vitesse de vi- bretion de 0,025 cm/s.

Une corde de piano dont la vibration décrit une sinusoïde fait aussi vibrer harmoniquement les particules d’air. Les bruits et les sons musi- caux composés offrent un tableau plus complexe. La figure 6.9 représente un enregistrement de vibrations sonores, en l'occurrence celui de la pression acoustique en fonction du temps. Cette courbe ressemble fort peu à une sinusoïde. On

198

Fis. 6.9

constate néanmoins que la vibration la plus com- plexe peut être représentée comme la résultante de la superposition d’un grand nombre de sinu- soides à amplitudes et fréquences différentes. Ces vibrations simples forment ce qu’on appelle le spectre d’une vibration complexe. La figure 6.10 donne une illustration simple de ce genre de super- position.

Si le son se propageait instantanément, toutes les particules oscilleraient comme une seule.

Fig. 610

199

Mais la propagation n’est pas instantanée et les volumes d’air rencontrés en chemin entrent en branle les uns après les autres, pour ainsi dire entraînés par une onde en provenance de la sour- ce. De la même façon, un bâton flotte tranquil- lement sur l’eau jusqu’au moment les ronds provoqués par une pierre ne commencent à le faire danser.

Examinons le comportement d’une particule en oscillation et comparons-le aux mouvements d’autres particules se trouvant sur une même ligne de propagation du son. La particule voisine commence à vibrer avec quelque retard, et la particule suivante avec un retard encore plus grand. Le décalage va augmenter jusqu’au mo- ment nous rencontrons une particule attardée d’une période entière, vibrant en synchronisme avec la première particule. Ainsi, le coureur en retard d’un tour de piste franchit la ligne d’ar- rivée en même temps que le leader. A quelle dis- tance allons-nous rencontrer le point synchrone ? Il tombe sous le sens que cette distance À est égale au produit de la vitesse de propagation du son c par la période T. Cette distance À est ap- pelée longueur d'onde:

À = cT.

Au bout des intervalles À nous rencontrerons des points vibrant en synchronisme. Les points situés à une distance 4/2 se déplaceront l’un par rapport à l’autre comme un objet qui oscille perpendicu- lairement à un miroir le fait par rapport à son image.

Si l’on représente le déplacement (ou la vi- tesse, ou la pression acoustique) de tous les points situés sur la ligne de propagation d’un son har- monique, on retrouve une sinusoide.

Ne confondons pas la courbe du mouvement ondulatoire et celle des vibrations. Les figu-

200

AAA" VAY VAY

Fig. 6.11 Fig. 6.12

res 6.11 et 6.12 se ressemblent fort, mais sur la première on a porté en abscisses la distance et sur la seconde le temps. L’un des dessins re- présente le développement d’une vibration dans le temps, l’autre figurant un «instantané » de l'onde. La comparaison montre que la longueur d’onde peut aussi être appelée période spatiale de cette onde: la grandeur À joue dans l’espace le même rôle que T dans le temps.

Sur le dessin de l’onde sonore les déplace- ments de la particule sont portés en ordonnées, l’abscisse donnant la direction de la propagation de l’onde et recevant les distances. Ceci peut conduire à penser faussement que les particules se déplacent perpendiculairement à la direction de la propagation de l’onde. En réalité, les par- ticules d’air suivent toujours la direction de la propagation du son. Une onde de ce genre est appelée onde longitudinale. La lumière se propa- ge incomparablement plus vite que le son, pour ainsi dire instantanément. Le tonnerre et la foudre apparaissent au même moment, mais nous apercevons l'éclair à l'instant de sa naissance, tandis que le roulement du tonnerre nous arrive à la vitesse d'environ 1 kilomètre par 3 secon- des (la vitesse du son dans l’air est de 330 m/s).

201

Donc, lorsqu'on entend le tonnerre, tout danger est déjà écarté.

En connaissant la vitesse de propagation du son on peut dire à quelle distance se trouve l’ora- ge. Mettons que 12 secondes s’écoulent entre l'éclair et le tonnerre, cela veut dire qu'il est à 4 kilomètres.

La vitesse du son dans les gaz est approxi- mativement égale à la vitesse moyenne du mou- vement des molécules gazeuses. De même que celle-ci, elle dépend de la densité du gaz et est proportionnelle à la racine carrée de la tempéra- ture absolue. Dans les liquides le son se propage plus vite que dans les gaz. Dans l’eau il se fait à la vitesse de 1450 m/s, soit 4,5 fois plus vite que dans l’air. La vitesse du son dans les corps soli- des est encore plus grande, et dans le fer elle at- teint environ 6000 m/s.

Lorsque le son passe d’un milieu dans un autre, sa vitesse de propagation change. Toutefois, on enregistre simultanément un autre phénomène intéressant: une réflexion partielle du son à la frontière qui sépare les deux milieux. La valeur de la réflexion sonore dépend essentiellement du rapport des densités. Au cas le son arrive de l’air sur des surfaces solides ou liquides ou, au contraire, lorsqu'il passe d’un milieu dense dans l’air, la réflexion est presque totale. Lorsque le son pénètre dans l’eau. en provenance de l’air ou, au contraire, lorsqu'il pénètre dans l’atmosphère en provenance de l’eau, le second milieu ne re- coit que 1/1000 de l’intensité sonore. Si les deux milieux sont denses, le rapport entre le son qui passe et le son réfléchi peut ne pas être grand. Dans le cas de l’eau et de l’acier 13 % du son passent dans un sens ou dans l’autre, tandis que 87 % sont réfléchis.

Ce phénomène de réflexion du son est large- ment utilisé dans la navigation. Ce principe per-

202

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mit de construire un appareil servant à mesurer la profondeur, le sondeur. À un bord du navire on place au-dessous du niveau d’eau l'émetteur sonore (fig. 6.13). Un son modulé engendre des rayons acoustiques qui traversent l’eau sur toute sa profondeur, atteignent le fond de la mer ou du fleuve et s’y réfléchissent. Une. partie du son re- vient au navire elle est captée par un ré- cepteur sensible. Une horloge de haute précision indique le temps que le son a mis pour effectuer l’aller-retour. La vitesse de propagation du son dans l’eau étant connue, un calcul automatique fournit des renseignements précis sur la profon- deur.

Un sondage effectué dans le sens de la marche

203

et latéralement permettra d'éviter les écueils ou les icebergs immergés.

Toutes les particules d’air qui entourent un corps émettant un son se trouvent en état de vibration. Comme nous l’avons vu dans le livre 4, un point matériel qui oscille sinusoïdalement possède une énergie totale déterminée et inva- riable.

Quand ce point passe par la position d’équi- libre, sa vitesse est maximale. Vu que son écart à cet instant est nul, toute l’énergie se ramène à l’énergie cinétique :

L'énergie totale est donc proportionnelle au carré de la valeur d'amplitude de la vitesse d’os- cillation.

Ceci reste vrai pour les particules d’air qui vibrent dans une onde sonore. La notion de par- ticule d’air, toutefois, est assez vague, aussi l'énergie du son est-elle rapportée à l'unité de volume. Cette grandeur peut être appelée densité de l’énergie sonore.

Comme la masse d’une unité de volume n'est autre que sa densité p, la densité de l'énergie sonore est

PUnax

2

Précédemment, nous avions parlé d’une gran- deur physique fort importante, effectuant des oscillations sinusoïdales à la même fréquence que la vitesse : la pression acoustique ou pression ef- fective. Etant donné que ces grandeurs sont pro- portionnelles, on peut dire que la densité de l’é- nergie est proportionnelle au carré de la valeur d'amplitude de la pression acoustique.

L’amplitude de la vitesse des vibrations so- nores pour une conversation à haute voix est de

204

0,02 cm/s. Un cm° d’air pesant environ 0,001 g, la densité de l’énergie est

<- 1073. (0,02)? erg/cmÿ = 2.107 erg/cmé.

Soit une source sonore en vibration, émet- tant de l'énergie sonore dans l’air ambiant. L'énergie « coule », pour ainsi dire, de ce corps. Chaque aire perpendiculaire à la ligne de propa- gation du son est traversée en une seconde par une certaine quantité d'énergie. Cette grandeur est appelée flux d'énergie passant par l'aire. Si, de plus, on précise que l’aire a 1 cm° de sur- face, la quantité d'énergie ayant traversé cette aire est appelée intensité de l’onde sonore.

On voit aisément que l'intensité du son est égale au produit de la densité de l'énergie w par la vitesse du son c. Considérons un cylindre de À cm de hauteur, de surface à la base de 1 cr? et dont les génératrices sont parallèles à la direc- tion de la propagation du son. L'énergie w con- tenue à l’intérieur de ce cylindre va s’écouler entièrement au bout d’un temps 1/c. Par l'unité d’aire et en l’unité de temps il passera donc une énergie de re , Soit wc. L'énergie s'écoule elle- même, pour ainsi dire, à la vitesse du son.

Dans le cas d’une conversation à haute voix, l'intensité du son au voisinage des interlocuteurs sera approximativement (nous utiliserons le chif- fre obtenu plus haut) de

2.10-7.3.104 0,006 erg/(cm°:s).

SONS AUDIBLE ET INAUDIBLE

Voyons quelles sont les vibrations sonores que l’homme entend. On constate que l'oreille est capable de percevoir des vibrations comprises entre 20 et 20 000 Hz. Les sons à haute fréquence

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sont appelés aigus et ceux à basse fréquence sont appelés graves.

Quelles longueurs d'onde correspondent aux fréquences situées à la limite d’audibilité? Vu que la vitesse du son est approximativement égale à 300 m/s, on trouve à l’aide de la formule À ©cT c/v que la longueur des ondes audibles demeure dans une gamme comprise entre 15 m pour les sons les plus graves et 1,5 cm pour les sons les plus aigus.

Par quel mécanisme « entendons-nous » ces vibrations ?

Le fonctionnement de l’organe de l’ouiïe n’est toujours pas élucidé jusqu’au bout. Chacun sait que l'oreille interne (le limaçon, un canal de quelques centimètres de long rempli de liquide) comporte plusieurs milliers de fibres nerveuses sensibles, capables de capter les vibrations so- nores aériennes transmises au limaçon par le tympan. La vibration est communiquée de pré- férence à un secteur précis du limaçon, selon la fréquence du ton. Bien que les fibres nerveuses soient disposées le long du limaçon en ordre si serré que l’excitation se transmet simultané- ment à un grand nombre d’entre elles, l’homme (et l’animal) est capable surtout dans l’en- fance de distinguer des modifications de fré- quence infimes (de l’ordre du millième). Com- ment cela se passe, on ne le sait pas jusqu’à pré- sent avec exactitude. Une chose est claire, c’est qu'un rôle capital revient à l'analyse par le cerveau des excitations à lui acheminées par la multitude des nerfs. Mais imaginer un modèle mécanique qui soit capable avec une cons- truction similaire de faire aussi bien la dis- tinction des fréquences sonores comme le fait l’oreille humaine, n’a pas encore été possible.

La fréquence sonore de 20 000 Hz est une limite au-delà de laquelle l'oreille humaine ne

206

perçoit pas les vibrations mécaniques du milieu ambiant. Différents procédés permettent d'’ob- tenir des vibrations d’une fréquence encore plus élevée, inaudibles pour l’homme, mais que des appareils peuvent enregistrer. Pas seulement des appareils, d’ailleurs. De nombreux animaux: chauves-souris, abeilles, baleines, dauphins (on voit que la taille de ces êtres n’est pas en cause) sont capables, en effet, de percevoir des vibra- tions mécaniques d’une fréquence de l’ordre de 100 000 Hz.

On arrive maintenant à engendrer des vibra- tions ayant une fréquence allant jusqu’à 1 mil- liard d’hertz. Quoique inaudibles, elles sont ap- pelées ultra-sons pour bien montrer leur parenté avec le son. Les ultra-sons des fréquences les plus élevées s’obtiennent à l’aide de lamelles de quartz taillées dans un cristal.

CHAPITRE 7

MÉTAMORPHOSES DES MOLÉCULES

RÉACTIONS CHIMIQUES

La physique est au fondement de toutes les sciences de la nature, la séparer de la chimie, de la géologie, de la météorologie, de la biologie ou de toute autre discipline s'avère impossible. Toutes les grandes lois de la nature se rapportent à l’objet de son étude. Il n’en va pas autrement de la structure de la matière, qui est un chapitre indissociable de la physique. Ce n'est pas par hasard que de multiples ouvrages s’intitulent Physique géologique, Physique biologique, Phy- sique chimique, Physique des constructions et ainsi de suite. Dans ce livre qui traite des gran- des lois de la nature, il nous paraît donc tout à fait légitime de dire quelques mots des réactions chimiques.

À proprement parler, la chimie commence la molécule se morcèle, ou encore de deux molécules il s’en forme une seule, ou en- core, de deux molécules entrées en collision il s’en forme deux autres. Si au début et au terme d’un certain phénomène nous constatons que la composition chimique des corps qui y ont parti- cipé, s’est modifiée, c’est qu'il y a eu réaction.

Les réactions chimiques peuvent se produire « d’elles-mêmes », c’est-à-dire à cause du mou- vement des molécules caractéristique d’une tem- pérature donnée. On dit alors que «la matière s’est décomposée ». Cela veut dire que les oscil- lations internes des atomes des molécules aboutis- sent à ce que les liaisons interatomiques se rom- pent, et la molécule se désagrège.

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Le plus souvent, la réaction chimique résulte d'une rencontre entre molécules diverses. Un morceau de métal rouille. Qu'est-ce que c’est ? C'est une réaction chimique comme suite à la ren- contre de l’atome de métal et de la molécule d’eau se soldant par la formation d'oxyde. Vous jetez dans un verre d’eau une pincée d’acide citrique et une cuillère à café de bicarbonate de soude, Aussitôt, il se forme une puissante émission de bulles de gaz. A la suite de la rencontre des molé- cules des deux corps, il se forme des corps nou- veaux, dont du gaz carbonique, et c’est lui qui constitue les bulles.

Donc, la désagrégation spontanée des molé- cules et la collision des molécules constituent déjà deux causes de réaction chimique. Mais il y en a d’autres. Par exemple, vous constatez avec désappointement que le costume neuf dans lequel vous venez de faire un séjour dans le Midi paraît défraîchi : l’étoffe en a déteint. Sous l’ac- tion des rayons du soleil, il y a eu transformation chimique de la teinture.

Les réactions qui se produisent sous l’action de la lumière sont dites photochimiques. Les chercheurs doivent multiplier les tests afin de ne pas confondre l’échauffement causé par la lumière (il se solde par l’augmentation de l’éner- gie cinétique du mouvement des molécules, celles- ci entrant en collision plus fréquemment et vio- lemment), avec l’action propre de la lumière, qui consiste en ce que la particule de lumière le photon « déchire » les liaisons chimiques.

Sous l'effet de la lumière, se déclenche la chaîne des réactions chimiques dont les plantes vertes sont le siège et qui s’appelle photosynthèse. C'est grâce à la métamorphose photochimique dont les plantes sont le siège que se réalise le grand cycle du carbone sans lequel il n’y aurait pas de vie.

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La rupture des liaisons chimiques, qui s’ac- compagne de réactions chimiques très diverses, peut être causée par d’autres particules énergi- ques, telles que l’électron, le proton, etc.

La réaction chimique peut s'accompagner d’une absorption d’une chaleur ou au contraire, en dégager. Qu'est-ce que cela signifie dans le langage des molécules? Si ce sont deux molé- cules lentes qui se rencontrent, et qu’elles en forment deux autres rapides, cela veut dire qu'il y à dégagement de chaleur. Nous savons déjà que l’accroissement de température correspond à l’accélération de la course des molécules. Font partie de ce type de réaction la combustion et l'explosion, dont il sera question tout à l’heure.

Mais à présent, il nous faut traduire dans le langage des molécules la vitesse des réactions. On sait parfaitement qu'il existe des réactions qui se déroulent en un clin d'œil (explosion) et qu’il en est d’autres qui se poursuivent pendant des années. Supposons qu’une fois de plus, nous ayons affaire à des réactions issues de la collision de deux molécules en formant deux autres. L'hypo- thèse qui suit ressemble fort à la réalité : premiè- rement, l'énergie d'impact nécessaire est celle qui suffit à assurer la rupture des molécules et leur réarrangement ; deuxièmement, il faut, pour que la réaction ait lieu, que les molécules se rencon- trent sous n'importe quel angle d'attaque, ou au moins sous un angle précis.

L'énergie minimale nécessaire au déroule- ment de la réaction s'appelle énergie d'activation. Son rôle est prépondérant, mais il faut compte: aussi avec un second facteur, qui est la propor- tion des collisions « heureuses » entre particules à énergie donnée.

La réaction chimique s’accompagnant de dé- gagement de chaleur peut être simulée comme in- diqué sur la figure 7.1. La boule s'engage dans

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ENERGIE D'ACTIVATION

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ENERGIE DÉGAGÉE

Fig. 71

la montée, franchit l'obstacle de la bosse et tom- be en bas. Vu que le niveau initial est supérieur au terminal, il est dépensé moins d'énergie qu'il n’en est dégagé.

Ce modèle illustre de façon imagée la raison pour laquelle la vitesse de la réaction dépend énormément de la température. Pour une tem- pérature faible, la « vitesse de la boule » est insuf- fisante pour gravir la bosse. Dès que la tempt- rature augmente, il y aura toujours plus de bou- les parvenant à négocier l’obstacle. Les vitesses des réactions chimiques dépendent donc puis- samment de la température. En règle générale, un gain de température de 10° majore la vitesse de la réaction de 2 à 4 fois. Si la vitesse de la réaction augmente de 3 fois, disons, pour une élévation de température de 10°, une élévation de 100° donne une accélération de 31 & 60 000 fois, de 200° de & 4.10%, et de 500° de 35° soit approximativement 10° fois. On ne s'étonne donc pas que la réaction qui se déroule à une vitesse normale à la température de 500 °C, n'ait pas lieu à la température ordinaire.

COMBUSTION ET EXPLOSION

Pour qu’il y ait combustion, il faut, comme on sait, approcher une allumette allumée d’une

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substance combustible. Mais l’allumette ne s’al- lume pas d'elle-même, il faut la frotter contre la boîte. On voit donc que pour qu’une réaction chimique commence il faut un échauffement pré- liminaire.

L’allumage crée la température nécessaire à la réaction. Ensuite, la température est main- tenue au niveau nécessaire par la chaleur dégagée en cours de réaction.

L'échauffement initial doit être assez consi- dérable, de façon que le dégagement de chaleur provoquée par la réaction dépasse la quantité de chaleur cédée au milieu ambiant froid. Ceci fait que chaque réaction a, comme on dit, sa pro- pre température d’inflammation. La combustion commence seulement lorsque la température ini- tiale devient supérieure au point d’inflammation. À titre d'illustration, disons que la température d’inflammation du bois est de 610 °C, celle de l’essence d'environ 200 °C et celle du phosphore blanc de 50 °C.

La combustion du bois, du charbon ou du pétrole est une réaction chimique par laquelle ces substances se combinent avec l’oxygène de l'air. Aussi ce genre de réaction a-t-il lieu depuis la surface: tant que la couche supérieure n’a pas brûlé la suivante ne peut pas participer à la com- bustion. Voilà qui explique la vitesse relative- ment lente de la combustion. Il n’est guère dif- ficile de se convaincre du bien-fondé de ceci. Broyons le combustible et la vitesse de combus- tion augmente aussitôt. C’est pour cette raison que de nombreuses chaudières industrielles sont chauffées au charbon pulvérisé.

C'est d’une façon identique que le carburant se disperse et se mélange à l’air dans le cylindre d’un moteur. En l'occurrence, le carburant n’est plus du charbon, mais des matières plus comple- xes, par exemple de l'essence. La molécule d’oc-

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LD

Fig. 7.2

tane entrant dans la composition de cette es- sence (fig. 7.2, dessin de gauche) comprend 8 ato- mes de carbone et 18 atomes d'hydrogène réunis comme indiqué sur la figure. A la combustion, la molécule subit le bombardement des molécu- les d'oxygène. Ces collisions se soldent par la destruction des molécules d’octane. Les forces qui lient au sein de la molécule d’octane un ou deux atomes de carbone à un atome d'hydrogène, ainsi que les forces qui unissent les deux atomes d'oxygène de la molécule d'oxygène, sont inca- pables de résister à l’« affinité » plus puissante, si l’on peut dire, des atomes d’oxygène, d’une part, et des atomes de carbone et d'hydrogène, de l’autre. Aussi les liaisons interatomiques des molécules se brisent-elles, et les atomes opèrent un regroupement qui aboutit à la formation de molécules nouvelles. Comme le montre la figu- re 7.2, dessin de droite, dans ce cas encore, acide carbonique et eau constituent les nouvelles molé- cules, produits de combustion. Et l’eau se consti- tue sous forme de vapeur.

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Il en va tout autrement quand l'air n’est pas nécessaire à la combustion, tous les ingrédients indispensables à la réaction étant contenus dans la substance. Indiquons à titre d'exemple le mé- lange hydrogène-oxygène (dit gaz détonant). La réaction a lieu à l’intérieur même de la subs- tance. À la différence de la combustion, toute l'énergie dégagée par la réaction se libère pres- que instantanément en suite de quoi la pression augmente brusquement et on a une déflagration. Le gaz détonant ne brûle pas mais donne lieu à une déflagration.

Ainsi donc, une substance explosive doit contenir tous les atomes ou molécules indispen- sables à la réaction. C’est en suivant cette règle qu'on prépare des mélanges gazeux détonants. On fabrique également des explosifs solides. Explo- sifs, ils le sont justement parce qu’on a prévu ‘Lans leur composition tous les atomes nécessaires à une réaction chimique donnant de la chaleur et de la lumière.

La réaction chimique à laquelle donne lieu une déflagration est une réaction de décomposi- tion ou de désintégration de la molécule. Sur la figure 7.3 nous montrons en exemple de réaction de déflagration, la désintégration d’une molé- cule de nitroglycérine. Comme on le voit dans la partie droite du schéma, la molécule initiale donne des molécules de gaz carbonique, d’eau ct d'azote. Les produits de la réaction se compo- sent des matériaux de combustion ordinaires et la combustion elle-même s’est produite sans par- ticipation des molécules d'oxygène de l'air, tous les atomes nécessaires étant présents dans la nitroglycérine.

De quelle façon la déflagration se propage-t- clle dans une substance explosive du type gaz détonant ? L’allumage de l’explosif fait apparat- tre un échauffement local. La réaction se pro-

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Fig. 7.3

duit dans le volume échauffé. Cette réaction à son tour dégage de la chaleur qui gagne les couches voisines du mélange, chaleur suffisante pour pro- voquer ici aussi une réaction. Les nouvelles quan- tités de chaleur dégagée gagnent les couches sui- vantes et, de cette façon, la réaction se propage dans toute la substance à une vitesse dépendant de la transmission calorifique. La vitesse de celle- ci est de l’ordre de 20 à 30 m/s. Evidemment, c'est une très grande vitesse. Un tube d’un mètre de long rempli de gaz détonant explose en un vingtième de seconde, c’est-à-dire presque ins- tantanément, alors que la vitesse de combustion du bois ou du charbon, qui se fait par la surface, est mesurée en centimètres par minute, c’est-à- dire qu'elle s'effectue des milliers de fois plus lentement.

Cependant, ce type d’explosion peut être considéré comme lent, car il en existe un autre, des centaines de fois plus rapide.

Toute explosion rapide est provoquée par une onde de choc. Dès que dans une couche de matière

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quelconque la pression monte brusquement, on voit se propager un front de haute pression, dit onde de choc. Cette onde provoque un saut de température considérable, répercuté de couche en couche. Cela donne naissance à la réaction d’explosion, laquelle provoque un accroissement de la pression et nourrit l’onde de choc dont l’in- tensité serait tombée rapidement au cours de la propagation. Ainsi, l’onde de choc provoque l’ex- plosion et celle-ci alimente en retour l’onde de choc.

L'explosion que nous venons de décrire est appelée détonation. Etant donné que la déto- nation se propage dans une substance à la vitesse de l'onde de choc (de l’ordre de 4 km/s), on voit qu'elle est effectivement des centaines de fois plus rapide qu’une déflagration.

Peut-on savoir quelles substances donnent lieu à une déflagration et quelles autres donnent lieu à une détonation? La question ne peut pas être posée de cette manière: selon les conditions la même substance peut être déflagrante ou déto- nante et dans certains cas une déflagration se transforme en détonation.

Certaines substances, comme, par exemple, l’iodure d'’azote, explosent au simple contact d’une paille, à la suite d’un échauffement insen- sible, d’un éclat de lumière. D’autres, comme le trinitrotoluène, n'explosent pas si on les fait tomber ni même si une balle de fusil les traverse. Leur explosion demande une puissante onde de choc.

Mais il y a des substances encore moins sen- sibles aux agents extérieurs. Le mélange de nitrate d’ammonium et de sulfate d’ammonium est un engrais. Longtemps il fut considéré comme non explosif, jusqu’à l’accident tragique qui eut lieu en 1921 à l'usine chimique d’Oppau, en Alle- magne. Aïin de faire retrouver à un stock, qui

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s'était aggloméré, sa consistance pulvérulente, on eut l’idée d'utiliser un explosif. Le dépôt et toute l’usine sautèrent. La catastrophe ne peut être imputée aux ingénieurs de l’usine: sur 20 000 cas d'opérations semblables une seule avait réuni des conditions favorables à une détona- tion.

Les substances qui explosent seulement sous l’action d’une onde de choc, demeurent stables en conditions ordinaires et ne craignant pas même le feu sont fort commodes pour les travaux de dynamitage. Leur grande sécurité permet de les fabriquer et conserver en stocks. Mais pour s’en servir, il faut les amorcer. Les amorçages déto- nants sont absolument indispensables comme sour- ce d'ondes de choc.

Comme exemple d’explosif d’amorçage, citons l’azide de plomb et le fulminate de mercure. Un grain de ces substances suffit à trouer une tôle. L'explosion revêt toujours le caractère d’une détonation.

On dépose un peu d’azide de plomb sur de la dynamite, on l’allume à l’aide d’un cordeau et la détonation de l’amorce engendre une onde de choc faisant exploser la charge. Dans la pra- tique, l'explosion est produite à l’aide d’un détonateur (1 ou 2 grammes de substance d’amor- çage). Le détonateur peut être allumé à distance, par exemple à l’aide d’une mèche (cordeau Bick- ford); l’onde de choc produite par le détona- teur fait exploser la dynamite.

Dans certains cas, les techniciens ont à lutter contre le phénomène de la détonation. Les cylin- dres d’un moteur d'automobile sont le siège, dans les conditions normales, de l’explosion « au ralen- ti» d'un mélange d'essence et d’air. Mais quel- quefois une détonation intervient. On conçoit que l'apparition systématique d'ondes de choc dans un moteur soit absolument inadmissible; elles

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auront vite fait de mettre hors d'usage les parois des cylindres.

Pour lutter contre ce phénomène, on utilise un carburant spécial (essence à indice d’octane élevé), ou on lui ajoute des substances antidé- tonantes empêchant l’onde de choc de se dévelop- per. La plus répandue est le plomb-tétra-éthyle. C’est un poison violent et une notice spéciale prévient le chauffeur de ne manier l'essence traitée qu'avec les plus grandes précautions.

Lorsqu'on construit une pièce d’artillerie, il faut penser au phénomène de détonation. En aucun cas des ondes de choc ne doivent se former à l’intérieur du tube, sinon le canon serait rapidement mis hors de service.

MOTEURS FONCTIONNANT PAR MÉTAMORPHOSE DES MOLÉCULES

L'homme du XX° siècle a l'habitude de se servir de toute sorte de moteurs accomplissant pour lui un énorme travail, facilitant son labeur et décu- plant ses forces.

Comme on s’en est vite aperçu, le plus simple consiste à transformer de l’énergie mécanique en énergie également mécanique, mais d’un autre genre, par exemple à forcer le vent ou une eau courante à entraîner une roue à aubes.

Dans le cas d’un barrage électrique, la trans- formation de l'énergie de l’eau courante en le mouvement rotatif d’une turbine est une étape intermédiaire. La turbine entraîne à son tour une machine électrique, laquelle fournit le cou- rant. Mais ce type de transformation d'énergie sera examiné plus loin.

Les moteurs à vapeur disparaissent dans le passé. La locomotive à vapeur est devenue une pièce de musée. C’est que le rendement de la machine thermique est vraiment trop mauvais.

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Ce qui ne veut pas dire que les turbines à va- peur, elles, aient été abandonnées. Mais aussi, la transformation de l’énergie de la vapeur qui se détend en le mouvement mécanique d’une roue n'est qu'une étape intermédiaire. Le but final est d'obtenir de l'énergie électrique.

Pour ce qui est des avions et des voitures, il serait dénué de sens de chercher à les munir d’une chaudière ou d’une turbine à vapeur. Le poids du véhicule et du module chauffant par cheval vapeur produit serait prohibitif.

Mais on peut se passer de l’élément chauffant extérieur. Dans la turbine à gaz, le fluide moteur direct sont les produits de combustion d’un com- bustible à haut pouvoir calorifique. Dans cette sorte de moteurs, l’homme utilise les réactions chimiques, autrement dit la métamorphose des molécules, pour obtenir de l'énergie.

Voilà qui détermine à la fois les grands avan- tages d’une turbine à gaz sur celle à vapeur et les orandes difficultés techniques soulevées par son fonctionnement.

Les avantages sont évidents. La chambre de combustion a de petites dimensions et peut être aménagée dans le même carter que la turbine; les produits de combustion d’un mélange gazeux comme celui que donnent le pétrole atomisé et l'oxygène fournissent des températures auxquel- les la vapeur ne peut prétendre ; l’intensité excep- tionnelle du flux thermique formé dans la cham- bre de combustion se traduit par un rendement très élevé.

Mais ces avantages vont de paire avec cer- tains défauts. Les ailettes d'acier de la turbine travaillent dans des veines de gaz dont la tem- pérature atteint 1 200 °C et qui sont saturées de particules microscopiques de cendre. On se représente quelle doit être la résistance des maté- riaux servant à les fabriquer.

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Les premières tentatives de construire une tur- bine à gaz d'environ 200 ch à l’usage d’une voi- ture de tourisme ont fait surgir des difficultés tout à fait imprévues: la turbine était si petite que les solutions techniques ordinaires et les matériaux utilisés couramment ne convenaient plus. Petit à petit, ces difficultés techniques sont vaincues et les premières automobiles ex- périmentales actionnées par une turbine à gaz roulent, mais il est encore difficile de se pro- noncer sur leur avenir.

L'usage de la turbine à gaz s’est avéré plus aisé dans les transports ferroviaires. Les locomo- tives ainsi équipées commencent à se répandre.

Ce sont des moteurs d’un tout autre type, dans lesquels la turbine à gaz est un élément nécessaire mais secondaire, qui ont le plus con- tribué à sa mise au point. Il s’agit du turbo- réacteur, principal type de moteur actuellement en service dans l’aviation à réaction.

Le principe d’un moteur à réaction est fort simple. Dans une chambre de combustion à toute épreuve on fait brûler un mélange gazeux; les produits de combustion sont éjectés à très grande vitesse (3 000 m/s dans le cas de la combustion d'hydrogène dans de l’oxygène, et un peu moins pour d’autres combustibles) par une tuyère en sens opposé à celui du mouvement. À de telles vitesses même des quantités de produits de com- bustion relativement modérées créent une poussée considérable. La création du moteur à réaction a ouvert aux hommes la route de l’espace.

Les moteurs à réaction à combustible liquide ont reçu une extension rapide. On injecte dans la chambre de combustion du carburant (par exemple de l’alcool éthylique) et du comburant (généralement de l'oxygène liquide) en propor- tion déterminée. Le mélange brûle en créant une poussée. Dans les fusées du type V-2 la

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poussée est de l’ordre de 15 tf. On remplit les réservoirs de la fusée de 8,5 tonnes de carburant et de comburant qui brülent en 1,5 minute. Ces chiffres sont suffisamment éloquents. Les moteurs à combustible liquide ne conviennent guère que pour les vols à grande altitude ou au-delà de l'atmosphère terrestre. Il est inutile de faire em- porter de grandes quantités de comburant spé- cial par un avion destiné à voler dans les couches basses de l’atmosphère (jusqu’à 20 kilomètres) l’oxygène ne manque pas. Mais alors on se trouve devant la nécessité d’injecter dans la chambre de combustion l'énorme quantité d’air indispensable à une combustion intense. Le pro- blème a été résolu très simplement: une partie de l'énergie du jet de gaz créé dans la chambre de combustion est prélevée pour faire tourner un puissant compresseur refoulant l’air dans la chambre.

Nous savons déjà à l’aide de quel moteur on peut fournir du travail en utilisant l'énergie d’un jet de gaz incandescent : c’est la turbine à gaz. L'ensemble du système est appelé turboréacteur (fig. 7.4). Les turboréacteurs sont sans concur- rence lorsqu'il s’agit de voler à des vitesses comprises entre 800 et 1200 kilomètres/heure.

Pour voler à de grandes distances à une vitesse allant de 600 à 800 kilomètres/heure on cale sur l’arbre du turboréacteur une hélice ordinaire. On a alors un turbopropulseur.

Quand la vitesse de vol atteint à peu près 2000 kilomètres/heure ou plus, la pression de l’air fendu par l’avion est si grande que le com- presseur devient inutile. La turbine à gaz ne sert plus à rien, elle aussi. Le moteur prend l’aspect d’un tuyau de section variable en un point duquel s’effectue la combustion. C’est un statoréacteur. Il est clair qu’un moteur de ce type est incapable d'assurer le décollage et ne

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se met en marche qu'à de très grandes vitesses.

Vu leur consommation élevée, les moteurs à réaction ne conviennent guère aux vols à peti- tes vitesses.

Dans tous les cas il s’agit de se déplacer sur terre, sur l’eau ou dans les airs à des vitesses comprises entre 0 et 500 kilomètres à l’heure, le moteur à combustion interne ou à explosion demeure irremplaçable. L'âme de ce moteur est un cylindre à l’intérieur duquel se déplace un piston. Le mouvement alternatif de celui-ci est transformé en mouvement rotatif de l’arbre par l'intermédiaire d’un système bielle-manivelle (fig. 7.5). Le mouvement du piston est transmis au vilebrequin. Si, au contraire, on fait tourner le vilebrequin, celui-ci entraîne les bielles et à leur suite les pistons dans les cylindres.

Le cylindre d’un moteur à essence est doté de deux soupapes: l’une pour l'admission du mélange gazeux, l’autre pour l’échappement des gaz brûlés. Pour que le moteur commence à fonc-

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Fig. 7.5

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tionner, il faut lui donner le coup de pouce en faisant intervenir l'énergie d’une source exté- rieure. Admettons qu'à un certain moment le piston se dirige vers le bas, la soupape d'admission étant ouverte. Le cylindre aspire un mélange d'essence et d’air. La soupape d'admission est couplée au vilebrequin de manière qu’elle se ferme à l’instant le piston atteint le point le plus bas. Le vilebrequin continuant sa course, le piston repart vers le haut. La’ commande automatique des soupapes les maintient fermées pendant cette phase, ce qui a pour effet de comprimer le mé- lange gazeux. Lorsque le piston est à bout de course, le mélange comprimé est allumé par une étincelle électrique apparue entre les électrodes d’une bougie d’allumage. Les produits de com- bustion, se dilatant, produisent un travail et repoussent avec force le piston. Le vilebrequin reçoit une forte impulsion et le volant calé à son extrémité emmagasine une énergie cinétique assez considérable. C’est grâce à cette énergie que vont avoir lieu les trois temps suivants: d’abord

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l’échappement, lorsque la soupape d'échappement est ouverte et le piston est chassé vers le haut en refoulant les gaz usés hors du cylindre ; ensui- te, l'admission et la compression, que nous avons vues tout à l'heure, suivies d’une nouvelle explo- sion. Le moteur a commencé à travailler.

Les moteurs à essence ont des puissances com- prises entre quelques fractions de ch et 4000 ch. Leur rendement atteint 40 % et leur poids par ch 300 gf. Ces excellentes caractéristiques ex- pliquent qu'ils aient triomphé dans l’automobile et l'aviation.

Comment accroître le rendement d’un moteur à essence ? La technique principale consiste à aug- menter le taux de compression. Si l’on comprime davantage le mélange avant inflammation, sa température sera plus haute. Et pourquoi faut-il élever la température ? encore, aucun mystère. On peut démontrer (opération compliquée et sans intérêt que nous épargnons au lecteur; celui-ci a déjà été convié à plusieurs reprises à croire l’auteur sur parole), que la valeur maximale du rendement est égale à 1—T,/T, T est la température du fluide moteur et T7, celle du millieu ambiant. Pour ce dernier, nous sommes impuissants à y changer quoique ce soit, mais en revanche, nous nous efforçons de porter, dans tous les cas et aussi haut que possible, la tem- pérature du fluide moteur. Mais voilà (car il y à un mais, malheureusement): un mélange fortement comprimé détone (voir p. 217). La course utile acquiert le caractère d’une explosion assez puissante pour endommager le moteur. On est obligé de prendre des mesures spéciales pour diminuer les propriétés détonantes de l’essence, ce qui n'est pas fait pour rendre le carburant moins cher.

Tous ces problèmes concernant l'élévation de la température pendant la course utile, l’élimi-

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nation de la détonation et la diminution du prix du carburant ont reçu une excellente solution dans le moteur Diesel.

Le moteur Diesel rappelle beaucoup le moteur à essence, mais il est prévu pour consommer des produits pétroliers meilleur marché et de qualité inférieure. Le cycle commence par une admission d'’air pur dans le cylindre. Cet air est ensuite comprimé par le piston à une valeur d’une vingtaine d'atmosphères.

Il serait très difficile d'obtenir une si grande compression en lançant le moteur à la main. On fait donc démarrer un moteur Diesel à l’aide d’un petit moteur auxiliaire, généralement à es- sence, ou à l’aide de l’air comprimé.

L'air se comprimant fortement, sa tempé- rature dans les cylindres s'élève assez pour allumer le mélange combustible. Mais comment introduire ce dernier dans un cylindre règne une si haute pression? La soupape d'admission ne convenant plus, elle est remplacée par un injecteur qui introduit le combustible par un orifice minuscule. Le combustible s’enflammant à mesure qu’il pénè- tre, tout danger de détonation est éliminé. Cette circonstance permet de construire des diesels de marine lents, mais développant plusieurs milliers de chevaux. Ces diesels' acquièrent évidemment des dimensions assez respectables, mais ils restent plus petits qu'un groupe comprenant une chau- dière et une turbine.

Les navires dans lesquels on'intercale entre le diesel et l’hélice une génératrice et un moteur à courant continu sont dénommés diesel-électri- ques. Les locomotives à diesel, aujourd'hui lar- gement utilisées dans les chemins de fer, obéis- sent au même schéma et peuvent donc aussi être appelées diesel-électriques.

Ces moteurs à combustion interne que nous avons réservés pour la fin, ont emprunté leurs

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principaux éléments (cylindre, piston, obtention du mouvement rotatif par l’entremise d’un systè- me à bielle-manivelle) à la machine à vapeur. Celle-ci, qui est en train de disparaître, aurait pu s'appeler « moteur à pistons à combustion externe ». C’est précisément la conjonction d’une chaudière encombrante et d’un système non moins volumineux de transformation du mouvement de translation en mouvement rotatif qui lui ôte tout espoir de rivaliser avec des moteurs plus modernes.

Les machines à vapeur modernes ont un ren- dement d'environ 10 %. Les locomotives à vapeur (que l’on ne construit plus d’ailleurs), laissaient partir en fumée jusqu’à 95 % des calories fournies par le combustible brûlé.

Ce rendement déplorable s'explique par les mauvaises caractéristiques d’une chaudière desti- née à être installée sur une locomotive, comparée à une chaudière stationnaire. On se demande alors pourquoi la machine à vapeur a si long- temps régné sans partage dans les chemins de fer.

En plus de la tendance à adopter des solu- tions déjà connues, le fait suivant a joué un grand rôle dans cet état de choses. La machine à vapeur, en effet, a une très bonne caractéristi- que mécanique: plus la charge résiste au dépla- cement du piston, plus grande est la force exer- cée par la vapeur sur ce piston. Autrement dit, le couple moteur développé par une machine à vapeur augmente dans les conditions de travail pénible, ce qui est de la plus haute importance pour les chemins de fer. En tout état de cause, l'absence d’un système compliqué de trans- mission du couple aux roues motrices ne saurait compenser la tare majeure de cette machine, son faible rendement. L’évincement de la machine à vapeur par d'autres moteurs n’a pas d’autres causes.

CHAPITRE 8

LOIS DE LA THERMODYNAMIQUE

LA CONSERVATION DE L'ÉNERGIE DANS LE LANGAGE DES MOLÉCULES

Les lois de la thermodynamique font partie des grandes lois de la nature. Celles-ci ne sont pas nombreuses, on peut les compter sur les doigts de la main.

L'objectif principal de la science, et plus particulièrement de la physique, bien entendu, consiste à rechercher les règles, les principes et les lois, générales et essentielles, auxquels la nature est soumise. Cette recherche commence par l’observation ou l’expérience. Aussi disons- nous que toute notre connaissance est à caractère empirique (expérimental). Une fois l'observation faite, suit la recherche des synthèses. A l'issue d’un travail studieux fait de réflexion, de calcul et d’intuition, les lois de la nature sont établies. Suit la troisième étape, celle de la déduction rigoureusement logique à partir de ces lois géné- rales, des conséquences et des lois particulières qui peuvent être vérifiées par l’expérience. Soit dit en passant, c’est en cela que consiste l’explica- tion des phénomènes. Expliquer, c’est insérer le particulier dans un système plus général.

Evidemment, le rêve du scientifique serait de réduire les lois à un nombre minimal de postu- lats. Les physiciens s’y attachent sans relâche, tâchant d'inscrire toute la somme de nos con- naissances sur la nature en quelques formules élégantes et brèves. Durant une trentaine d’an- nées, Albert Einstein s’est efforcé de systématiser les lois des champs gravitationnel et électroma-

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gnétique. La chose sera-t-elle obtenue un jour, l’avenir nous le montrera.

Mais quelles sont donc ces lois de la thermo- dynamique? La formule brève pèche générale- ment par son imprécision. Nous approcherons pourtant au plus près du fond de l'affaire en disant que la thermodynamique est la science des règles selon lesquelles les corps échangent de l'énergie. Or ce que nous savons des lois (on dit encore des principes) de la thermodynamique, nous permet ensuite d'établir en stricte logique (mathématiquement) les correspondances entre les propriétés thermiques et mécaniques des corps, de formuler une série de lois capitales concernant les modifications de l’état des corps. Aussi bien, la définition la plus exacte de ce chapitre de la physique peut prendre l’aspect de cette phrase banale: la thermodynamique est l’ensemble des connaissances qui découlent du premier et du deuxième principe de la thermodynamique.

Le premier principe de la thermodynamique fut formulé en une forme brève et expressive à une époque les physiciens préféraient encore ne pas parler de molécules. Ce type d’énoncés (qui ne nous obligent pas à nous « aventurer » à l’intérieur des corps) est dit phénoménologique, c’est-à-dire relatif au phénomène. Le premier principe apparaît donc comme une certaine pré- cision extensive de la loi de la conservation de l’énergie.

Nous avons établi que les corps possèdent des énergies cinétique et potentielle et que dans un système clos, la somme de ces énergies, l’éner- gie totale, ne peut ni disparaître ni apparaître. L'énergie se conserve.

Si l’on excepte le mouvement des corps céles- tes, on peut affirmer sans grande exagération qu'il n'existe pas de phénomènes dans lesquels le mouvement mécanique ne s'accompagne d’un

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échauffement ou d'un refroidissement des corps avoisinants. Quand un corps, par l'effet du frot- tement, s’immobilise, son énergie cinétique pa- raît avoir disparu, à première vue. Mais ce n’est qu'à première vue, car en réalité, on peut démon- trer que la conservation est observée avec une exactitude absolue. L'énergie mécanique est dé- pensée à l’échauffement du milieu. Et qu'est-ce que cela veut dire dans le langage des molécules ? Ceci: l'énergie cinétique du corps s’est muée en énergie cinétique des molécules ambiantes.

Fort bien. Et qu'est-ce qui se passe dans le creux du mortier nous pilons de la glace ? Le thermomètre est inamovible au zéro. En ap- parence, l’énergie mécanique a disparu. est- elle allée se fourrer? encore, la réponse est claire : la glace s’est transformée en eau. Donc, l'énergie mécanique a servi à rompre les liaisons intermoléculaires, l'énergie interne des molé- cules s’est modifiée. Et ainsi de suite: chaque fois que nous observons une disparition d'énergie mécanique, nous constatons sans difficulté que ce n’est qu’une apparence, et qu’en réalité, l'énergie mécanique s’est muée en énergie interne des corps.

Dans un système clos, certains corps peuvent perdre, et d’autres acquérir de l’énergie interne. Mais la somme de l’énergie interne de tous les corps présents, additionnée à leur énergie méca- nique, reste constante pour le système donné.

Maintenant, laissons de côté l’énergie mécani- que et considérons deux moments distincts: dans le premier temps, les corps sont immobiles, puis des événements se produisent, après quoi les corps retrouvent leur immobilité. Nous savons pertinemment que l'énergie interne de tous les corps faisant partie du système est restée inchan- gée. Mais une partie d’entre eux a perdu de l’éner- gie, une autre partie en a acquis. La chose a pu

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se faire de deux façons. Soit que l’un des corps ait accompli un travail mécanique vis-à-vis de l’autre (mettons, qu’il l’ait comprimé ou allongé), soit. que l’un des corps ait transféré à un autre de la chaleur.

Le premier principe de la thermodynamique affirme: la variation d'énergie interne du corps est égale à la somme du travail qui lui a été communiqué et de la chaleur qui lui a été trans- mise.

Chaleur et travail sont deux phénomènes dis- tincts, dans lesquels l’énergie peut être trans- mise de corps à corps. Le transfert de chaleur se fait par bombardement désordonné des molé- cules. Celui d'énergie mécanique consiste en ce que les molécules d’un corps communiquent leur énergie à l’autre de façon cohérente, selon un mouvement aligné.

COMMENT TRANSFORMER LA CHALEUR EN TRAVAIL

Dans ce sous-titre, nous usons quelque peu cavalièrement du terme de chaleur. Comme il vient d’être dit, la chaleur est une forme de trans- fert d'énergie. Il serait donc plus juste de poser la question comme suit: comment transformer l'énergie thermique, c’est-à-dire l’énergie cinéti- que du mouvement des molécules, en travail. Mais comme « chaleur » est un terme familier, bref et disant bien ce qu’il veut dire, j'espère que le lecteur ne nous en voudra pas d'en user dans le sens que je viens de définir avec pré- cision.

Ce n’est pas la chaleur qui manque autour de nous. Malheureusement, toute cette énergie est absolument inutile: elle ne peut pas être trans- formée en travail. Cette énergie-là ne peut pas

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être ajoutée à notre réserve énergétique. Essayons donc de mettre les choses au point.

Un pendule écarté de sa position d'équilibre s'arrête tôt ou tard; la roue d’une bicyclette retournée, lancée à la main, va effectuer un cer- tain nombre de tours, mais finira aussi par s'arrêter. Cette loi capitale est sans exceptions: tous les corps qui nous entourent et qui se dépla- cent d’une façon spontanée s’arrêtent tôt ou tard *.

Si l’on a deux corps dont l’un est chaud et l’autre froid, la chaleur passe du premier au second jusqu’à ce que les températures s’égalisent. La transmission de la chaleur s’arrête alors et l’état des corps se stabilise. L'équilibre thermi- que s’est établi.

Il n'existe pas de phénomène dans lequel un corps abandonne spontanément l’état d'équilibre. Il est impossible qu’une roue commence à tourner d'elle-même sur son axe. Il est aussi impossible que l’encrier placé sur la table commence à s’échauffer de lui-même.

Cette tendance à l'équilibre signifie que les phénomènes ont tous un « sens » naturel: la cha- leur passe d’un corps chaud à un corps froid, mais ne peut pas passer spontanément d’un corps froid à un corps chaud.

L'énergie mécanique d’un pendule oscillant se transiorme en chaleur grâce à la résistance de l’air et au frottement intervenant dans le dispositif de suspension. Mais jamais un pen- dule ne se mettra en marche à cause de la chaleur présente dans le milieu ambiant. Les corps re- trouvent l’état d'équilibre, mais ils ne peuvent pas en sortir spontanément.

Cette loi de la nature met le doigt sur la partie de l'énergie ambiante qui reste totalement inuti-

* Bien entendu, il n’est pas question ici du mouve- ment de translation uniforme ni de la rotation uniforme d'un système de corps considéré comme un tout.

231

lisable: l'énergie de l'agitation thermique des molécules des corps qui se trouvent en état d’équi- libre. Ces corps sont incapables de transformer leur énergie en mouvement mécanique.

Cette partie de l’énergie est énorme. Calculons la valeur de cette énergie « morte». Si l’on abaisse la température de 1 °C, un kilogramme de terre dont la capacité calorifique est de 0,2 kcal/kg perd 0,2 kcal. Un chiffre assez petit. Mais voyons quelle serait l'énergie obtenue si l’on arrivait à refroidir d'un degré la même substance d’un volume correspondant à la masse du globe terrestre, qui'est égale à 6:10? kg. La multiplication nous donne un chiffre énorme : 1,2.10%* kcal. Pour que le lecteur puisse s’en faire une idée disons qu'à l’heure actuelle l’éner- gie produite annuellement par toutes les cen- trales électriques du monde est comprise entre 1075 et 1016 kcal, c’est-à-dire qu'elle est encore inférieure d’un milliard de fois!

Quoi d'étonnant que ce genre de calcul hyp- notise les inventeurs peu versés en physique. Nous avons déjà parlé des tentatives qui furent faites pour construire un moteur perpétuel pro- duisant du travail à partir de rien. Si l’on opère avec les principes de physique qui découlent de la loi de la conservation de l'énergie, il serait vain d'espérer réfuter cette loi par la création d’un moteur perpétuel (nous l’appellerons main- tenant moteur perpétuel du premier genre).

La même erreur est commise par les inven- teurs un peu plus ingénieux qui travaillent sur des moteurs produisant un mouvement mécanique grâce au seul refroidissement du milieu. Ce mo- teur malheureusement irréalisable est appelé mo- teur perpétuel du second genre. aussi l’er- reur est de logique, puisque l'inventeur se base sur des lois de physique découlant de la loi qui

«

établit la tendance de tous les corps à retourner

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à l’état d'équilibre ; il voudrait à l’aide de ces lois réfuter les fondements qui leur servent de base. Donc, en se bornant à enlever de la chaleur au milieu on ne produira pas de travail. En d’au- tres termes, un système de corps mutuellement équilibrés est énergétiquement stérile.

On voit que pour obtenir du travail, il faut d’abord trouver des corps qui ne se trouvent pas en état d'équilibre avec leurs voisins. Alors seulement on pourra déclencher le processus du passage de la chaleur d’un corps à un autre ou celui de la transformation de la chaleur en énergie mécanique.

Créer un flux d'énergie, voilà la condition nécessaire à l'obtention du travail. Sur le « che- min » de ce flux il devient possible de transformer l'énergie des corps en travail. Aussi ne peut-on ajouter à la réserve énergétique utile que l’éner- gie des corps qui ne sont pas en équilibre avec le milieu ambiant.

La loi que nous venons de clarifier, et selon laquelle il est impossible de créer un moteur perpétuel du second genre, est dite deuxième principe de la thermodynamique. Pour l'instant, nous l’avons formulée sous l’aspect phénoméno- logique. Mais comme nous savons que les corps sont faits de molécules, et que l'énergie interne est la somme des énergies cinétique et potentielle des molécules, nous ne voyons plus très bien le pourquoi de l'apparition d’une loi pour ainsi dire « complémentaire ». Pourquoi la loi de la conservation de l’énergie, telle qu’elle a été for- mulée pour les molécules, est-elle insuffisante pour s'y retrouver dans tous les phénomènes de la nature ?

Bref, la question s'impose: pourquoi, à pro- prement parler, les molécules se conduisent-elles de telle sorte que lorsqu'elles sont laissées à elles- mêmes, elles aspirent à l’équilibre ?

16—01030 233

ENTROPIE

Cette question est aussi importante qu'inté- ressante. Pour y répondre, il va falloir partir de loin.

Les phénomènes ordinaires, fréquents, se ren- contrent à chaque pas, ils sont probables. En revanche, on tient pour improbables ceux des événements qui se produisent à la suite d’un concours de circonstances rare.

L'événement improbable ne suppose pas l’in- tervention de forces surnaturelles quelconques. Il ne comporte rien d’impossible, rien qui soit contraire aux lois de la nature. Et néanmoins dans de nombreux cas nous sommes persuadés que l’improbable équivaut pratiquement à l’im- possible.

Jetez un coup d'œil sur la liste des numéros gagnants d’une loterie. Comptez combien il y a de billets dont le numéro finit par un 4, un 5 ou un 6. Vous ne vous étonnerez pas quand vous aurez trouvé qu'à chacun de ces chiffres correspond à peu près la dixième partie des billets gagnants. Bon, et peut-il se trouver que le nombre des billets dont le numéro finit par un 5 corresponde non pas à la dixième, mais à la cinquième partie ? C'est peu probable, direz-vous. Et maintenant, que la moitié des billets gagnants finissent par ce chiffre ? Ah, non! c’est tout à fait improbable. et donc impossible.

Une réflexion sur les conditions à réunir pour qu'un événement soit probable nous conduit à la conclusion suivante: la probabilité de l’événe- ment dépend de la pluralité des moyens par lesquels il peut être réalisé. Plus leur nombre est grand et plus cet événement sera fré- quent.

Plus précisément la probabilité est le rapport du nombre des moyens autorisant un certain

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événement au nombre des moyens autorisant tous les événements possibles.

Ecrivez dix chiffres de O0 à 9 sur dix ron- delles de carton que vous jetez dans un petit sac. Sortez maintenant une rondelle, notez-en le numéro et remettez-la dans le sac. Voilà qui ressemble beaucoup à une loterie. Nous pouvons affirmer que vous ne sortirez jamais le même chiffre 7 fois d’affilée même si vous passez toute la soirée à ce travail fastidieux. Pourquoi? Le tirage de 7 chiffres identiques est un événement autorisé seulement par 10 moyens (7 zéros, 7 uni- tés, 7 deux, etc.). En tout nous avons 107 chances de sortir 7 rondelles. Ceci fait que la probabilité de tirer d'affilée 7 rondelles portant le même chiffre est égale à 10/107 105, soit une chance sur un million.

Versons dans une boîte des grains blancs et des grains noirs et mélangeons le tout; très vite les grains sont répartis uniformément dans toute la boîte. Si nous en puisons une poignée, la quan- tité de grains blancs et de grains noirs est à peu près la même. On peut mélanger tant qu’on veut, le résultat reste toujours le même et la propor- tion demeure uniforme. Pourquoi les grains ne se séparent-ils pas? Pourquoi un long brassage ne finit-il pas par répartir les grains noirs en haut et les grains blancs en bas, par exemple? aussi c’est une affaire de probabilité. Une situa- tion telle que les grains soient répartis en désor- dre, c’est-à-dire que les grains noirs et les grains blancs soient mélangés uniformément, peut être réalisée par une quantité infinie de moyens; elle a donc la plus grande probabilité. Au contraire, la situation telle que tous les grains noirs se trouvent en haut et tous les grains blancs en bas est unique. La chance de voir cette situation réalisée est infiniment petite.

Des grains contenus dans la boîte aux molé-

16% 235

cules dont sont construits tous les corps, il n’y a qu'un pas. Le comportement des molécules obéit au hasard. La chose est particulièrement visible avec les gaz. Nous savons que les molé- cules d’un gaz entrent en collision de façon désordonnée, se déplacent dans toutes les direc- tions possibles tantôt à une vitesse, tantôt à une autre. Cette agitation thermique permanente bou- leverse l’ordre des molécules, les mélange comme nous l’avons fait avec les grains contenus dans la caisse.

La pièce dans laquelle nous nous trouvons est remplie d’air. Pourquoi n’arriverait-il pas qu’à un moment donné les molécules qui se trouvent dans la partie inférieure de la pièce passent dans sa partie supérieure, sous le pla- fond ? Ce phénomène n’est pas impossible, il est simplement très improbable. Qu'est-ce que cela veut dire, très improbable? Même si un tel phénomène était un milliard de fois moins pro- bable que la répartition désordonnée des molé- cules, quelqu'un finirait bien par le voir se pro- duire un jour. Peut-être que ce quelqu'un, ce sera nous ?

Le calcul montre qu'un événement de ce genre se rencontre dans un récipient d’un cm une fois sur 1030000000000000000000, Allons-nous faire une différen- ce, maintenant, entre les mots « extrêmement im- probable » et « impossible » ? Le nombre que nous avons écrit, disons-le, est incroyablement grand. Même si on le divise par le nombre d’atomes se trouvant non seulement sur le globe terrestre, mais dans tout le système solaire, il reste énorme.

Quel sera donc l’état des molécules du gaz? Le plus probable. Et l’état le plus probable est celui qui est réalisable par le plus grand nombre de moyens, en l'occurrence une répartition dé- sordonnée des molécules pour laquelle on a à peu près le même nombre de molécules qui se dépla-

236

cent à droite et à gauche, vers le haut et vers le bas, pour laquelle chaque volume contient le même nombre de molécules, la même part de molé- cules rapides et de molécules lentes en partie supérieure ou en partie inférieure du récipient. Tout écart de ce désordre, c’est-à-dire du mélan- ge anarchique et uniforme des molécules, en ce qui concerne leur place et leur vitesse, entraîne une diminution de la probabilité, en un mot représente un événement improbable.

Tout au contraire, les phénomènes favorisant le mélange, le désordre augmentent la probabi- lité de l’état. Ce sont donc ces phénomènes qui déterminent le cours naturel des événements. L'inexorable impossibilité du moteur perpétuel du second genre, la loi de la recherche par tous les corps d’un état d'équilibre trouvent leur expli- cation. Pourquoi le mouvement mécanique se transforme-t-il en mouvement thermique? Mais parce que le mouvement mécanique est ordonné et le mouvement thermique désordonné. Le pas- sage de l’ordre au désordre augmente la proba- bilité de l’état.

Les physiciens usent souvent d’une grandeur auxiliaire appelée entropie. L’entropie caracté- rise le degré de l’ordre et est liée par une formule simple au nombre des moyens susceptibles de créer un état. Nous n'indiquerons pas cette for- mule, nous bornant à dire que plus la probabi- lité est grande, plus l’entropie est grande.

La loi de la nature que nous sommes en train d'examiner affirme: tous les processus naturels ont lieu d’une façon telle que la probabilité de l’état augmente. En d’autres termes, cette même loi se formule comme la loi de l’accrois- sement de l’entropie.

La loi de l’accroissement de l'entropie est une loi capitale de la nature. Il en résulte en parti- culier l'impossibilité de construire un moteur

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perpétuel du second genre ou, ce qui revient au même, le postulat selon lequel les corps abandonnés à eux-mêmes tendent vers l’équi- libre. La loi de l’entropie croissante s’identifie au deuxième principe de la thermodynamique, la différence est formelle, le contenu est le même. Et surtout, nous avons interprété le deu- xième principe de la thermodynamique dans le langage des molécules.

Certes, en un certain sens, la réunion de ces deux lois sous la même enseigne n’est pas tout à fait heureuse. La loi de la conservation de l’énergie est une loi absolue. En ce qui concerne la loi de l'accroissement de l’entropie, elle n’est applicable, ainsi qu'il s'ensuit de tout ce que nous venons de dire, qu’à un rassemblement suf- fisamment grand de particules, tandis qu’elle demeure tout simplement informulable pour des molécules isolées.

Le caractère statistique (c’est-à-dire se rap- portant à un grand rassemblement de particu- les) du deuxième principe de la thermodynamique ne diminue nullement son importance. La loi de l'accroissement de l’entropie prédétermine l’orien- tation des processus. En ce sens on peut dire que l’entropie est le directeur-administrateur des richesses naturelles chez lequel l’énergie occupe le poste de comptable.

FLUCTUATIONS

Donc, des phénomènes spontanés conduisent le système vers son état le plus probable, celui d’une entropie croissante. Lorsque l’entropie du système est parvenue au maximum, les variations cessent, l'équilibre étant atteint.

Mais l’état d'équilibre ne signifie nullement un repos interne. À l’intérieur, le système est le siège d’un mouvement thermique intense.

238

Pour cette raison, rigoureusement parlant, tout corps physique cesse à chaque moment d'’« être lui-même » et la disposition réciproque des molé- cules diffère à chaque instant de leur ordonnance à l'instant précédent. Finalement, la valeur de toutes les grandeurs physiques se conserve «en moyenne », elle n’est pas exactement égale à leur valeur la plus probable, mais oscille autour d'elle. L'écart depuis la valeur d'équilibre la plus probable est appelé fluctuation. La valeur des fluctuations de toute sorte est insignifiante. Plus elle est grande, moins elle est probable.

La valeur moyenne d’une fluctuation relative, c'est-à-dire la fraction de la grandeur physique à laquelle nous nous intéressons, dont celle-ci peut se modifier grâce au mouvement chaotique des molécules, peut être représentée par l’expres-

sion 4/V N, À est le nombre de molécules de tout le corps ou d’une partie de celui-ci. Il s'ensuit que les fluctuations sont perceptibles pour des systèmes formés d’un petit nombre de molécules et sont imperceptibles pour des grands corps comprenant des milliards de milliards de molécules.

La formule 4/VN montre que dans un cm° de gaz la densité, la pression, la température ou

toute autre propriété peuvent changer de ee

1 3:10 ? c'est-à-dire dans les limites de 10-8 %. De telles fluctuations sont trop petites pour être détectées expérimentalement. Cependant, il en va tout autrement pour un volume d’un micron cubique, NV = 3107; les fluctuations atteignent des valeurs mesurables de l’ordre de quelques cen- tièmes de pour cent.

La fluctuation représente un phénomène « anor- mal » en ce sens qu’elle conduit d’un état plus probable à un état moins probable. Ce phénomène

239.

s'accompagne d’un passage de la chaleur d’un corps froid à un corps chaud, la répartition uni- forme des molécules est perturbée, on voit ap- paraître un mouvement ordonné.

Ces perturbations ne vont-elles pas nous per- mettre de construire enfin un moteur perpétuel du second genre ?

Imaginons une turbine minuscule installée dans un gaz raréfié. N’est-il pas possible d’ob- tenir de cette petite machine qu’elle réagisse à toutes les fluctuations dirigées dans un sens? Par exemple qu'elle tourne lorsque le nombre de molécules se déplaçant vers la droite devient supérieur au nombre de molécules qui se dépla- cent vers la gauche ? On pourrait additionner ces petites saccades et obtenir finalement du travail. Le principe postulant l'impossibilité de créer un moteur perpétuel du second genre serait réfuté.

Hélas, un tel dispositif est foncièrement im- possible. Un examen détaillé, tenant compte du fait que la turbine a ses fluctuations propres qui sont d'autant plus grandes que ses dimen- sions sont plus petites, montre qu’en aucun cas des fluctuations ne peuvent produire de travail. Bien que des perturbations de la tendance à l’équi- libre se manifestent continuellement autour de nous, elles sont impuissantes à changer le mouve- ment des processus physiques dans un sens qui accentue la probabilité de l’état, c’est-à-dire l’en- tropie.

QUI A DÉCOUVERT LES LOIS DE LA THERMODYNAMIQUE ?

On ne saurait se limiter ici à un seul nom. Le deuxième principe de la thermodynamique a toute une histoire.

De même que pour le premier principe, il faut nommer tout d’abord le Français Nicolas

240

Léonard Sadi Carnot. Il publia en 1824 une étude intitulée Réflexions sur la puissance motrice du feu et les machines propres à développer cette puis- sance. Dans cette publication il était indiqué pour la première fois que la chaleur ne peut pas passer d’un corps plus froid à un corps plus chaud sans dépense de travail. Carnot a égale- ment montré que le rendement maximal d’une machine thermique ne dépend que de la dif- férence des températures de l’agent thermique et du milieu refroidissant.

Ce n'est qu'après la mort de Carnot en 1832 que d’autres physiciens s’intéressèrent à cet ouvra- ge. Néanmoins, il n’a que peu influé sur le dé- veloppement de la science car il était basé sur l'existence d’un fluide énigmatique, indestruc- tible et impossible à créer, le phlogistique.

C'est seulement après les travaux de Mayer, Joule et Helmholtz, qui établirent la loi de l’équivalence de la chaleur et du travail, que le grand physicien allemand Rudolf Clausius (1822-1888) découvrit le deuxième principe de la thermodynamique et le formula mathématique- ment. Clausius a introduit la notion d’entropie et montré que l’essence du deuxième principe se ramène à une croissance inévitable de l’entropie dans tous les phénomènes réels.

Le deuxième principe de la thermodynamique permet de formuler plusieurs lois générales, aux- quelles doivent obéir tous les corps quelle que soit leur structure. Mais il reste une dernière question: comment trouver la relation entre la structure d’un corps et ses propriétés? À cette question répond une branche de la physique ap- pelée physique statistique.

Il est clair que dans un calcul intéressant des grandeurs physiques qui décrivent un système comprenant des milliards de milliards de parti- cules, le problème doit être abordé d’une manière

241

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de la notion d’entropie introduite par lui-même. Clau- sius fut l’un des tout premiers à s'occuper des questions de la capacité calorifique des gaz polyatomiques et de la conductibilité thermique des gaz. Ses travaux sur la théorie cinétique des gaz contribuèrent grandement au développement de la conception statistique des phéno- mènes physiques. I] est aussi l’auteur de plusieurs tra- vaux d'un intérêt majeur consacrés aux phénomènes électriques et magnétiques,

toute nouvelle. Il serait insensé et tout simple- ment impossible de prétendre observer les mouve- ments de chaque particule et les décrire à l’aide des formules de la mécanique. Or, l’énormité du nombre de particules permet d’avoir recours aux nouvelles méthodes « statistiques ». Ces mé- thodes usent largement de la notion de proba- bilité. Les principes de la physique statistique ont été établis par le remarquable physicien autrichien Ludwig Boltzmann (1844-1906). Dans toute une série de travaux Boltzmann a montré comment le programme ci-dessus indiqué peut être réalisé pour les gaz.

En 1877, Boltzmann donna une interpréta- tion statistique du deuxième principe de la ther- modynamique, qui fut un achèvement logique de ces études. La formule qui relie l’entropie et l’état probable d’un système est gravée sur le monument érigé en l’honneur de Boltzmann.

Il est difficile de surestimer l’exploit scien- tifique de Boltzmann qui ouvrit de nouvelles voies à la physique théorique. De son vivant, les professeurs allemands rétrogrades tournèrent en dérision ses découvertes: en ce temps les théories atomiques et moléculaires étaient tenues pour naïves et antiscientifiques. Boltzmann se suicida, et cette atmosphère n’y a certainement pas joué le dernier rôle.

L'édifice de la physique statistique fut en grande partie achevé par les travaux de l’éminent physicien américain Josiah Willard Gibbs (1839- 1903). Gibbs généralisa les méthodes de Boltz- mann et montra comment on peut appliquer la méthode statistique à tous les corps.

La dernière publication de Gibbs vit le jour au début du XXe siècle. Cet homme très modeste publiait ses études dans la revue d’une petite université de province. Il fallut pas mal d'années

243

pour que ses remarquables recherches deviennent connues de tous les physiciens.

La physique statistique montre par quelle voie on peut calculer les propriétés des corps composés d’un nombre donné de particules. N’al- lons pas croire, bien entendu, que ces méthodes soient toutes-puissantes. Dès que le caractère du mouvement atomique devient très complexe, com- me c’est le cas des liquides, tout calcul réel devient pratiquement impossible.

CHAPITRE 9

GRANDES MOLÉCULES

CHAÎNES ATOMIQUES

Il y a longtemps que chimistes et industriels ont affaire aux substances naturelles composées de molécules longues les atomes sont soli- daires entre eux à la façon des maillons d’une chaîne. Les exemples ne manquent pas: des ma- tières aussi répandues que le caoutchouc, la cel- lulose, la protéine sont formées de molécules en chaîne comportant plusieurs milliers d’atomes chacune. Les théories touchant à la structure de ce type de molécules sont nées et se sont développées dans les années 20, quand les chi- mistes ont appris à les fabriquer en laboratoire.

L'une des grandes premières en ce domaine fut la création du caoutchouc synthétique. Cette remarquable réalisation était le fait, en 1926, du chimiste soviétique Serguéi Lébédev. Le but qu'il poursuivait, obtenir de ce gomme si né- cessaire pour la fabrication des pneumatiques d'automobile, était dicté par l'absence en Union Soviétique de caoutchouc naturel ou latex.

C’est dans la jungle brésilienne que pousse l’hévéa, dont la sève n’est autre que le latex, liquide laiteux contenant du caoutchouc en sus- pension. Les Indiens s’en servaient pour con- fectionner des balles et des espadrilles. Mais en 1839, les Européens apprennent à vulcaniser le caoutchouc. En traitant le latex au soufre, la sève naturelle poisseuse et visqueuse se trans- forme en gomme élastique.

Au début, la consommation reste faible. Mais aujourd'hui, ce sont des millions de tonnes de

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caoutchouc dont on a besoin dans le monde chaque année. L’hévéa ne poussant que dans les forêts tropicales, le pays qui ne veut pas dépendre de l’importation doit fabriquer son propre caout- chouc dans ses usines.

Pour cela, il faut naturellement savoir ce qu'est le caoutchouc. Quand Lébédev engage ses travaux, la formule chimique du caoutchouc est déjà connue. La voici:

CH,— CH, CH,— CH, CH, CH / N / N "4 C— CH C=—CH C—CH / f 4 CH: CH; CH;

La chaîne ici représentée n’a ni début ni fin. Nous voyons que les molécules sont bâties d’élé- ments identiques. Aussi la formule peut-elle s’ins- crire plus brièvement comme suit:

CH n

n est un chiffre à trois zéro et plus. Les molé- cules longues construites à l’aide d'éléments répé- titifs ont été appelées polymères.

De nos jours, c’est une très grande diversité de polymères synthétiques qui trouvent un usage dans la technique et l’industrie textile. [Il y a le nylon, le polyéthylène, le capron, le poly- propilène, le chlorure de polyvinyle et beaucoup d’autres.

La structure la plus simple est celle de la molécule du polyéthylène. Les emballages qu'on en fabrique sont omniprésents dans la vie de tous les jours. Si l’on étale au maximum une molécule de polyéthylène, elle prend l’aspect qu’on a représenté sur la figure 9.1. On constate que les physiciens ont réussi à déterminer et la dis- tance entre les atomes, et les angles entre les liaisons de valence.

246

Fig. 9.1

Les molécules longues ne se composent pas forcément d'éléments répétitifs; autrement dit, elles ne peuvent pas toutes être représentées par une formule semblable à celle du caoutchouc. Les chimistes ont appris à « construire » des molé- cules faites de deux éléments différents ou davan- tage, et se suivant tant dans l’ordre que dans le désordre. Si les éléments se suivent dans un certain ordre, disons, tel que le schéma

ABABABABAB

la molécule est dite polymère régulier. Mais on a le plus souvent affaire à des molécules une telle ordonnance n'existe pas. La molécule

ABBABAAABBBBABABAABBA

est dite polymère irrégulier.

La molécule naturelle de la protéine est aussi un polymère. Les protéines se bâtissent de 20 fragments de différentes espèces. Ces fragments sont appelés résidus d’acides aminés.

Entre les molécules de protéine et les molé- cules synthétiques bâties de plusieurs fragments disposés dans le désordre, il existe une diffé- rence substantielle. Dans un morceau de poly- mère synthétique, il n’y a pas deux molécules

247

semblables. La suite désordonnée des fragments qui composent la molécule en chaîne, change d'aspect pour chaque molécule. Le plus souvent, ceci se répercute fâcheusement sur les propriétés du polymère. Comme les molécules ne se ressem- blent pas, elles ne peuvent pas former de blocs satisfaisants. En principe, on ne peut pas en bâtir un cristal parfait. Les matières de ce type sont caractérisées par le « degré de cristallisa- tion ».

Mais depuis quelques dizaines d’années, les chimistes ont appris à construire des polymères réguliers, et l’industrie dispose maintenant d’un grand nombre de matières nouvelles d’un grand intérêt.

Pour ce qui est des protéines naturelles d’une espèce déterminée (disons, l’hémoglobine du bœuf), si leurs molécules s’enchaînent dans le désordre, du moins sont-elles toutes semblables. Les molécules de chaque espèce de protéines peu- vent se comparer aux pages d’un livre: les let- tres se suivent dans un désordre apparent, mais qui obéit en réalité à un ordre précis. Toutes les molécules de la protéine sont les copies con- formes de la même page.

SOUPLESSE DES MOLÉCULES

La molécule longue peut se comparer à un rail. Sur une longueur de 0,1 mm prennent place 10% atomes. La largeur de la molécule du polyé-

thylène est de l’ordre de 3 à 4 À. De la sorte, la longueur de la molécule est des centaines de milliers de fois supérieure à la largeur. Comme le rail n'a pas plus de 10 cm d’épaisseur, l’image qu’on peut se faire d’une molécule longue est un rail de 10 km de long.

Ce qui ne veut pas dire qu’on ne puisse ren- contrer de molécules courtes. Plus généralement, et si on n'y prend garde, on peut trouver dans

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un polymère des molécules de toutes les longueurs imaginables, depuis celles qui ne comportent que quelques éléments jusqu’à celles qui en compor- tent des milliers.

Donc, la molécule longue ressemble à un rail. Ressemblance imparfaite, toutefois. S'il n’est pas aisé de tordre un rail, cela ne présente aucune difficulté pour la molécule. Mais la souplesse de la macromolécule ne ressemble pas à celle d’un rameau de saule. Elle est le produit d’une propriété particulière de toutes les molécules, telle qu’une partie d’entre elles peut opérer une révolution autour de l’autre partie, à condition d’être unies par des liaisons que les chimistes appellent monovalentes. On réalise sans peine que grâce à cette propriété, les molécules poly- mériques sont à même d’épouser les formes les plus singulières. Sur la figure 9.2, nous avons le modèle d’une molécule souple en trois positions différentes. Quand la molécule nage dans une solution, la plupart du temps elle préfère se rouler en pelote.

L'extension d’un élastique est le résultat de la contorsion des molécules. De ce fait, l’élasti- cité des polymères est d’une nature complètement différente de celle de l’élasticité des métaux. Quand on relâche l'élastique, il se raccourcit. Cela veut dire que la molécule qu’on a obligé à prendre une configuration linéaire, aspire à re- tourner à la pelote. Pour quelle raison? Il peut y en avoir deux. D'abord, on peut admettre que l’état de pelote est énergétiquement plus avantageux. Ensuite, on peut supposer que cette position concourt à accroître l’entropie. Mais alors, laquelle des deux lois de la thermodyna- mique commande-t-elle ce comportement: la pre- mière ou la deuxième ? Tout laisse à penser que ce sont les deux. Encore qu’il soit indubitable que la position en pelote est avantageuse du point

17—01030 249

de vue de l’entropie. En effet, l'alternance des atomes des molécules roulées en pelote est plus désordonnée que dans la molécule longiligne. Et nous savons maintenant que le désordre et l’en- tropie sont de proches parents.

Pour ce qui est du gain d'énergie, il se fait au compte de l’assemblage serré des atomes qui com- posent la molécule polymère. La contraction des molécules en spirale ou en pelote se fait de telle sorte qu’elle assure un nombre maximal de con- tacts entre les atomes n'ayant pas de liaisons de valence.

LE P.-D.G. DE LA CELLULE

Tout ce qui vit est constitué de cellules. Toutes les cellules ont un noyau. Dans tous les noyaux il y a des molécules polymères spéciales

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qu'on pourrait appeler « nucléaires ». Mais on a préféré utiliser le terme d’acides nucléiques. Et parmi ces acides, il y en a de fameux. Ces acides nucléiques sont si bien connus, que les sigles abrégés qui les désignent: ARN (acides ribonucléiques) et ADN (acides désoxyribonucléi- ques) se rencontrent même sur les pages des romans.

Cette dernière, l’ADN est assurément la super- star des macromolécules. La raison est claire: cette molécule polymère est responsable de la croissance d'organisme, c’est elle qui fabrique les protéines, quoique non sans l’aide de l’ARN ; la molécule d'ADN est le support de l’enregistre- ment codé des caractères particuliers de chaque organisme. Autrement dit, l'ADN répond de la transmission de l’hérédité entre parents et pro- géniture.

De quoi ont donc l’aire les molécules de ces polymères ? Les chaînons qui les composent s’ali- gnent-ils dans l’ordre ou dans le désordre ? Voyons ce qu’il en est. La molécule isolée d'ADN repré- sente une chaîne dont l’épine dorsale possède la même structure pour tous les organismes. À cette épine se rattachent quatre molécules différentes. Il y en a deux grandes, les deux autres étant deux fois plus petites. Les atomes qui forment la chaîne principale de la molécule s’alignent dans l’ordre, mais les petites « feuil- les» qui poussent sur le rameau se succèdent sans le moindre ordre discernable. Mais il y a une circonstance tout à fait remarquable et capitale, et c’est que toutes les molécules d'ADN sont semblables chez un individu, et ne ressemblent pas (au niveau de l’ordre de succession des « feuilles ») aux molécules d’un autre sujet, même pour la même espèce.

Et c’est à cause des différences entre les molé- cules d'ADN que diffèrent tous les hommes, tous

17% 251

les lions, tous les bouleaux. Pas seulement pour cette raison, mais surtout du fait que les « feuilles « se succèdent dans un ordre différent.

La molécule d'ADN isolée offre l'aspect d’une spirale. Mais dans les noyaux des cellules, les mêmes molécules s’imbriquent deux par deux en une double spirale. Les atomes de la double spirale présentent un assemblage serré et forment une molécule dure extrêmement longue, qui tra- verse tout le champ de vision du microscope électronique.

La structure de la molécule d'ADN a été définie à partir des renseignements chimiques dont on disposait sur les acides nucléiques, de la connaissance des règles qui président au « pelo- tonnement » et à l’assemblage des molécules, lesquelles tendent vers un assemblage des atomes le plus serré possible, ainsi que des résultats de l’analyse aux rayons X.

Le fait que la molécule d'ADN forme une double spirale, a permis d’énoncer immédiate- ment l'hypothèse touchant à la transmission de l'hérédité. Lorsque les cellules se divisent, les molécules d'ADN des « parents » se déroulent et la nouvelle molécule d'ADN de l’« héritier » se construit à partir des moitiés des deux molécules d'ADN du «père » et de la « mère». Ce sont ces fragments de molécules d'ADN qui jouent le rôle de gènes, dont l’existence ne faisait aucun doute pour de nombreux biologistes bien avant qu’on eût clarifié la structure moléculaire des agents de l’hérédité.

Le fonctionnement de la molécule d'ADN ce P.-D.G. des phénomènes vitaux est désor- mais connu dans tous ses détails et décrit dans des centaines d'ouvrages scientifiques, de vul- garisation ou scolaires.

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CRISTAUX GLOBULAIRES

La faculté de se rouler en pelote ou, comme on dit plus souvent, en globule, caractérise bien des molécules. Des globules particulièrement régu- liers et parfaitement semblables constituent les molécules de la protéine. L’explication tient à un détail très particulier. En effet, la molécule de la protéine comporte des parties qui « aiment » l’eau, et d’autres qui ne l’aiment pas. Ces der- nières sont dites hydrophobes. L’enroulement de la molécule est dicté par un seul souci : toutes les parties hydrophobes doivent être mises à l’abri dans la masse du globule. Et c’est ce qui fait que dans une solution de protéine, on voit évo- luer des globules qui se ressemblent comme des jumeaux. Les globules de protéine sont plus ou moins sphériques. Le globule a un diamètre de l’ordre de 100 à 300 À, et l’apercevoir au micros- cope électronique n’a rien de compliqué. Les premières images de cristaux globulaires ont été obtenues il y a déjà des dizaines d’années, alors que le microscope électronique était encore loin d’être au point. Sur la figure 9.3, on peut voir le cliché du virus de la mosaïque du tabac. Un virus est de structure plus complexe qu’une pro- téine, mais cet exemple fait parfaitement l'affaire pour illustrer ce que nous avons en vue: la ten- dance des globules biologiques à se répartir dans le plus grand ordre.

Et pourquoi ne fournirions-nous pas l’image d’un cristal de protéine? C’est que les cristaux de protéine sont des cristaux pas comme les autres. En effet, ils contiennent de l’eau en proportion énorme (jusqu’à 90 % parfois) et cette circonstan- ce interdit au chercheur de les photographier au microscope électronique. L’investigation ne peut se faire que par la manipulation au sein d’une solution. Une toute petite fiole reçoit la solution

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et le monocristal de protéine. On peut alors l’étudier par toutes les méthodes physiques, y compris l’analyse aux rayons X que nous avons souvent évoquée ici.

En dépit de la forte proportion d’eau, l’eau la plus ordinaire qui ne se distingue en rien de celle du robinet, les molécules globulaires de protéine se répartissent dans un ordre des plus rigoureux. Leur orientation par rapport aux axes du cristal est la même pour toutes les molécules. Et nous avons déjà dit que toutes les molécules sont semblables. C’est cet ordre superbe qui per- met de définir la structure de la molécule. La tâche n’est pas facile et le chimiste anglais Perutz qui détermina au début des années 1960 la structure de la protéine (il s’agissait d’hémoglo- bine) fut récompensé pour son travail par un Prix Nobel.

À l'heure actuelle, on connaît la structure d’une centaine de molécules protéiques et les recherches continuent. Au total, on dénombre dans l'organisme près d’une dizaine de milliers de protéines différentes. De la façon dont elles sont enroulées et de l’ordre dans lequel se succè- dent les résidus d’acides aminés, dépend l’acti- vité de l’organisme vivant. Indubitablement, les

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recherches concernant la structure des molécules protéiques seront poursuivies, aussi longtemps qu'on n'aura pas apporté la pleine lumière sur toutes les 10 000 espèces de molécules qui com- mandent les phénomènes vitaux.

Sur la figure 9.3, nous avons donc le cliché d’un virus. C’est une structure qui vaut qu’on en dise quelques mots, pour autant que les virus représentent les particules vivantes les plus sim- ples qu’on connaisse, soit des complexes de pro- téines et d’acides nucléiques. Quant aux pro- téines et aux acides nucléiques proprement dit, ils entrent dans les molécules bioorganiques et les appeler molécules « vivantes » serait erroné.

Dans le cas du virus, protéines et acides nu- cléiques se combinent de façon à ce que les globu- les protègent l'acide nucléique. La protection peut se faire de deux façons. Soit les globules constituent un cylindre creux à l’intérieur duquel se cache l’acide nucléique, soit les globules cons- tituent une sphère creuse, et encore l’acide nucléique vient se répartir sur la paroi intérieure.

Quelles sont les dimensions des virus? Dans le cas présent, celui de la mosaïque du tabac, sa longueur est de 3000 À , son diamètre extérieur de 170 À et le diamètre du canal de 80 À. Le virus est constitué de 2140 molécules protéiques.

On est immédiatement frappé par l’ordon- nancement extraordinaire des molécules de pro- téine qui constituent l'enveloppe du virus. Toutes les molécules protéiques s'enroulent en globules d’une façon absolument semblable. L’assemblage des globules obéit à la même règle stricte.

Les virus sphériques sont fort proches de la sphère parfaite, quant à la forme. Mais en réalité, ce sont des polyèdres à haut degré de symétrie, que les géomètres désignent sous le nom d'’ico- saèdres.

Les recherches structurelles portant sur les.

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substances vivantes les plus simpies sont d’une importance primordiale pour la science, et elles ont conduit à créer une nouvelle discipline, la biologie moléculaire.

PAQUETS DE MOLÉCULES

Si on parvient à obtenir un bon assemblage des molécules déroulées au maximum du possible, le matériau polymère dur est à même de consti- tuer des structures assez complexes, mais qui possèdent toutes une propriété commune. À un degré différent, le corps dur peut comporter des secteurs les molécules s’imbriquent les unes aux autres à la façon d'un paquet de crayons.

En fonction de la quantité proportionnelle de ces secteurs constitués en paquets, et aussi de l'exactitude de l’empaquetage, le polymère pré- sente tel ou tel « pourcentage de cristallisation ». La plupart des polymères s'opposent à la simple classification des solides en amorphes et cristal- lins. Rien d'étonnant à cela, puisqu'il y va de molécules énormes et, de surcroît, le plus souvent dissemblables. Les secteurs ordonnés cristal- lins ») peuvent être divisés en trois classes, grosso modo: paquets, sphérolithes et cristaux de molé- cules pliantes.

La microstructure typique d’un polymère est montrée sur la figure 9.4. Il s’agit de la photo- graphie agrandie 400 fois d’un film de polypro- pylène. Les formations étoilées sont des espèces de cristallites. Mais au refroidissement, un sphé- rolithe commence à pousser au cœur de l'étoile. Ensuite les sphérolithes se sont rencontrés, ceci ne leur a pas permis de prendre la forme sphérique idéale (sphère qu’on observe effectivement dans le cas de la génération d’un sphérolithe isolé, ce qui justifie entièrement le terme). A l'inté- rieur du sphérolithe, les molécules longues s’assem -

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Fig. 9.4

blent de façon assez ordonnée. Finalement, on pourrait se représenter le sphérolithe comme une corde soigneusement cordée. Le rôle de la corde est joué par le paquet de molécules. Ces dernières se disposent de façon à présenter leur axe long perpendiculairement aux rayons du sphérolithe. La même photographie nous montre des secteurs plastiques. Ce sont peut-être des paquets de molé- cules, comme ce peuvent être aussi des cristaux constitués de molécules pliantes. L’existence de cette sorte de cristaux est un fait établi du plus haut intérêt, et qui nous éclaire sur la structure des polymères linéaires.

Il y a vingt ans, on faisait la remarquable découverte suivante. L'étude portait sur les cris- taux de différents polymères obtenus d’une même solution. Les chercheurs constatèrent avec stupé- faction que des cristaux en tout point identiques, dont la surface rappelle un escalier en colima- çon, étaient obtenus à partir des solutions de di- verses paraffines. À quoi tient cette croissance spiroïdale des cristaux, qui fait songer, en défi- nitive, à un gâteau à la crème sophistiqué (fig. 9.5)?

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Fig. 9.5

Lorsque nous parlions de la croissance du cristal à la p. 125, une circonstance avait été passée sous silence. Imaginons que la couche en construction du cristal est saturée d’atomes. Dès lors, il n’y a plus d’endroit pour attirer les atomes suffisamment fort. On peut calculer que pour un tel schéma, la croissance doit se faire à une vitesse infiniment plus réduite, sans com- mune mesure avec celle que l’on observe dans la réalité. La solution du rébus est fournie par l’existence des dislocations-vis. S’il y a disloca- tion-vis, la génération de la face s’opère de telle sorte que les degrés que les atomes ont avantage à occuper ne sont jamais résorbés. Les physi- ciens eurent un soupir de soulagement lorsqu'ils découvrirent les dislocations-vis. Dès lors, la lumière était faite sur les valeurs des vitesses de croissance, ainsi que sur la nature des images semblables à celle que nous avons fournie ci-dessus pour la paraffine. Cette sorte de pyramides spi- rales est observée très souvent, et leur existence

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n’a rien de surprenant. Du moins, quand il est question de cristaux bâtis à l’aide de petites molécules. Pour ces cristaux-là, l’explication est bonne: ni la dimension des molécules, ni la hauteur des degrés, ni l'épaisseur du cristal n’entrent en contradiction.

Mais lorsque nous découvrons un tableau sem- blable pour le polymère, nous avons affaire à un phénomène nouveau. C'est qu’en effet, l'épaisseur des couches du polyester est de l'ordre de 100 à 120 À, et la longueur de la molécule est de 6000 À. Quelle conclusion tirer de ces chiffres ? Mais une seule, et c’est que dans ces cristaux, les molécules se plient! La flexibilité des molé- cules leur permet de se contorsionner sans difficulté, en sorte qu’il ne nous reste plus qu’à réfléchir (réflexion qui se poursuit toujours), sur celui des trois modèles indiqués sur la figure 9.6 qui

Fig. 9.6

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serait le plus convenable. Certes, les différences sont secondaires, mais Ce que je dis risque pourtant de déplaire au spécialiste. « Comment ça, secondaires, dira-t-il, lorsque sur le dessin du haut. les molécules se tordent au hasard, en évitant les voisines immédiates, et que sur le deuxième modèle, la molécule qui s’est enroulée devient sa propre voisine de ce fait même. Quant à la différence entre le deuxième et le troisième modèle, elle tient, dans le premier cas, à ce que la surface du cristal est beaucoup plus lisse qu'en bas ».

Et ce spécialiste a raison : la façon dont s’as- semblent les molécules polymères est d’impor- tance primordiale, c’est elle qui commande les propriétés de la matière. Et bien que le polyéthy- lène, le nylon et beaucoup d’autres matières aient été synthétisés il y a plusieurs dizaines d'années, l'étude de leur structure submoléculaire et des techniques qui obligent les molécules à s’enrouler d’une façon ou d’une autre, est actuellement poursuivie de la façon la plus active.

CONTRACTION MUSCULAIRE

Nous allons en terminer avec les grandes molé- cules en examinant comment les macromolécules fonctionnent au sein de l’organisme vivant.

Pour les biologistes, la tâche consistait à ex- pliquer l'adaptation de la forme des organes vivants, par exemple, de la forme de la main ou de la feuille de l’arbre, aux fonctions de ces organes.

Les physiciens, eux, en décidant d’appliquer les méthodes d'investigation de la structure de la matière et les lois de la nature à l’étude des phénomènes dont les organismes vivants sont le siège, cherchent à comprendre ce qu'est la vie au niveau moléculaire. De nos jours, la structure

260

a) MUSGULAIR

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ACTINE FILAMENTS GROS

Fig. 9.7

des tissus peut être étudiée de façon fort détaillée. Et lorsque la structure est connue, il devient possible d'imaginer les modèles des événements biologiques.

Notamment, les succès obtenus dans l’avan- cement de la théorie de la contraction muscu- laire sont très encourageants. La fibre du muscle se compose de deux types de filaments : les minces et les gros (fig. 9.7, a). Les gros filaments sont constitués de molécules protéiques qu’on appelle myosine. Les physiciens ont établi que la molé- cule de myosine a la forme d’un batonnet terminé par un renflement. Dans le gros filament, les molécules convergent au centre par la queue (fig. 9.7, b). Les filaments minces sont constitués d'actine, dont la structure rappelle deux rangs de perles qui formeraient une spirale double. La

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contraction consiste en ce que les gros filaments avancent à l’intérieur des minces.

Le détail de ce mécanisme est connu, mais nous ne nous y arrêterons pas ici. Le signal de la contraction est donné par une impulsion ner- veuse. L'impulsion a pour effet de libérer les atomes de calcium qui passent d’un secteur du filament dans un autre. En suite de quoi, les molécules se tournent les unes vers les autres de telle sorte qu'il devient énergétiquement avan- tageux qu'un «râtelier » de molécules pénètre à l’in- térieur de l’autre.

Les schémas indiqués sur la figure se fondent sur des clichés obtenus au microscope électronique. L'aspect approximatif de la photographie est évo- qué sur la figure 9.7, b. Evidemment, OHBIUR est infiniment meilleur.

Je crains que cette page ne donne qu’ une faible idée de l’avancement qui caractérise aujour- d’hui l'étude du mécanisme de la contraction musculaire. Mais l’unique chose que nous pour- suivons ici, c’est d’intéresser notre lecteur. A lui de considérer cette dernière page du volume con- sacré aux molécules comme une invitation à con- verser de manière beaucoup plus détaillée de la physique biologique, ce qui sera proposé, nous l’espérons, par un spécialiste de la biophysique moléculaire dans l’un des fascicules à paraître en complément de la Physique pour tous.

TABLE DES MATIÈRES

POIACE. : 5,8 EMULE GS DU Du 5

CHAPITRE PREMIER. LES « M ra »y DE L’U- NIVERS | | |. .… . - ot ce 7

Eléments . . D dd ne Ce ie 7

Atomes et molécules . . . « « + « + + . 10 Qu'est-ce que la chaleur? . . . . . . . . . 14 L'énergie se conserve A es Rare less 17

Calorie . . | D er de 20 Un peu d'histoire . . . . . « + « « « « 21 CHAPITRE 2. STRUCTURE DE LA MATIÈRE . . . 26 Liaisons intramoléculaires . . PRE 26 Molécule DRAQUE t et molécule chimique Se Ce 32 Interaction moléculaire . . dust 34 Comment se présente l'agitation thermique & $ 35 Compressibilité des corps . . . HMS 39 Forces superficielles . . . Sas ed ed 41

Les cristaux et leurs formes D M 2 46 Structure des cristaux . . . . . . . . . . . 52 Substances polycristallines . . . . . . . . . 67

CHAPITRE 3. TEMPÉRATURE . . . …. . . . . . 71

Thermomètre . . . . . . . . . . . . . . 71 Théorie du gaz parfait . . . . . . . . . . . 78

Loi d'Avogadro . . M LS ie 0 de Ni 81 Vitesses des molécules . . . . . . « « « . 82 Dilatation thermique . dt 86 Capacité calorifique et chaleur spécifique Sr à à 88 Conduction de la chaleur . . RE 90 Convection, à 2 4 is. 2 de à, Egg «à 94 CHAPITRE 4. ÉTATS DE LA MATIÈRE . . . . . 98 Vapeur de fer et air solidifié . . . . . . . . 98 Ebullition . . . 99 Relation entre la température d'ébullition ‘et la pression . . . : “jé gs 100 Evaporation . . . ben D US sr SRE ee 05 Température critique me SR se æ % 106 Obtention de basses températures . : s 112 Vapeur sous-refroidie et niques surchauffé . s à 115 Fusion . . Sie 3 ce. 146 Comment faire pousser un cristal . . 120

Influence de la pou sur Ja température ‘de fusion . . . . TE à se 130

Evaporation des corps solides . Point triple . | . Mêmes atomes, cristaux différents . Un liquide singulier :

CHAPITRE 5. SOLUTIONS .

Qu'est-ce qu’une solution ? . Solutions de liquides et de gaz . Solutions solides . ; Comment gèlent les solutions . Ebullition des solutions . : Comment on purifie les liquides : Purification des corps solides . Adsorption NE Osmose

CHAPITRE 6. MÉCANIQUE MOLÉCULAIRE .

Forces de frottement . .

Frottement visqueux dans les liquides et les gaz Forces de résistance aux grandes vitesses . Forme aérodynamique . . . SR Disparition de la viscosité .

Plasticité de

Dislocations .

Dureté . ;

Vibrations et ondes sonores .

Sons audible et inaudible .

CHAPITRE 7. MÉTAMORPHOSES DES MOLÉCULES

Réactions chimiques

Combustion et explosion .

Moteurs fonctionnant D métamorphose des mo- lécules 5 HU M Re. dur

CHAPITRE 8. LOIS DE LA THERMODYNAMIQUE .

La conservation de l'énergie dans le langage des molécules

Comment transformer la chaleur en travail :

Entropie RE

Fluctuations .

Qui a découvert les lois de la thermodynamique ?

CHAPITRE 9. GRANDES MOLÉCULES .

Chaînes atomiques . ... , Souplesse des molécules . . . . . Le P.-D.G. de la cellule . . . . . Cristaux globulaires . . ; Paquets de molécules . Contraction musculaire .